jeudi 21 mai 2015

ASTRONOMIE ARABE. JP. Maratrey


L’ASTRONOMIE ARABE

« Le chaînon manquant »

JP. Maratrey - août 2009






Sommaire


Généralités


Le moyen âge est une période de notre histoire occidentale qui ne laisse pas grande trace de découvertes scientifiques. L’obscurantisme aidé par les débuts d’un christianisme totalitaire et extrémiste a fait taire toutes les tentatives de progrès.
C’est au contraire la religion islamique qui a poussé les arabes à une meilleure connaissance de l’astronomie.

L’histoire de l’astronomie arabe renvoie aux travaux effectués par la civilisation islamique entre le 9ème et le 16ème siècle, travaux transcrits en langue arabe.
Les arabes ne sont pas partis de zéro dans ce domaine, mais se sont inspirés, du moins au début, des grands philosophes grecs, et en particulier du dernier d’entre eux, Claude Ptolémée et de son ouvrage qui compilait, avec ses propres solutions aux problèmes en suspens, les connaissances occidentales en ce deuxième siècle après Jésus Christ : l’Almageste.
Le  nom  original  de  cette  œuvre  de  Ptolémée  est  « La  composition  mathématique ».  Les  arabes,  très impressionnés par cet ouvrage, le qualifièrent de « megiste », du grec signifiant « magistral, très grand », auquel ils ajoutèrent l’article définit arabe al, pour donner al megiste qui devint almageste.

Au début de cette histoire, l’astronomie stagnait donc depuis 7 siècles. Rien ne s’est passé en occident entre Ptolémée  et  le  9ème siècle,  mis  à  part  une  légère  différence  sur  l’origine  du  monde.  Les  anciens  grecs considéraient  en  effet  que  l’univers  n’avait  pas  de  commencement,  contrairement  aux  trois  religions monothéistes, dont l’islam, qui proposent une genèse de l’univers.

L’état des connaissances astronomiques de cette époque reposait sur les principes suivants :
La Terre est immobile au centre du monde (et elle est ronde).
• Tous les autres corps tournent autour de la Terre.
• Le cercle étant la seule forme parfaite, ces autres corps tournent selon des trajectoires circulaires.
Mais  certaines  planètes  ne  suivent  pas  ces  règles  parfaites.  Il  fallait  rendre  compte  par  exemple  de  la rétrogradation apparente de Mars en introduisant d’autres figures parfaites secondaires, encore des cercles.
Plus la précision des mesures s’améliorait, plus il fallait utiliser ces « épicycles » imbriqués. C’est vite devenu très compliqué et inextricable.

Ce sont donc les arabes, reprenant au 9eme siècle ces théories, qui ont compris la complexité du modèle, et ont cherché à revenir sur des bases plus saines et plus simples, n’étant pas influencés par les religieux occidentaux de ce temps.
Les arabes, et en particulier les musulmans, se sont intéressés à l’astronomie pour des raisons très pratiques :

• Se repérer dans le désert pour les populations nomades, ou en mer.
Mais surtout pour motif religieux :
• Déterminer les heures des cinq prières quotidiennes. Pas simple, avec des durées du jour qui varient avec les saisons !
• Prévoir le début du Ramadan, mois lunaire qui débute avec l’apparition du premier fin croissant de Lune. Il fallu développer la géométrie sphérique pour résoudre ce problème.
• Déterminer la direction de La Mecque, donc sa position géographique. Sans horloge fiable, la longitude ne l’est pas…
Ces raisons très quotidiennes, de la vie de tous les jours, n’ont pas empêché certains savants arabes et/ou musulmans de spéculer plus théoriquement, et de remettre en cause certains acquis datant de Ptolémée.
De plus, le Coran incite les musulmans à étudier les astres. Il énonce :
« C'est lui (Dieu) qui a placé pour vous les étoiles dans le ciel afin que vous soyez dirigés dans les ténèbres sur la terre et sur les mers »
Ils développèrent des outils mathématiques nécessaires à leurs travaux, en particulier les mathématiques héritées  des  indiens.  Ils  furent  amenés,  comme  certains  de  leurs  prédécesseurs  grecs,  à  confronter l’observation avec les théories, ancêtre de la méthode scientifique moderne.
On peut diviser cette période faste de l’astronomie arabe en deux grandes phases:
• Du 9ème au 11ème siècle, phase préparatoire et critique des modèles anciens.
• Du 11ème au 16ème siècle, avec les avancées les plus significatives, surtout en mathématiques, outil indispensable aux progrès futurs.


