mardi 19 mai 2015

INDIENS ET BARBARES. 01/05. Basile Y.


INDIENS ET BARBARES
Le génocide Amérindiens et la spoliation de leur continent.
BASILE Y. basile-y.com

A la mémoire du père
des droits de l'homme
Fray Bartolomé de Las Casas
Bouclier des Indiens
«Entre, mon Père, aujourd'hui avec moi en cette maison
Je te montrerai les écrits, le supplice
de mon peuple, de l'homme persécuté
Je te montrerai les antiques douleurs.»
PABLO NERUDA, Chant général IV, II
à Fray Bartolomé de Las Casas.

Partie 01/ 05
INTRODUCTION
QUI ÉTAIENT LES BARBARES ?

Depuis Christophe Colomb, jusqu'au dernier chroniqueur de la Conquista, tous, unanimes, nous rapportent que les premiers Européens débarqués aux Antilles ou sur le Continent furent pris pour des dieux. On leur offrait des sacrifices, leur faisait des offrandes - comme ils avaient l'habitude de le faire envers leurs dieux locaux, on leur brûlait de l'encens.

Hélas! Cette euphorie ne dura que le temps qu'il leur fallût pour s'apercevoir qu'ils s'étaient trompés sur la qualité de leurs «hôtes». Revenus de leur méprise, les Indiens remplacèrent l'encens et les offrandes par des flèches et des massues pour répondre à la pacification qui consistait à les terroriser en leur coupant les mains (1) et en renvoyant les suppliciés chez eux munis du conseil de «porter cette lettre aux autres». N'ayant pas trouvé cela encore suffisant pour leur insuffler la terreur et afin de les soumettre, les conquistadores prirent des élites du peuple des Aztèques qu'ils jetèrent vivants en pâture à des lévriers sauvages dressés pour être friands de chair d'Indiens (2). Ce fut alors que jaillit des entrailles du peuple de Guahutémoc à leur adresse le cri de BARBARES.

Cette conduite des conquistadores espagnols avait alors provoqué l'indignation des nations situées au Nord des Pyrénées. Indignation très justifiée, mais à sens unique puisque ces mêmes nations firent «mieux» avec la Traite des Noirs, en donnant délibérément en pâture à des requins des esclaves Africains, dans le but de toucher des primes d'assurances ou pour délester, en cas de tempête, leurs navires surchargés, leurs Géhennes Flottantes comme les appela Aimé Césaire (3). Ce ne fut pas uniquement la Traite qui coûta la vie à 200.000.000 d'Africains - d'après le très modéré et ami de l'Europe Léopold Sédar Senghor, Président du Sénégal. Le colonialisme eut aussi son rôle : le roi Léopold II de Belgique est mort au début du 20e siècle avec 15.000.000 de Congolais sur sa conscience (4). Léopold avait été précédé par d'autres héros de la «mission civilisatrice», tels que Sir Cecil Rhodes(parrain de la Rhodésie), le général Von Totra, le général Gallieni.

Revenons à l'Amérique : des planteurs français, anglais et hollandais des «Indes Occidentales» dressaient des chiens à dévorer des Noirs fugitifs, en commençant par les entrailles (5). Ainsi pas de haro sur le baudet espagnol.

Cela avait commencé à l'ère nouvelle, née de la découverte du Nouveau Monde. Des pillages, massacres, exploitation ou possession de l'homme par l'homme (comme Victor Schoelcher appelait l'esclavage) il y en a toujours eu, tout le long de l'histoire de l'humanité, mais cela s'était fait à échelle artisanale. Quarante ans seulement après l'arrivée des conquistadores à Guanahaní, plus de 12.000.000 d'Indiens avaient été exterminés (6). Si on additionnait toutes les victimes de tous les Mongols et on les multipliait par deux, cela dépasse tout juste la moitié de ce chiffre. C'était la suite de l'ère nouvelle, quand les caravelles de Colomb avaient commencé à remorquer dans leur sillage vers l'Amérique, non seulement la Mort mais aussi la Famine, inconnue jusqu'alors en ces lieux mais endémique en Europe. Avec le concours des pirates négriers de François 1er et d'Elisabeth d'Angleterre, des Stathouders des Pays-Bas et des rois du Portugal, plus de Famine en Europe, mais une richesse pétrie au sang d'Indiens et de Noirs.

Ce fut sous le prétexte de «libérer les terres de leurs sauvages» qu'on extermina les Apaches au 19e siècle, comme d'autres ethnies indiennes, en les chassant comme du gibier («Indian Hunt' comme on lira au chapitre du «Dragon Anglo). Il n'y a pas si longtemps, nous lisions encore dans nos dictionnaires encyclopédiques (Espasa-Calpe par exemple) : «Apaches, Indiens sauvages et sanguinaires». C'est cela notre Éthique, et pas seulement celle d'Aristote ou de Spinoza.

Cette sauvagerie de l'homme civilisé envers les Indiens commença au XVIme siècle. Le père franciscain Motolinia, en apostolat au Mexique, qu'on appelait alors «Nouvelle Espagne», contemporain de la Conquista et des malheurs qu'elle a portés aux Indiens, l'appela APOCALYPSE. De sa part, ami de Cortés et des conquistadores en général, ce qualificatif prenait toute sa valeur sémantique.

Pour les Indiens, ce fut une Apocalypse sans aucun doute. Je voudrais en parler aujourd'hui, mais rappeler aussi parallèlement qu'à l'occasion de cette Apocalypse naquit une éthique d'amour de l'homme, qui mérite d'être mieux connue. Des moines défendirent les Indiens souvent au péril de leur vie, comme ils firent avec les Guaraní par exemple, qu'ils armèrent, encadrèrent et se battirent à leur tète pour les protéger contre les Européens chasseur d'Indiens. Ils ne luttaient pas seulement pour des réformes, mais c'est le colonialisme en tant que tel qu'ils mettaient en cause. Ils déniaient aux «rois de Castille» tout droit à «subjuguer les Indiens». Las Casas s'adressant à Charles Quint sur un ton de prophète Jérémie, lui disait :

«Sa Majesté est obligée, de commandement divin, de faire mettre en liberté tous les Indiens que les Espagnols maintiennent en esclavage»

Ce fut au cri de «Je suis une voix qui clame au sein de la sauvagerie» que le père dominicain Anton de Montesinos fustigeait du haut de la Chaire de la Cathédrale de Saint-Domingue, au soir de l'Avent de 1511. Il s'adressait aux esclavagistes réunis autour du fils de Colomb Don Diego Colón, ahuris de l'entendre, car ils savaient que par «sauvages» il n'entendait pas les Indiens. Ce fut ce sermon qui parla à la conscience du conquistador Bartolomé de Las Casas, pour en faire, d'un conquistador de père en fils, le Bouclier des Indiens. Il leur consacra toute sa vie, développant le sermon de Montesinos en une Éthique au service des opprimés.

Le père de cette Éthique fut donc Fray Don Bartolomé de Las Casas, évêque au Mexique. Sa foi pour défendre les Indiens ne s'arrêta ni à son diocèse ni même au Mexique. Elle embrasa alors les deux continents américains, du Rio Grande à la Terre de Feu, où une armée de moines haïs et souvent persécutés par les conquistadores firent de 1'évangile une arme contre l'oppression des Indiens. Malheureusement, ce feu ne dura que le temps du XVIme siècle, son extinction s'étant faite en même temps que la décadence de 1'Espagne.

Las Casas fut le véritable fondateur des droits de l'homme, pour avoir lutté toute sa vie pour les droits d'êtres humains auxquels on avait tout dénié, y compris le droit de vivre. Aucune idéologie, aucune philosophie ne guidait les actions de Las Casas et de ses disciples d'alors. Ils n'étaient guidés que par leur Éthique de l'amour de l'Homme. Pour eux, tous les hommes étaient des fils de Dieu, quelle que fusse la couleur de leur peau.

Las Casas n'est pas reconnu partout mais, comme écrit l'historien mexicain Justo Sierra, il a un autel dans le coeur de chaque Indien. Près de la Cathédrale de Mexico les Indiens ont érigé un monument à la mémoire du père des droits de l'homme, et à une place proéminente du Ministère de l'Éducation Nationale du Mexique le nom de Las Casas figure entre celui de Platon et du Bouddha.

1/. Alfonso Toro, HISTORIA DE MÉXICO, Mexico 1956, tome II, page 103.
2/. M. León Portilla, VISION DE LOS VENCIDOS, éd. UNAM, Mexico 1959, page 188.
3/. F. George Kay, THE SHAMEFUL TRADE, A.S. Barnes and Company, New Jersey 1968, pages 86-87 et 157.
4/. Mark Twain, KING LEOPOLD's SOLILOQUY, page 52.
5/. Victor Schoelcher, ESCLAVAGE ET COLONISATION, éd. P.U.F. 1948, page 33.
6/. Las Casas, BREVICIMA RELACIÓN, Buenos Aire 1953, page 25. 


I. L'EUROPE À L'ASSAUT DU NOUVEAU MONDE.


I. 1/. LES AMÉRINDIENS PRÉCOLOMBIENS


a) Culture.


«... les Indiens et leur civilisation furent tellement détruits et maltraités par les Espagnols, qu'il n'en est rien resté de ce qu'ils étaient auparavant. Ainsi on les tient pour des barbares et pour des gens du plus bas degré. Mais en vérité, en matière de civilisation, ils pourraient en montrer à beaucoup de nations qui ont la présomption d'être civilisées.» (1)

L'auteur de ces lignes quitta sa chaire de professeur à l'Université de Salamanque pour aller, en tant que moine franciscain, en «Nouvelle Espagne» (comme on appelait alors Le Mexique). Il s'y consacra à la protection des Indiens et au sauvetage de ce qui pouvait encore l'être, malgré que le pays fut encore aux mains de nos barbares Européens qui avaient suivi Christophe Colomb. L'oeuvre de Fray Bernardino de Sahagún fut «monumentale», au dire de Americo Castro.

Au même siècle, une grande voix s'élevait aussi en France contre la présomptueuse tradition européenne consistant à traiter de «barbare» toute civilisation qui ne serait pas le reflet de la sienne. Au sujet des Indiens du Brésil, qui vivaient pourtant encore à l'âge de pierre, Montaigne écrit :
«J'ai vu autrefois parmi nous des hommes amenés par mer de lointains pays, desquels parce que nous n'entendions pas le langage, et que leur façon, au demeurant, et leur contenance, et leurs vêtements étaient de tout éloignés des nôtres, qui de nous ne les estimait et sauvages et brutes? Qui n'attribuait à stupidité et bêtise de les voir muets, ignorant la langue française, ignorant nos baisemains et nos inclinations serpentées, notre port et notre maintien, sur lesquels, sans faillir, doit prendre son patron la nature humaine.» (2)

L'opinion de Sahagún sur les civilisations indiennes détruites fut confirmée brièvement par un autre témoin oculaire, le père jésuite José de Acosta, dans son HISTORIA NATURAL Y MORAL DE LAS INDIAS :

«... de plus, écrivit-il, sans savoir rien de cela (qu'ils «rendent des points à beaucoup de nos républiques»), nous pénétrons chez eux épée en main, sans les écouter ni les entendre, et nous ne voulons croire que les choses des Indiens méritent autre considération que celle de la chasse à l'homme pour les mettre à discrétion à notre Service.» (3)
Le niveau culturel des Incas et des Mayas était alors bien supérieur à celui des conquistadores, dont la plupart étaient des illettrés, et les Aztèques aussi auraient pu leur rendre des points dans ce domaine.