Du 9ème au 11ème siècle


Le  travail  des  astronomes  arabes  s’effectue  dans  le  cadre  des  schémas  géométriques  de  Ptolémée.  Ils l’amélioreront et le critiqueront, par l’observation, en faisant apparaître ses contradictions et sa complexité.
Le début de l’astronomie arabe arrive avec le calife Al-Mamun qui régna sur Bagdad entre 813 et 833. Sa cour était formée de gens lettrés et de scientifiques.
Al-Mamun  fit  construire  à Bagdad  la  « Maison de la  sagesse »  qui regroupait  les meilleurs esprits du royaume.


C’est là que furent regroupés pour étude tous les manuscrits scientifiques connus de l’époque, en, particulier les écrits grecs. C’était la plus grande bibliothèque depuis celle d’Alexandrie.
Ces ouvrages furent traduits en arabe, généralement par des érudits chrétiens ou des juifs, car ils étaient les seuls à maîtriser à la fois l’arabe, le grec et le latin.
Ne se limitant pas aux anciens grecs ou romains, les arabes se tournèrent également vers les sciences perses et surtout indiennes, héritières des babyloniens.
Ils  se  trouvèrent  donc  à  la  tête  d’une  bibliothèque  énorme,  d’une  incroyable  richesse,  mais  souvent contradictoire, ne représentant pas ou peu ce qu’ils pouvaient eux-mêmes observer.
Néanmoins, ils empruntèrent aux grecs, et l’améliorèrent, un instrument de mesure de positions important : l’astrolabe.  Ils  lui  donnèrent  le  nom  de  «joyau  mathématique ».  Ils  utilisèrent  également  des  sphères armillaires, des cadrans solaires …

L’astrolabe permet de mesurer la position des étoiles, des planètes, de connaître l’heure… Introduit plus tard en Europe par les arabes, l’astrolabe fut remplacé par des instruments plus précis, comme le quadrant, le sextant ou l’octant.
Ils mettront en œuvre la confrontation entre l’observation et les théories, comme l’avait esquissé Ptolémée, et en contradiction avec les thèses de Platon ou d’Aristote qui estimaient que la raison viendrait à bout de la compréhension de la nature.
Pour cela, ils construisent des observatoires avec des programmes complets d’observation de la Lune et du Soleil, ce qui leur fournit des données fraîches, récentes. Cette confrontation a été le moteur des découvertes futures.
Ils introduiront abondamment les mathématiques pour résoudre les problèmes, et en particulier la trigonométrie et l’algèbre.

Al-Khwarizmi (783-850) dit Algorismus


Mathématicien, géographe et astronome d’origine perse, il est membre de la « maison de la sagesse ».  C’est  l’un  des  fondateurs  des  mathématiques  arabes,  s’inspirant  des connaissances  indiennes,  en  particulier  du  système  décimal,  des  fractions,  des  racines carrées…
On lui doit le terme « algorithme ». Les algorithmes sont connus depuis l’antiquité, et le nom latin d’Al-Khwarizmi (algorismus) sera donné à ces suites d’opérations élémentaires répétées.
Il est aussi l’auteur du terme « algèbre », qui est le titre de l’un de ses ouvrages traitant du sujet. Il est aussi le premier à utiliser la lettre x pour désigner une inconnue dans une équation. Il est surnommé « le père de l’algèbre ».

Statue de Al-khwarizmi à Téhéran

Il écrit le premier livre d’algèbre (al-jabr) dont la première page est représentée ci-contre, dans lequel il décrit une méthode systématique de résolution d’équations du second degré et propose un  classement  de  ces  équations.  Elles  sont  énoncées  avec  des  mots,  pas  en  notation algébrique actuelle. La résolution est géométrique, du type euclidien.


Les indiens utilisent des nombres négatifs, mais il ne les accepte pas comme solution des équations.
Il introduit l’usage des chiffres que nous utilisons encore aujourd’hui. Ces chiffres « arabes » sont en fait d’origine indienne, mais furent utilisés mathématiquement par Al-Khwarzimi. Il adopte l’utilisation du zéro, inventé par les indiens au 5ème siècle, et repris par les arabes par son intermédiaire.
Il établit des tables astronomiques (position des 5 planètes, du Soleil et de la Lune) basées sur l’astronomie hindoue et grecque. Il étudie la position et la visibilité de la Lune et ses éclipses, du Soleil et des planètes. C’est le premier ouvrage astronomique 100% arabe.
Un cratère de la Lune porte son nom.