Ceci explique l'étonnement de Fray Toribio de Benavente (Motolinia) de voir les Indiens du Mexique (où il exerçait son apostolat), une fois convertis au christianisme, apprendre si vite le latin qu'au bout de cinq ans d'enseignement ils confondaient déjà les clercs espagnols (4). Il en fut tellement impressionné qu'il consacra le chapitre LIX de son ouvrage MEMORIALES sur «L'INGÉNIOSITÉ ET HABILITÉ DES INDIENS EN SCIENCES DE LIRE, ÉCRIRE, COMPTER, ET JOUER DE LA MUSIQUE» (5). Il précise qu'en musique «Les Indiens apprennent en deux mois ce qu'en Espagne les Espagnols n'apprennent pas en deux ans» (6). Notons qu'il s'agit là du Mexique, dont le niveau de civilisation des Aztèques était, pour moi, légèrement mois développé que celui des Incas ou des Mayas. Malgré tout, leur
«calendrier qui est réglé sur la révolution annuelle du soleil, non seulement par l'addition de cinq jours tous les ans, mais encore par la correction du bissextile, doit sans doute être regardée comme une opération déduite d'une étude réfléchie et d'une grande combinaison. Il faut donc supposer chez ces peuples une suite d'observations astronomiques, une idée distincte de la sphère, de la déclinaison de l'écliptique et l'usage d'un calcul concernant les jours et les heures des apparitions solaires.» (7)

C'était là le calendrier des Aztèques. Quant à celui des Mayas,
«Leurs prêtres calculaient l'année astronomique avec 365,2420 jours, s'approchant ainsi davantage de nos calculs d'aujourd'hui qui sont de 365,2425 jours.» (8)
Ils faisaient donc usage d'un calendrier plus exact que celui de Grégoire XIII (9). On ne peut naturellement juger du niveau d'une civilisation par la seule supériorité de son calendrier. Dans le domaine religieux, nous avons également des informations, car parallèlement au rite chrétien, les Mayas continuèrent leurs pratiques ésotériques précolombiennes. Parmi les rares hommes qui ont eu le privilège de gagner leur confiance et assister à leurs Mystères, l'indianiste Rafael Girard, fort impressionné de leur mysticisme, écrit :
«d'avoir joui du rare privilège d'être admis à assister à ces étranges cérémonies de profond mysticisme, j'ai vu se poser un autre problème, celui du langage métaphorique qui n'est pas à la portée de notre entendement.» (10)

Ce mysticisme des Mayas doit être d'un niveau civilisateur supérieur puisqu'il a formé des hommes à propos desquels :
«Les anthropologues qui se penchèrent de près sur les Indiens Maya ou Quiché distinguent leurs traditionnelles qualités comme suit : coexistence harmonieuse, domination de soi, pacifisme, altruisme, amour de la Justice, de la Vérité..(11)
Rafael Girard écrit encore ailleurs, d'après ses propres observations :
«Durant les travaux agricoles qui constituent l'activité de base des Indiens, et qui s'exécutent par le système d'aide mutuelle, l'application du principe social collectif est notoire.» (12)

Ainsi, plus de quatre siècles d'oppression n'altérèrent pas leurs moeurs de solidarité, et l'INDIVIDUALISME égoïste qui caractérise notre civilisation n'a pas réussi à les corrompre.

Nos anciens historiens, même les mieux intentionnés, ne se privent pas de traiter les Indiens de «sauvages». Du point de vue même de notre conception de ce mot, sont tels des hommes qui vivent sans villes, sans routes reliant les villes entre-elles, sans lois, sans bâtiments publics, sans médecine. Pour nous faire une idée donc de ce qu'étaient les villes des Indiens, les mieux placés pour nous les décrire sont ceux qui les détruisirent. Voici l'opinion d'un des principaux destructeurs de joyaux d'architecture Indienne, Hernán Cortés

«Tlaxcala est si grande et tant digne d'admiration que le peu que j'en dirais est incroyable, parce qu'elle est beaucoup plus grande que Grenade, avec d'aussi bons édifices, et beaucoup plus peuplée que cette dernière l'était du temps où elle fut conquise. Mieux ravitaillée des choses du pays, avec un grand marché où trente mille âmes achètent et vendent, sans compter les petits marchands à travers la ville. Il y a des joailleries d'or, d'argent et des pierres précieuses, aussi bien conçues que sur les places et marchés du monde entier.» (13)

Cortés de poursuivre plus loin : «Il y a entre eux toute sorte d'ordre et de la police, justice et harmonie, autant que le mieux en Afrique ne les égale». Il s'agit là de l'Afrique du Maghreb, d'un niveau de civilisation supérieur alors à celui de l'Europe elle-même. Quant à «l'ordre et police» qui régnaient chez ces «sauvages», Cortés poursuit :

«Un des indigènes de cette province vola de l'or à un Espagnol. Je l'ai dit à ce magiscatzin qui est le plus grand seigneur de tous. Ils firent une enquête, découvrirent le coupable et me l'amenèrent afin que je le punisse.» (14)

Pas question naturellement de punir l'Espagnol qui avait volé cet or aux Indiens...

Cette relation de Cortés sur l'ordre qui régnait chez les Aztèques à son arrivée (1519) mérite d'être comparée avec l'ordre qui régnait en Europe au XVIIme siècle. En France, par exemple, sous Louis XIII (1610-1643), Voltaire écrit que «Les villes étaient sans police, les chemins impraticables et infestés de brigands.» (15)
Pour Cortés, brigand lui-même, l'ordre qui régnait alors chez les «sauvages» Indiens dût lui paraître digne d'être mis en relief!

1/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1946, tome I, page 12.
2/. Michel de Montaigne, LES ESSAIS, Livre Second, Chapitre XII. Retour ^
3/. Cité par Garcilaso de La Vega dans COMENTARIOS REALES, Livre II, Chapitre 27.
4/. Motolinia, MEMORIALES, éditions UNAM, Mexico 1971, page 239.
5/. Idem, page 255.
6/. Idem, page 238.
7/. Carli, LETTRES D'AMERIQUE, tome I, lettre 23. Cité par W.H.Prescott dans THE COMPLETE WORKS, London 1896, volume III, page 105.
8/. Richard Konetzke, FISCHER WELTGESCHICHTE, Band 22, page 16.
9/. Ce calendrier fut appelé grégorien parce qu'il vit le jour sous le Papa Grégoire XIII et sous son impulsion. Cependant, l'auteur n'en était pas le pape, mais Lelio, un médecin italien originaire de Rome. La même injustice se produisit avec le calendrier «julien» attribué à Jules César, tandis que son véritable auteur était Sosigènes...
10/. Rafael Girard, Introduction à LOS MAYAS ETERNOS, éditions Libremex, Mexico 1962, page VII.
11/. Rafael Girard, ouvrage cité, page 474.
12/. Idem, page 349
13/. Hernán Cortés, CARTAS Y RELACIONES, éd.Emecé, Buenos Aires 1945, page 1333.
14/. Idem, p. 136.
15/. Voltaire, Essai sur les moeurs, CLXXV. 

b) Urbanisme.


Là où l'admiration de Cortés atteignit l'enthousiasme en voyant les magnificences de la capitale des Aztèques, ce fut lorsqu'il vit quelque chose de réellement inconnu alors en Europe : UN JARDIN BOTANIQUE! Le premier jardin botanique ne fut inauguré en effet en Europe qu'en 1545 à Padoue, soit un quart de siècle après.

Le plus célèbre chroniqueur de la Conquista fut le conquistador Bernal Díaz del Castillo, un subordonné de Cortés. Il fixa ses impressions et celles de ses frères d'armes avec autant de lyrisme que de pittoresque. Il relate leur passage par Iztapalapa, en route vers la grande Tenotchtitlán, le Mexico d'aujourd'hui. En voyant les merveilles qui se déroulaient de chaque côté de cette fameuse chaussée qui s'appelle encore aujourd'hui Iztapalapa, «si droite et de niveau», Bernal Díaz laisse libre cours à. son talentueux lyrisme et (trente ans après la Conquista) écrit :
«... nous restâmes émerveillés et nous disions que tout cela semblait comme un enchantement, comme les contes du livre d'Amadis, de voir ces tours, ces sommets de pyramides, ces édifices surgissant de l'eau et le tout en maçonnerie. Il y avait des soldats qui se demandaient si tout cela n'était pas un rêve.» (1)

Nostalgique, il se lamente que «Maintenant tout cela gît sur le sol, perdu, et rien ne reste sur pied. Passons plus loin...» (2). Oui, passons plus loin, sans y ajouter que «rien ne reste sur pied» depuis l'arrivée de nos BARBARES Européens. Il continue sa relation des merveilles de la grande Tenotchtitlán par :
«En arrivant sur la grande place qu'ils appelaient Tlatelulco, comme nous n'avions jamais vu telle chose, nous restâmes en admiration sur la multitude de gens et de marchandises qu'il y avait, ainsi que sur l'ordre qui y régnait. Chaque sorte de marchandise avait sa place désignée et signalée de partout. Nous commençâmes par visiter les marchands d'or, d'argent, de pierres précieuses, d'orfèvreries, de plumes et de vêtements. Toutes sortes de vaisselle façonnée de mille manières...» (3)

Il continue pour exprimer l'admiration de ses frères d'armes, en écrivant :
«Il y avait parmi nous des soldats qui avaient été en plusieurs parties du Monde, à Constantinople, en Italie, à Rome, et ils disaient qu'une place faite aussi symétriquement et avec tant de monde, et où il y régnait tant d'ordre, ils ne l'avaient jamais vu nulle part.» (4)
L'historien espagnol Oviedo, contemporain de le Conquista et témoin oculaire, confirme les conquistadores en écrivant :
«J'ai vu des pierres précieuses ouvragées en têtes d'oiseaux, d'animaux et autres figures, que je doute il puisse exister quelqu'un en Espagne ou en Italie capable de les faire avec tant de précision.» (5)
C'est là l'opinion d'un historien qui ne se distingue pas dans son oeuvre par sa sympathie envers les Indiens, au contraire!

De même, l'évêque de Yucatan Don Diego de Landa ne se distingua pas par sa sympathie envers les Indiens. On lira plus bas sur les oeuvres d'art qu'il détruisit comme «oeuvres de Satan», et le grand nombre d'Indiens qu'ils fit périr sur des fagots ardents. Cependant, sur ses vieux jours (avait-il commencé à croire en Dieu?), il prit sa plume pour nous laisser une oeuvre magistrale sur les Indiens de son diocèse. Les quelques lignes ci-dessous, venant de sa part, sont un témoignage péremptoire contre les calomniateurs des «sauvages Indiens» :
«Il y a au Yucatan, écrit-il, beaucoup d'édifices de grande beauté, et c'est la chose la plus remarquable qu'on ait découvert ici. Tous ces édifices sont en pierre de taille... » (6)
«En la ville, ils ont une bâtisse pour leur conseil municipal et une justice sérieuse règne parmi eux.» (7)

Une justice qui cessa naturellement de régner dès l'arrivée des Diego de Landa.
 Laissons encore parler un ami des conquistadores, le moine franciscain Toribio de Benavente, dit Motolinia, sur ce qu'étaient les villes des Indiens avant leur destruction par nos barbares Européens. Il écrit au sujet de la capitale des Aztèques :
«Je crois qu'en toute l'Europe il y a peu de villes avec tant de maisons et de population, et tant de villages autour d'elles.» (8)
«Des rues si bien balayées, et le sol plat et lisse, que même si la plante des pieds était aussi délicate que la paume de la main, on n'aurait souffert en aucune façon d'aller nu-pieds.» (9)

Cela en des temps quand peu nombreuses étaient les rues propres et pavées dans les capitales de l'Europe. Même un siècle après l'invasion de l'Amérique par nos barbares Européens, en France, sous le règne du roi Louis XIlI, «les rues de Paris, étroites et mal pavées, et couvertes d'immondices dégoûtantes, étaient remplies de voleurs» comme écrivait Voltaire dans son SIECLE DE LOUIS XIV. (Ch.II)

Assez parlé des Aztèques, des Mayas et des Tlaxcaltèques. Voyons aussi chez un des plus sérieux chroniqueurs du Pérou, le conquistador Pedro Cieza de León, combien magnifiques étaient les cités des Incas avant leur destruction. Au sujet de leur capitale Cuzco, Pedro Cieza écrit :
«Il y avait des grandes rues... , les maisons étaient faites de pure pierre; avec de si jolies jointures qu'elles démontrent combien ces constructions étaient anciennes.» (10)

Dans les palais de Cuzco venaient «de toutes les provinces»
«Les fils des seigneurs provinciaux pour un séjour à la Cour, suivis de leurs serviteurs et de leur suite. Il y avait grand nombre d'argentiers, de doreurs qui savaient oeuvrer tout ce que les Incas leur commandaient.» (11)

Les fils des seigneurs des provinces n'allaient pas à la Cour pour y festoyer. Ils y allaient pour s'instruire auprès des amautas, l'élite intellectuelle de l'empire inca. La vie culturelle ne se limitait pas à la capitale. Dans sa description du fameux Palais de Toupaïnga Youpangue, en province, Pedro Cioza admira
«La grande place où il y avait des bancs à dossier comme au théâtre, pour s'asseoir et assister aux danses et fêtes. Le Temple du Soleil avait deux grands portails pour y accéder, avec deux escaliers de pierre de trente marches chacun.» (12)