Al-Farghani (805-880)


Né à Ferghana dans l’actuel Ouzbékistan, il  écrit en 833 les « éléments d’astronomie », basés sur les connaissances grecques de Ptolémée. Il est l’un des plus remarquables astronomes au service de Al-Mamun, et membre de la           « maison de la sagesse ».


Il introduit des idées nouvelles, comme le fait que la précession doit affecter la position des planètes, pas que des étoiles. Son ouvrage sera traduit en latin au 12ème siècle, et aura un grand retentissement dans les milieux très fermés des astronomes d’Europe occidentale.
Il détermine le diamètre de la Terre qu’il estime à 10 500 km.
On lui doit également un ouvrage sur les cadrans solaires et un autre sur l’astrolabe.

1. L’inconnu est le mot « gezr » (racine) ou « Shay » (chose) qui fut traduit en espagnol ancien par « xay », qui est devenu x.
2-2 égal sunya en indien. Traduit en arabe par as-sifr, qui devient ziffer et zephiro. Ziffer donnera « chiffre », et zephiro,
« zéro ». C’est le dernier de tous les chiffres arabes.

Al-Battani (850-929) dit Albatenius


Il observe le ciel depuis la Syrie. On le surnomme parfois « le Ptolémée des arabes ».


Ses mesures sont remarquables de précision.
Il détermine la durée de l’année solaire, la valeur de la précession des équinoxes, l’inclinaison de l’écliptique.
Il découvre que la direction de l’excentricité du Soleil est variable, sans aller jusqu’à interpréter ce phénomène comme une trajectoire elliptique.
Il  rédige  un  catalogue  de  489  étoiles.  On  lui  doit  la  première  utilisation  de  la trigonométrie dans l’étude du ciel. C’est une méthode beaucoup plus puissante que celle, géométrique, de Ptolémée.
Son œuvre principale est « Le livre des tables ». Il est composé de 57 chapitres. Traduit en latin au 12ème siècle
par Platon de Tivoli (en 1116), il influencera beaucoup les astronomes européens de la renaissance.

Al-Soufi (903-986) ou Azophi


Astronome perse, il traduit des ouvrages grecs dont l’almageste et améliore les estimations des magnitudes d’étoiles.
En 964, il publie « Le livre des étoiles fixes », où il dessine des constellations.
Il semble avoir été le premier à rapporter une observation du grand nuage de Magellan, visible au Yémen, mais pas à Ispahan.
De même, on lui doit une première représentation de la galaxie d’Andromède, probablement déjà observé avant lui. Il la décrit comme « un petit nuage » dans la bouche de la constellation arabe du Grand Poisson.
Son nom (Azophi) a été donné à un cratère de la Lune.

Al-Khujandi (≈940-≈1000)


Il est astronome et mathématicien perse. Il construit un observatoire à Ray, près
de Théhéran, comportant un énorme sextant, fabriqué en 994.
C’est le premier instrument apte à mesurer des angles plus précis que la minute d’angle. Il mesure avec cet instrument l’obliquité de l’écliptique, en observant les passages au méridien du Soleil.


Il trouve 23° 32’ 19’’. Ptolémée trouvait 23° 51’, et les indiens, bien plus tôt, 24°. Jamais l’idée de la variation naturelle de cet angle ne vint aux arabes. Ils dissertèrent longtemps sur la précision des mesures, ce qui fit avancer leur science.

Ibn Al-Haytam (965-1039) dit Alhazen


Mathématicien et opticien né à Bassorah dans l’Iran actuel, il est sollicité par les autorités égyptiennes pour résoudre le problème des crues du Nil. Sa solution était la construction d’un barrage vers Assouan. Il renonça devant l’énormité de la tâche (le barrage fut construit en 1970 !). Devant cet échec, il feignit la folie jusqu’à la mort de son patron.
Il fait un bilan critique des thèses de Ptolémée et de ses prédécesseurs, et écrit
« Doutes sur Ptolémée ». Il dresse un catalogue des incohérences, sans toutefois proposer de solution alternative.
Parmi les incohérences qu’il relève, on peut citer la variation du diamètre apparent de la Lune et du Soleil, la non uniformité des mouvements prétendument circulaires, la variation de la position des planètes en latitude, l’organisation des sphères grecques … et, observant que la Voie Lactée n’a pas de parallaxe, il place cette dernière très éloignée de la Terre, en tous cas plus loin que la sphère sublunaire d’Aristote.