1/. Bernal Díaz del Castillo, HISTORIA VERDADERA DE LA CONQUISTA DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1955, page183.
2/. Idem, page184.
3/. Idem, pages197-198.
4/. Idem, page 199.
5/. Gonzalo Fernandez de Oviedo, cité par W.H.Prescott, dans THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume III, page 461.
6/. Fray Diego de Landa, RELACIÓN DE LAS COSAS DE YUCATÁN, Editions Porua, Mexico 1959, page 11.
7/. Idem, page 232.
8/. Motolinia, HISTORIA DE LOS INDIOS, éd. Gili, Barcelone 1914, page 184.
9/. Motolinia, MEMORIALES, éd. Unam, Mexico 1971, page 207.
10/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PEROU, Buenos Aires 1945, p.279, Ch. CXIV.
11/. Idem, page 243, chapitre XCII.
12/. Idem, page 237.

c) Artisanat et voies de communication.

En matière de sculpture
«Des idoles de pierre, des silhouettes et figures humaines très joliment réalisées, et si grandes qu'on admire les forces humaines qui ont pu les transporter et poser là où elles se trouvent.» (1)

Nos archéologues se perdent encore aujourd'hui en conjectures sur ces statues géantes chez un peuple qui ne connaissait pas la roue comme moyen de transport. Platon avait-il raison avec sa fiction sur l'Atlantide?... Et quel admirable artisanat!!
«Pour faire des vêtements, ils possédaient des couleurs si parfaites : cramoisi, bleu, jaune, noir et autres, que vraiment ils rendaient des points à l'Espagne.» (2)

Dans ce domaine, au Mexique aussi
«Ils portaient différentes sortes de vêtements de coton, si fins et bien tissés qu'ils fallait les toucher pour les distinguer de la soie.» (3)
Cela sur les villes et les habits des «sauvages». Un autre fait caractérise une civilisation : se sont les routes reliant les villes entre elles. Le pays des Incas était un immense empire qui s'étendait du Rio Maule (Chili) au Rio Ancasmayou(Colombie). Cependant, les liaisons entre la capitale Cuzco et les villes de province étaient faites par des routes qui n'ont pas seulement provoqué l'admiration pour leurs qualités, mais surtout pour les difficultés que les ingénieurs Incas ont dû surmonter pour «élever des vallées, tailler dans la roche et humilier l'altesse des Monts», sans parler des ponts au dessus d'impétueux torrents. Al.Humbold s'extasia devant
«Cette chaussée, bordée de grandes pierres de taille qui peut être comparée aux plus belles routes des Romains an Italie, en France et en Espagne. Le grand chemin de l'Inca est un des ouvrages des plus utiles et des plus gigantesques que les hommes aient exécutés.» (4)

W.H.Prescott consacre lui aussi plusieurs pages élogieuses sur le réseau routier des Incas dont les lignes ci-dessous caractérisent la compétence des «barbares Indiens», comme il les appelle :
«Ces routes étaient pavées de lourdes dalles extraites de pierres de taille et, par endroits au moins, pavées d'un ciment bitumeux que le temps rendait plus dur que de la pierre.» (5)

Pedro Cieza compare la route mentionnée par Humbold avec celle
«que fit Hannibal dans les Alpes quand il descendit en Italie. Celle-ci peut être estimée supérieure en tenant compte des grands bâtiments pour voyageurs et des dépôts qu'il y avait. Cela force 1'admiration.» (6)

Fernando Pizarro de s'exclamer émerveillé :
«Rien dans la chrétienté égale la magnificence de cette route!» (7)
De belles villes, de belles routes, de beaux Jardins Botaniques, de beaux Temples, de belles Pyramides, un artisanat très supérieur à celui de l'Europe d'alors.
 
1/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PEROU, Buenos Aires 1945, p.264.
2/. Idem, page 279.
3/. Ant. de Solís, HISTORIA. DE LA CONQUISTA DE MEJICO, Madrid 1970, page 20.
4/. Cité par W.H.Prescott, dans THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume V, page 65.
5/. Idem, page 60.
6/. Pedro Ciaza de León, LA CRONICA DEL PEROU, Buenos Aires 1945, page 121.
7/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume V, page 396.
 

d) Agriculture et justice sociale.


Il y avait quelques chose d'endémique dans l'Europe de Colomb que les «sauvages Indiens» ne connaissaient pas : la Famine! Ce fut là un des principaux apports dont nous les avons accablés, fléau familier en Europe alors, mais inconnu là-bas. Cependant il faudrait bien souligner ici que ces «sauvages» mangeaient pour vivre et ne vivaient pour manger comme nous faisons parfois. Comme écrivait Las Casas :

«Un Espagnol mange en un jour plus qu'un Indien pendant un mois», et qu'il «semblait aux indiens que ces gens-là (les conquistadores) sont venus au monde rien que pour manger.» (1)

Les Indiens «primitifs» étaient heureux et satisfaits de ce dont la Nature les avait comblés, sans autre mal que celui de cueillir, pêcher ou chasser. Quant aux Indiens organisés en grands empires comme les Incas :
«Les greniers publics regorgeaient de vivres et les fonctionnaires étaient chargés de pourvoir à la subsistance de leurs administrés.» (2)
«Une responsabilité très lourde stimulait le zèle des fonctionnaires : si un Indien avait volé par malice ou paresse, il était puni; s'il avait agi sous l'empire de la nécessité, c'est son chef hiérarchique qui était châtié.» (3)
«Quand un homme était réduit à la mendicité par pauvreté ou par malchance, le bras de la loi s'étendait sur lui pour lui porter assistance. Pas l'assistance qui se borne à la charité privée, ni celle répartie goûte à goûte, comme c'était le cas en Europe, par les réservoirs glaciaux de la paroisse, mais généreusement, sans être accompagnée d'humiliation, et plaçant le bénéficiaire sur un niveau égal à celui de ses compatriotes.» (4)

Qui aurait en ces temps, en Europe, rêvé d'une pension de retraite pour tous? Chez les «sauvages» du Pérou,
«au dessus de 60 ans, le vieillard était susceptible de donner des conseils seulement.» (5)