Malgré ses doutes, il conserve la place centrale de la Terre dans l’univers.
Il  reprend  les  travaux  des  savants  grecs,  d’Euclide  à  Ptolémée,  pour  lesquels  la  notion  de  lumière  est étroitement liée à la notion de vision : la principale question étant de savoir si l’œil a un rôle passif dans ce processus ou s’il envoie une sorte de fluide pour « interroger » l’objet.
Par ses études du mécanisme de la vision, Ibn Al-Haytham montra que les deux yeux étaient un instrument d’optique, et qu’ils voyaient effectivement deux images séparées. Si l’œil envoyait ce fluide, on pourrait voir la nuit. Il comprit que la lumière du soleil se reflétait sur les objets et ensuite entrait dans l’œil. Mais pour lui, l’image se forme sur le cristallin…
Il reprend les idées de Ptolémée sur la propagation rectiligne de la lumière, accepte les lois de réflexion sur un miroir, et pressent que la lumière a une vitesse finie, mais très grande.
Il  étudie  la  réfraction,  déviation  d’un  rayon  lumineux  au  passage  d’un  milieu  à  un  autre,  et  prévoit  une modification de la vitesse de la lumière à ce passage. Mais il ne put jamais calculer l’angle de réfraction (c’est Descartes qui le fit).
Il trouve que le phénomène du crépuscule est lié à la réfraction de la lumière solaire dans l’atmosphère, dont il tente de mesurer la hauteur, sans y parvenir.
Déjà connue dans l’antiquité, on lui doit une description très précise et l’utilisation à des fins d’expériences, de la chambre noire (caméra obscura), pièce noire qui projette une image sur un mur en passant par un petit trou percé sur le mur d’en face.


Le  résultat  de  toutes  ces  recherches  optiques  est  consigné  dans  son 
« traité d’optique » qu’il mit 6 ans à écrire et qui fut traduit en latin en 1270.
En mécanique, il affirme qu’un objet en mouvement continue de bouger aussi longtemps qu’aucune force ne l’arrête. C’est le principe d’inertie avant la lettre.

Un astéroïde porte son nom : 59239 Alhazen.

Al-Biruni (973-1048)



Certainement  l’un  des  plus  grands  savants  de  l’islam  médiéval,  originaire  de  Perse,  il s’intéresse à l’astronomie, à la géographie, à l’histoire, à la médecine et aux mathématiques, bref, à la philosophie en général. Il rédigea plus de 100 ouvrages.
Il sera aussi percepteur des impôts, et un grand voyageur, en particulier en Inde, où il étudia leur langue, leur religion et leur science.
A l’âge de 17 ans, il calcule la latitude de sa ville natale de Kath (en Perse, actuellement en Ouzbékistan).
A 22 ans, il a déjà écrit plusieurs ouvrages courts, dont un sur la projection des cartes.
En astronomie, il observe les éclipses de Lune et de Soleil. Il est l’un des premiers à évaluer les erreurs sur ses mesures et celles de ses prédécesseurs. Il constate une différence entre la vitesse moyenne et la vitesse apparente d’un astre.
Il mesure le rayon de la Terre à 6 339,6 km (le bon chiffre est 6 378 km), résultat utilisé en Europe au 16ème siècle.
Lors de ses voyages, il rencontre des astronomes indiens partisans de l’héliocentrisme et de la rotation de la Terre sur son axe. Il sera toujours sceptique, car cette théorie implique le mouvement de la Terre. Mais il se posera la question : « voilà un problème difficile à résoudre et à réfuter ». Il estime que cette théorie n’entraîne aucun problème sur le plan mathématique.
Il réfute l’astrologie, arguant que cette discipline est plus conjecturale qu’expérimentale.
En mathématiques, il développe le calcul des proportions (règle de trois), démontre que le rapport de la circonférence d’un cercle à son diamètre est irrationnel (futur nombre pi), calcule des tables trigonométriques, et met au point des méthodes de triangulations géodésiques.

Ali Ibn Ridwan (988-1061)


Astronome  et  astrologue  égyptien,  il  écrit  plusieurs  ouvrages  astronomiques  et  astrologiques,  dont  un commentaire d’un autre livre de Claude Ptolémée, la « Tetrabible ».


Il observe et commente une supernova (SN 1006), sans doute la plus brillante de l’histoire. On estime aujourd’hui sa magnitude, d’après les témoignages qui nous sont parvenus, à -7,5 ! Elle est restée visible plus d’un an. Son rémanent n’est visible qu’en rayons X, gamma ou radio, comme sur cette vue X de Chandra en fausses couleurs.
Il explique que cette nouvelle étoile avait deux à trois fois le diamètre apparent de Vénus, un quart de la luminosité de la Lune, et qu’elle se trouvait bas sur l’horizon sud.
D’autres observations occidentales corroborent cette description, et la place dans la constellation du Loup.


Du 11ème au 16ème siècle


Sur les bases de la première phase, des observatoires plus importants sont construits. Le premier d’entre eux, modèle des suivants, est celui de Marâgha, dans l’Iran actuel. Leur but est d’établir des modèles planétaires, de comprendre leur mouvement. Les architectes de ce premier observatoire sont Nasïr Al-Tûsî (1201-1274) et AlUrdi ( ?-1266). L’école ainsi constituée aura son apogée avec Ibn Al-Shâtir (1304-1375).

D’autres observatoires suivront, comme Samarkand au 15eme siècle, Istanbul au début du 16ème siècle, et celui de Tycho Brahé en occident à la fin du 16ème siècle.
Les nouveaux modèles ne sont plus d’inspiration Ptoléméenne, mais restent géocentriques. La physique de l’époque refuse toujours de mettre la Terre en mouvement et de l’enlever du centre du monde.
Ces modèless’inspirent des épicycles grecs, en conservant les cercles, mais en les simplifiant.
Par exemple, Al-Tûsî propose un système comprenant un cercle roulant à l’intérieur d’un  autre  cercle  de  rayon  double.  Ce  système  transforme  deux  mouvements circulaires  en un  mouvement rectiligne  alternatif, et  explique les variations de la latitude des planètes. En outre, il rend compte des variations des diamètres apparents des astres.


Mais pour aller plus loin, il faudra changer de philosophie, ce que les arabes se sont refusés de faire. Ce changement interviendra avec la révolution copernicienne, à la renaissance, dans laquelle la Terre perd son statut de centre du monde.

Al-Zarqali (1029-1087) dit Arzachel


Mathématicien, astronome et géographe né à Tolède en Espagne, il discute la possibilité du mouvement de la Terre. Comme d’autres, ses écrits seront connus des européens du 16 et 17eme siècle.
Il conçoit des astrolabes, et établit les « Tables de Tolède », qui furent utilisées par les grands navigateurs occidentaux comme Christophe Colomb, et serviront de base aux « tables alphonsines ».
Il établit que l’excentricité du Soleil varie, plus exactement que le centre du cercle sur lequel tourne le Soleil s’éloigne ou se rapproche périodiquement de la Terre, en se mouvant sur un cercle, bien sûr.
Un cratère de la Lune porte son nom, ainsi qu’un pont de Tolède sur le Tage.

Omar Khayyam (1048-1131)



Connu pour sa poésie, il s’intéresse aussi à l’astronomie et aux mathématiques. Il devient directeur de l’observatoire d’Ispahan en 1074.
Il crée de nouvelles tables astronomiques encore plus précises, et détermine la durée de l’année solaire avec une grande précision, au vu des instruments utilisés. Elle est plus exacte que l’année grégorienne, créée 5 siècles plus tard en Europe.
Il réforme le calendrier persan en y introduisant une année bissextile (réforme Djelaléenne).
En mathématiques, il s’intéresse aux  équations du troisième  degré  en démontrant qu’elles peuvent avoir plusieurs solutions (il en trouve certaines géométriquement).
Il écrit plusieurs textes sur l’extraction des racines cubiques, et un traité d’algèbre.

Al-Tûsî (1201-1274)



Astronome et mathématicien, né à Tus dans l’Iran actuel, il fit construire et dirigea l’observatoire de Maragha.
Il étudie les travaux de Al-Khayyam sur les proportions, s’intéresse à la géométrie.
Côté astronomie, il commente l’almageste et le complète, comme plusieurs astronomes (AlBattani…) avant lui. Il estime l’obliquité de l’écliptique à 23°30’.