De même chez les Mayas, l'entraide sociale régnait partout avant l'arrivée de Diego de Landa, qui avoue que
«C'était la coutume de chercher dans les villes les infirmes et les aveugles pour leur donner le nécessaire.» (6)

A la même époque, pendant laquelle la présomptueuse Europe se mit à exporter sa civilisation, on vivait chez-elle devant ce lamentable spectacle de
«certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer du pain qu'ils ont semé.» (7)

Et ils en manquaient! La bruyère écrivait cela vers la fin du 17ème siècle. Au siècle suivant, en janvier 1772, dans une lettre à Joshua Babcock, Benjamin Franklin le confirmait en décrivant comme suit la vie des paysans d'Irlande et d'Ecosse :
«Dans ces contrées il y a un petit nombre d'hommes qui sont propriétaires, nobles, gentlemen; leur opulence est extrême; ils vivent dans l'abondance et la magnificence. La masse du peuple est composée de tenanciers, extrêmement pauvres, qui vivent dans une misère sordide, couchent dans des tanières de boue et de paille, et ne sont vêtus que de haillons ...

Je vous assure que, pour la jouissance et le bien être de la vie, tout Indien comparé à ces pauvres gens est un gentleman.»

«les greniers publics regorgeaient de vivres» écrivait Louis Boudin tout en traitant les Indiens de «sauvages». Ces vivres n'étaient cependant pas de la manne tombée du ciel. Ils étaient le résultat d'une organisation réfléchie de l'économie agricole au service de tous, une économie DETRU1TE délibérément par nos barbares Européens dès leur arrivée :

«La FAIM fut une des plus grandes calamités qui flagellèrent les Indiens (8) au commencement de la conquista. Elle fut causée par la méthode des conquistadores qui consistait à raser leurs fermes et leurs terres ensemencées pour les obliger à se soumettre.» (9)

Contemporain de la Conquista et de la famine qu'elle importa d'Europe, le père franciscain Motolinia, dans son catalogue des «Dix Plaies» (comme celles d'Egypte) que «Dieu» aurait envoyé aux Indiens pour les punir d'avoir adoré des «faux dieux», range la Faim en troisième place :
«La troisième plaie fut une grande faim qui suivit la conquête du Mexique» (10).

Ce n'est cependant pas Dieu qui leur envoya la famine. Un père n'affame pas ses enfants! Ils n'avaient pas faim avant l'arrivée de Colomb, car ils vivaient au sein de civilisations qui savaient obtenir deux récoltes par an, dans un pays où la pluie était un phénomène rarissime.
«J'ai déjà dit», écrit Pedro Cieza, «qu'il ne pleut pas chez eux, et que leur eau provient d'irrigations. En ces vallées les Indiens sèment du maïs et obtiennent deux récoltes par an et en abondance.» (11)
«Cette vallée de Toumbez se trouvait être très peuplée et labourée, pleine de frais et jolis canaux avec lesquels ils irriguaient tout ce qu'ils voulaient, et obtenaient beaucoup de maïs et autres choses nécessaires à la subsistance des hommes, ainsi que de beaux et très savoureux fruits.» (12)
«Par un judicieux système de canaux et aqueducs souterrains,» écrit Prescott, «les désertiques espaces de la côte étaient rafraîchis par de copieux courants qui les paraient de fertilité.» (13)
«Sous la zone torride il fallait de l'irrigation. Ils l'obtenaient avec grands soins, et ne semaient pas du maïs sans irrigation. Ils ouvraient aussi des canaux pour arroser des pâturages quand l'automne retenait ses eaux. Car ils voulaient aussi bien prendre soins de leurs pâturages que de leurs semailles parce qu'ils avaient beaucoup de bétail.» (14)

Les canaux d'irrigation mentionnés ci haut furent admirés par tous les chroniqueurs de l'époque, et récemment Victor Von Haagen, archéologue nord-américain les résume tous en quelques mots :
«Les ingénieurs des Incas domptaient les impétueux cours d'eau jaillis des glaciers, et les canalisaient très attentivement dans leur descente vers les vallées, pour arroser des champs, quoique séparés de leur point de départ par de longues distances. Cette technique aidait les Incas à contrôler la densité de la population et donner au corps social un équilibre méticuleux entre population et productivité.» (15)

C'est pour cela que les Indiens ne souffraient jamais de faim.
«La famine, un fléau si connu alors dans chaque pays de l'Europe civilisée, était un mal inconnu dans les dominions des Incas» (16), écrit Prescott.

Cette absence de famine avait certainement contribué pour sa part au règne de la Moralité chez les Incas.D'après Carli : «Sans doute l'homme du Pérou estoit infiniment plus perfectionné que l'Européen» (17).

Il l'était aussi parce qu'il y régnait une Justice au sujet de laquelle Motolinia écrit pour le Mexique que
«Si dans un procès un juge favorisait un personnage haut placé au préjudice d'un homme du peuple, le seigneur, en apprenant la vérité, faisait pendre le juge et rendre la sentence en faveur du plébéien.» (18)

C'est sans doute à force de vivre dans cette ambiance que, si la première surprise des Indiens à l'arrivée des Cortés et Pizarro fut celle d'avoir eu à subir leur cruauté, la deuxième fut celle de les voir se voler les uns les autres.
S'il y a donc aujourd'hui des Indiens qui volent, il faut croire qu'ils furent de bons élèves. A propos de «Morale», c'est le MEA CULPA de remords que fit un conquistador sur son lit de mort qui est impressionnant. Mancio Sierra Leguisano, dans une relation-testament envoyée à Philippe II, lui écrivait entre autres :
«Il faut que Sa Majesté Catholique le sache, nous avons trouve ces contrées dans une situation telle, qu'il n'y avait ni un voleur, ni un homme vicieux; et je voudrais que Sa Majesté Catholique comprenne pourquoi je rédige cette relation. C'est pour décharger ma conscience et me connaître coupable, car nous avons transformé ces individus qui avaient tant de sagesse et commettaient si peu de délits et d'extravagances, que le possesseur de cent mille pesos d'or et d'argent laissait sa porte ouverte en fixant un balai ou un petit morceau de bois en travers de la porte pour indiquer qu'il etait absent : ce signe conforme à la coutume suffisait pour éviter que quelqu'un m'entrât et ne prit quelque chose. Ainsi nous méprisèrent-ils quand ils virent parmi nous des voleurs.» (19)

En effet, quelle ne fut la surprise des Indiens quand ils virent les conquistadores commencer à mettre des serrures à leurs portes. C'était là un gadget inconnu chez les sauvages avant l'arrivée de nos barbares Européens. Malgré cela, d'après nos pundits anciens, l'Europe fut porteuse de civilisation au Nouveau Monde, quand en réalité elle n'y porta que des vices, des maladies, la Faim, et... des serrures!
 