Al-Kashi (1380-1439)



Mathématicien et astronome perse, il assiste à une éclipse de Lune en 1406 et rédige plusieurs ouvrages astronomiques par la suite.
C’est à Samarkand qu’il passe le reste de sa vie, sous la protection du prince Ulugh Beg (1394-1449)  qui  y  a  fondé  une  université.  Il  devient  le  premier  directeur  du  nouvel observatoire de Samarkand.
Ses tables astronomiques proposent des valeurs à 4 (5 selon les sources) chiffres en notation sexagésimale de la fonction sinus. Il donne la manière de passer d’un système de coordonnées à un autre.
Son catalogue contient 1018 étoiles.
Il améliore les tables des éclipses et de visibilité de la Lune.
Dans son traité sur le cercle, il obtient une valeur approchée de Pi avec 9 positions exactes en notation sexagésimale, soit 16 décimales exactes ! Un record, puisque la prochaine amélioration de l’estimation de Pi date du 16ème siècle avec 20 décimales.
Il laisse son nom à une généralisation du théorème de Pythagore aux triangles quelconques. C’est le théorème d’Al-Kashi.
Il introduit les fractions décimales, et acquiert une grande renommée qui fait qu’il restera le dernier grand mathématicien astronome arabe, avant que l’occident ne prenne le relais.

Ulugh Beg (1394-1449)


Petit fils de Tamerlan, prince des Timourides (descendants de Tamerlan), il accède au trône en 1447. C’est un remarquable savant et un piètre politicien, charge qu’il délègue pour s’adonner à la science. Son professeur est  Qadi-zadeh Roumi (1364-1436) qui développe chez lui le goût pour les mathématiques et l’astronomie.
Il  fait  bâtir  plusieurs  écoles  dont  une  à  Samarkand  en  1420  où  il  enseigne,  et  un observatoire en 1429.


Il y travaille avec quelque 70 mathématiciens et astronomes (dont Al-Kashi) pour rédiger les « tables sultaniennes » parues en 1437 et améliorées par Ulugh Beg lui-même peu avant sa mort en 1449.
La précision de ces tables restera inégalée pendant plus de 200 ans, et furent utilisées en occident.
Elles contiennent les positions de plus de 1 000 étoiles. Leur première traduction date d’environ l’an 1500, et fut réalisée à Venise.

Taqi Al-Din(1526-1585)



Après une période où il est théologien, il devient astronome officiel du sultan à  Istanbul. Il y construit un observatoire dont le but est de concurrencer ceux des pays européens, dont celui de Tycho Brahé. L’observatoire est ouvert en 1577.
Il dresse les tables « Zij » (La perle intacte). Il est le premier à utiliser la notation à virgule, plutôt que les traditionnelles fractions sexagésimales en usage.
Il observe et décrit une comète, et prévoit qu’elle est le signe de la victoire de l’armée ottomane. Cette vision se révèle fausse, et l’observatoire est détruit en 1580…


Il se consacre ensuite à la mécanique, et décrit le fonctionnement d’un moteur à vapeur rudimentaire, invente une pompe à eau, et se passionne pour les horloges et l’optique.
La destruction de l’observatoire d’Istanbul marque la fin de l’activité astronomique arabe du moyen-âge. Il faudra attendre la révolution copernicienne pour voir de nouveaux progrès, et quels progrès !
Copernic et ses successeurs se sont certainement fortement inspirés des résultats des arabes par l’entremise de leurs ouvrages.

Les  voyages  et  les  contacts  directs  entre  scientifiques  de  l’époque  étaient  rares.  Les  occidentaux  ne comprenant pas l’arabe, ce sont les traductions en latin qui ont probablement influencés l’occident, avec, il faut le reconnaître, les ouvrages de certains philosophes grecs qui avaient remis en cause la position centrale de la Terre, comme Aristarque de Samos l’avait proposé vers -280.


Les observatoires arabes


L’observatoire moderne, dans sa conception, est un digne successeur des observatoires arabes de la fin du moyen-âge.
A  l’inverse  de  l’observatoire  privé  des  philosophes  grecs,  l’observatoire  islamique  est  une  institution astronomique  spécialisée,  avec  ses  propres  locaux,  du  personnel  scientifique,  un  travail  d’équipes  avec observateurs et théoriciens, un directeur et des programmes d’études. Ils ont recours, comme aujourd’hui, à des instruments de plus en plus grands, afin d’améliorer constamment la précision des mesures.
Le premier de ces observatoires est construit sous le règne d’Al-Mamoun (la maison de la sagesse) en Irak actuel au 9ème siècle.

Nous avons déjà parlé de l’observatoire de Ray, proche de Théhéran, avec son monumental sextant mural en 994. Il faut y ajouter ceux de Tolède et Cordoue en Espagne, de Bagdad, d’Ispahan.
Les plus réputés ne furent établis qu’à partir du 13ème siècle avec Marâgha au nord de l’Iran actuel, construit en 1259 avec les fonds prélevés pour entretenir les hôpitaux et les mosquées. Al-Tusi y travailla.
Vint ensuite l’ère de Samarkand, construit en 1420 par Ulugh-Beg, dont les vestiges ont été retrouvés en 1908 par une équipe russe.

Observatoire de Samarkand (réconstitution)

Le plus grand sextant du monde

Terminons  ce  tour  d’horizon  des  grands  observatoires  arabes  par  celui  d’Istanbul,  édifié  dans  sa  partie européenne en 1577 par Al-Din pour concurrencer les observatoires occidentaux.

Observatoire d’Istanbul


Les instruments


Notre connaissance des instruments d’astronomie arabes nous vient d’une part de collections privées et des musées, d’autre part des descriptions faites dans des manuscrits sauvegardés ou transmis jusqu’à aujourd’hui.
Les musulmans ont perfectionné les instruments des grecs, chaldéens ou indiens déjà existants, en ajoutant de nouvelles échelles nécessaires aux prédictions religieuses comme la direction de la Mecque ou les heures des prières.

Les astrolabes


L’astrolabe est sans doute l’instrument le plus répandu dans le monde arabe de cette époque. Il est construit en laiton. Le plus ancien spécimen arabe date de 927.


Au 10ème siècle, on recensait un millier d’utilisations de l’astrolabe, en astronomie bien sûr, mais aussi en astrologie, en navigation, en topographie, dans la mesure du temps ou l’établissement des multiples données religieuses.
Un astronome nommé Ibn Yunus releva plus de 10 000 positions du Soleil pendant des années en se servant d’un astrolabe d’un diamètre de 1,40 m.

Les premiers astrolabes avec engrenages sont apparus au tournant de l’an 1000. AlBiruni en conçut un comportant 8 roues dentées. Ce sont les ancêtres des horloges astronomiques mises au point ultérieurement par les ingénieurs arabes.
Les premiers astrolabes donnaient les positions des levers et couchers du Soleil et des étoiles fixes. Arzachel construisit au 11ème siècle le premier astrolabe universel ne dépendant plus de la latitude du lieu d’observation, utilisable partout sur Terre. Il se répandit rapidement en Europe sous le nom de « Scaphée».

Enfin, Al-Sijzi proposa un astrolabe héliocentrique dans lequel la Terre est mobile. C’est le « Zouraqi ».

Les « calculateurs »


Des « calculateurs » analogiques firent leur apparition, comme celui d’Arzachel en 1015, ainsi que les premiers planisphères du ciel, proposés par Al-Biruni au 11ème siècle.
C’est ce même Al-Biruni qui inventera le calendrier luni-solaire perpétuel à engrenages.
Gerber, vers 1000-1150, inventa le « Torquetum » (ou turquet), instrument d’observation et calculateur analogique. Il permettait de relever la position des astres, et de les convertir en coordonnées horizontales, écliptiques et équatoriales.
Al-Kashi inventa au 15ème siècle la « Plaque des conjonctions », calculateur des dates des conjonctions planétaires.

Le torquetum

Les cadrans solaires


Les musulmans apportèrent une importante contribution à la théorie des cadrans solaires venue de leurs prédécesseurs indiens et grecs. C’est Al-Kwarizmi qui rédigea les premières tables permettant leur fabrication et leur lecture simple.
Ils donnaient les heures de prières lorsqu’ils étaient placés au fronton des mosquées.
Leur gros défaut était de marquer des heures inégales, variables selon la saison. Sur le cadran, le jour était divisé en 12 segments égaux, ce qui impliquait des jours plus courts en hiver, et plus longs en été.

Al-Shâtir innova en 1371 en remarquant que si le style du cadran est parallèle à l’axe des pôles, les heures sont égales tout au long de l’année.
Ce concept sera exporté en occident en 1446.


Les horloges


Les observatoires étaient équipés d’horloges astronomiques très performantes.
Al-Djazari (1135-1206) construisit une horloge à eau monumentale, qui animait les effigies des étoiles, de la Lune et du Soleil.
Al-Din inventa la première horloge à ressort et le premier carillon qui sonnait les heures fixes.
Il inventa aussi l’« horloge d’observation », qu'il décrit comme « une horlogemécanique à trois cadransdonnant les heures, les minutes, et les secondes. »

C'était  la  première  horloge  à  mesurer  le  temps  en  secondes,  et  il  l'utilisa  spécifiquement  pour  mesurer l’ascension droite des  étoiles. On considère que c'est l’une des plus importantes innovations d'astronomie pratique du 16ème siècle, dans la mesure où les horloges précédentes n'étaient pas assez précises pour l'astronomie. Il améliora encore cette horloge en n'utilisant plus qu'un cadran pour indiquer les heures, minutes et secondes. Il décrit cette horloge d’observation comme « une horloge mécanique à cadran unique affichant les heures, minutes et secondes où nous avons divisé chaque minute en cinq secondes ».