1/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome I, page 398.
2/. Louis Baudin, LES INCAS DU PEROU, éd. Médicis, Paris 1947, page 111.
3/. Idem, page 128.
4/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, Vol V, page 57.
5/. Louis Baudin, LA VIE QUOTIDIENNE AUX TEMPS DES DERNIERS INCAS, Hachette 1955, p. 12.
6/. Fray Diego de Landa, RELACIÓN DE LAS COSAS DE YUCATÁN, Editions Porua, Mexico 1959, page 14.
7/. La Bruyère, LES CARACTERES.
8/. Il s'agit ici des Indiens du Chili, pas des Peaux-Rouges de Benjamin Franklin.
9/. Fr. Valenzuele, HISTORIA DE CHILE, Santiago du Chili 1960, page 130.
10/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 25.
11/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PERÚ, Buenos Aires 1945, page 293.
12/. Idem, page 179.
13/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume V, page 5.

14/. Garcilaso de La Vega, COMENTARIOS REALES, page 325.
15/. Victor von Haagen, THE REALM OF THE INCAS, éd. New American Library, New York 1961, page 66.
16/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896,volume V, page 159.
17/. Idem, page 160.
18/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 354.
19/. Louis Baudin, LA VIE QUOTIDIENNE AUX TEMPS DES DERNIERS INCAS, Hachette 1955, pages 132-134.

e) Médecine.


Après toutes ces vérités sur les «sauvages», cela vaut la peine de faire une comparaison entre leurs médecines et la nôtre. On ne saurait, certes, faire des comparaisons entre une médecine développée au point où en est aujourd'hui la nôtre et celle des Indiens d'il y a cinq siècles, «brisée par la Découverte» (de l'Amérique) comme écrit Paul Rivet. La comparaison devrait donc être faite entre médecines des Indiens au XVme siècle et la non-médecine de l'Europe d'alors.

Même au siècle suivant celui de François 1er, en 1611, le «médecin» d'Henri IV, Jacques Fontaine, cherchait dans ses «diagnostiques» la «Marque du Diable», et écrivait péremptoirement :
«Ceux qui disent qu'il est difficile de distinguer les marques du Diable des défauts naturels, d'un furoncle ou d'un impétigo, montrent clairement qu'ils ne sont pas de bons médecins.» (1)

Au temps d'Henri IV et de son «médecin», cela faisait plus d'un siècle que l'on avait détruit les civilisations du Nouveau Monde. Avant cela, la médecine y était la Reine des Sciences tant chez les Incas que chez les Aztèques ou les Mayas. Au Pérou par exemple :
«... médecine et pratiques chirurgicales chez les Incas semblent avoir été aussi avancées, et même en certains points peut-être encore plus avancées, que lorsque Ambroise Paré arrachât la médecine de son sommeil médiéval en Europe au XVI siècle.» (2)

Quant au Mexique,
«En chirurgie ils avaient fait de grands progrès; ils soudaient des os brisés et pratiquaient des opérations aussi difficiles que la trépanation.» (3)

Complétons Alfonso Toro en ajoutant qu'on y pratiquait même la chirurgie esthétique pour réparer les visages des belliqueux Aztèques démolis aux combats. De même chez les Mayas, comme écrit Diego de Landa, quoique à sa manière bien particulière :
«Il y avait aussi des chirurgiens, ou pour mieux dire, des sorciers qui guérissaient avec des herbes et beaucoup de superstitions.» (4)

Alors si leurs «superstitions» les guérissaient, pourquoi traiter leur méthode curative de sorcellerie? Tous les religieux espagnols n'étaient pas des Diego de Landa. Le moine augustin Antonio de la Calancha, dans sa CORONICA MORALIZADA DEL ORDEN DE SAN AGUSTIN EN EL PERÚ, fait l'éloge de la médecine paléo-péruvienne. Il la compare avec la «médecine» de son temps en Europe, dont il critique la «maldita ignorancia', la «maudite ignorance» de nos «médecins» d'alors, et écrit dans son livre publié en 1639 :

«Parmi les indigènes du Pérou il y avait des médecins sublimes, et le Deuxième Concile de Lima avait dû constater qu'ils étaient extraordinairement capables, et devaient être autorisés à guérir avec des herbes, des eaux et des massages; et disposa en son chapitre 111 que personne n'avait le droit de les empêcher d'exercer.»

Plus récemment, deux chirurgiens péruviens, les docteurs Graña et Rocca, ont prouvé au monde médical moderne que du temps des Incas on maîtrisait au Pérou les trépanations de la boîte crânienne, et à l'occasion de fouilles archéologiques on y a découvert des instruments chirurgicaux :
«Avec ces instruments, les docteurs Graña et Rocca opérèrent actuellement des trépanations du crâne sur un patient vivant, utilisant les techniques opératoires des Incas. Ils utilisèrent la forme inca du tourniquet appliqué tout autour de la tête, et prouvèrent ainsi l'efficacité des anciennes techniques opératoires.» (5)

Se représente-t-on nos médecins au temps d'Henri IV en train d'opérer une boîte crânienne, même en ayant recours à la «marque du Diable»??? Pedro Cieza aussi vante les connaissances médicales des paléo-péruviens, ainsi que leur maîtrise de la botanique. Comme écrivait Paul RIVET, que de services nous rendent encore aujourd'hui le Quinquina, l'Ipécacuana, le copahu du Pérou!