Les globes


Il ne subsiste pas d’exemple arabe de la sphère armillaire des grecs. Par contre, ils ont fabriqué des astrolabes sphériques, comme celui représenté ci-contre.


Mais les globes les plus spectaculaires sont les globes célestes d’une seule pièce, sans soudure, par la méthode de la « cire perdue ». Ils sont l’œuvre au 16eme siècle, des artisans Moghols, sous le règne d’Akbar-leGrand.
La fabrication de tels instruments est une prouesse et un haut fait de cette époque. Le plus ancien remonte à 1589 et est l’œuvre de l’orfèvre du Cachemire Ibn Luqman. Il en subsiste une vingtaine dans le monde.


Les quadrants


Les arabes mirent au point d’innombrables quadrants dont le spécialiste et précurseur était AlKhwarizmi. Il imagina le quadrant à sinus qui servait aux calculs astronomiques, le quadrant horaire qui donnait l’heure par l’observation des astres à une latitude déterminée, le quadrant Vetus qui servait à trouver les heures des prières à toutes les latitudes.

Quadrant inventé par Al-Khwarizmi,
peint par Tycho Brahé

Les instruments d’optique


Al-Biruni utilisa un « tube d’observation », vide, sans optique, pour concentrer son observation sur une région précise.
La première description de l’usage d’une lentille, une loupe, est due à Alhazen en 1021 dans son traité d’optique.
Mais c’est Al-Din qui imagina un « appareil à voir à longue distance ». Dans son « livre de la lumière et de la pupille et de la vérité des images » de 1574, il écrit que « cet instrument fait apparaître des objets éloignés plus près qu’ils ne sont ». Il aurait écrit un autre livre, perdu aujourd’hui, dans lequel il décrirait la fabrication de cette lunette primitive. Il n’est nulle part précisé une quelconque utilisation vers le ciel.

Les autres instruments


La boussole à aiguille aimantée aurait fait son apparition en 1282 dans un traité
d’astronomie du sultan Al-Ashraf.
L’alidade est un instrument servant à mesurer des angles.
Le compendium était une fusion d’une alidade et d’un cadran solaire.

Une alidade

Et bien d’autres…


Des étoiles


Plusieurs noms d’étoiles, utilisés encore de nos jours, nous viennent des arabes, comme par exemple :
• Algol : l’ogre
• Aldébaran : le serviteur, la suivante
• Algenib : l’aile (de Pegase), le flanc
• Alioth : la queue grasse
• Alnitak : la ceinture
• Altaïr : le vautour ou l’aigle volant
• Albireo : l’oiseau
• Alcor : le golfe, le cheval noir, le taureau
• Bételgeuse : l’épaule du géant
• Dubhe : l’ours
• Dénébola : la queue du lion
• El Nath : le coup de corne
• Enif : le naseau (de Pégase)
• Caph : la main
• Déneb : la queue
• Formalhaut : la bouche du poisson
• Megrez : la racine de la queue
• Merak : le bas ventre
• Mirfak : le coude
• Mizar : la robe
• Phecda : la cuisse
• Rigel : le pied
• Saïf : l’épée
• Véga : le vol de l’aigle, le vautour qui s’abat

D’autres mots du domaine de l’astronomie sont également d’origine arabe :
Algebre : du nom de l’ouvrage de Al-Khwarizmi.
Algorithme : déformation du nom de Al-Khwarizmi.
Azimut et zénith ont la même racine arabe signifiant direction.
Nadir : vient de nazir, signifiant opposé.
Mais la plupart des mots du langage astronomique est d’origine grecque ou latine.


En conclusion


Les arabes sont le chaînon manquant (occidental) entre les grecs et la renaissance. Ils ont appris beaucoup des anciens grecs, puis ont critiqué certains de leurs acquis, les ont améliorés.
Mais, pour des raisons religieuses, ils n’ont jamais vraiment admis que le centre du monde pouvait ne pas être la Terre, ce qui a limité leurs progrès.
Copernic, Galilée et les autres, en occident, se sont à leur tour inspiré des arabes pour conduire cette révolution de l’esprit qu’est l’adoption du mouvement de la Terre.

SOURCE :
JP. Maratrey - août 2009

Mohamed ZEMIRLINE


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