L'Inca Pachacutec avait décrété que
«Le médecin ou herboriste qui ignore les vertus des herbes ou qui connaissant les vertus de quelques-unes seulement ne cherche pas à les connaître toutes, sait peu ou rien. Il lui faut donc travailler pour les connaître toutes et mériter ainsi le nom auquel il prétend.» (6)

Un vrai barbare ce Pachacutec qui prescrivait à ses médecins 1'étude de la botanique au lieu de chercher la «marque du Diable». Un médecin hollandais, le Dr P.Feritz, fit il y a quelques années un séjour de deux ans parmi les Curanderos (médecins traditionnels) du Pérou. Il étudia leurs procédés et les fit connaître dans un rapport publié en Allemagne aux éditions «Ringelheimer Biologische Umschau» à Saltzgitter-Ringelheim. D'après Dr Feritz les médecins traditionnels font des analyses d'urine à leur façon, comme les faisaient leurs ancêtres il y a plus de cinq siècles, et découvrent le diabète aussi aisément que cela se fait dans nos laboratoires. Ils le soignent et le guérissent avec, des herbes et une diète.

Au Mexique aussi, la botanique était maniée de main de maître. Avant Colomb les Indiens savaient tirer profit pour leur santé des herbes dont la Nature les avait dotés avec opulence :
«Aucun pays a eu autant d'espèces de plantes médicinales comme le Mexique, et leurs vertus étaient parfaitement connues par les Aztèques, qui, on pourrait le dire, avaient scientifiquement étudié la botanique médicinal.» (7)

Grâce aux herbes médicinales et à leur médecine adaptée à leurs maladies, les Indiens vivaient très sainement. Cependant, comme écrit Louis Baudin
«Ce sont surtout les maladies apportées de l'Ancien Monde, la petite vérole et la rougeole, qui ont causé des ravages.» (8)

Oui, des RAVAGES! qui les ont littéralement décimés par endroit. Motolinia avait constaté ceci sur place et en son temps. Au sujet de la variole, il écrit qu'à l'arrivée au Mexique de Pánfilo de Narvaez, un de ses hommes atteint de variole, en 1520 (six mois après l'invasion) :
«cette maladie jamais connues en ces terres se propagea de telle façon, qu'elle créa chez eux une pestilence qui dams la plupart des provinces causa la mort de plus de la moitié des gens. Ils mouraient comme un monceau de punaises.»
«11 ans après, vint un Espagnol atteint de rougeole, qui se propagea chez les Indiens tant que de très nombreux en moururent.» (9)

Et le «monceau de punaises» s'entassait partout où nos barbares Européens mettaient leurs pieds. Au lieu d'avoir des remords de ces apports civilisateurs, on les insulte de surcroît, avec l'accusation sans preuve, que les marins de Christophe Colomb auraient amené du Nouveau Monde la syphilis, une maladie qu'on confondait alors avec la lèpre. Comment nos «Diafoirus» du XVme siècle auraient été capables de distinguer une manifestation de syphilis d'un cas de lèpre! Sahagún, qui n'a rien laissé des «choses» des Indiens précolombiens sans en référer dans ses travaux, écrit bien au sujet de la lèpre (10) et des soins qu'on lui portait, mais pas un mot sur l'existence de la syphilis.

Leur médecine était supérieure à la nôtre d'alors parce qu'elle avait un puissant allié : l'Hygiène, contrairement à la nôtre qui souffrait de son l'absence. Sahagún écrit que les Indiens enseignaient à leurs enfants :
«Avant le repas tu dois te laver les mains et la bouche. De même après avoir mangé te nettoyer les dents» (11).
Motolinia de son côté constatait que chez les Indiens :
«c'était une grande habitude en bonne santé ou malades de se baigner souvent» (12).
Malgré cela l'Europe traita les Indiens de «sales», de «voleurs», de «barbares».
 
1/. Cité par J.C.Lauret et R.Lasierra, dans LA TORTURE ET LES POUVOIRS, éditeurs Balkand, Paris 1975, page 130.
2/. Victor von Haagen, THE REALM OF THE INCAS, éd. New American Library, New York 1961, page 106.
3/. Alfonso Toro, HISTORIA DE MÉXICO, éditions Patria, Mexico 1956, tome I, page 386.
4/. Fray Diego de Landa, RELACIÓN DE LAS COSAS DE YUCATÁN, Editions Porua, Mexico 1959, page 39.
5/. Victor von Haagen, THE REALM OF THE INCAS, éd. New American Library, New York 1961, page 106.
6/. Garcilaso de La Vega, COMENTARIOS REALES, Livre IV, chapitre 36, page 505.
7/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume III, pages 493-494.
8/. Louis Baudin, LES INCAS DU PÉROU, éd. Médicis, Paris 1947, page 132.
9/. Motolinia, HISTORIA LE LOS INDIOS, éd. Gili, Barcelone 1914, page 14.
10/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1946, tome II, page 270.
11/. Idem, tome I, page 560.
12/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 21.

f) Apports à l'Europe, origine et religion.

Dieu merci, nous avons eu aussi des hommes, qui à leur savoir surent ajouter leur coeur pour parler objectivement des Indiens en reconnaissant leurs qualités, ainsi que ce que nous leur devons pour notre bonne vie d'aujourd'hui.

L'anthropologue français Paul RIVET était un ami des Indiens, parce qu'il était un ami de tous les hommes en tant que fondateur du Musée de l'Homme. Dans une de ses oeuvres on peut lire que :
«...l'Indien américain tout en recueillent l'héritage des peuples et des races qui ont contribué à sa formation a su développer une civilisation propre sur ce fond commun et enrichir celui-ci d'une série de créations et d'inventions, qui peuvent être mises en parallèle avec les créations et les inventions de l'Ancien Monde.»
«De grandes civilisations se sont constituées dans les régions les plus favorables au développement humain...»

«Au Mexique et au Yucatán, ils découvrirent un système d'écriture hiéroglyphique comparable au système égyptien, mais aussi indépendant de lui que la pyramide américaine l'est de la pharaonique.»

«Leurs manuscrits qui sont souvent des calendriers, comme le sont les quipu des péruviens, révèlent des connaissances astronomiques extraordinaires et l'existence du système décimal chez les Incas.»

«La liste des plantes cultivées par les aborigènes d'Amérique est impressionnante : le maïs, le manioc, la patate douce, l'igname, la pomme de terre, le cacao, le chénopode, la tomate, l'ananas, le potiron, le calebassier, le maté, le poivre de Cayenne. Ils possédaient un coton différent du coton de l'Ancien Monde, utilisaient les fibres textiles des agaves, fumaient ou prisaient du tabac, connaissaient les propriétés stimulantes ou thérapeutiques de la coca, du quinquina, de l'ipécacuana, du copéhu, enfin, pour teindre leurs tissus, ils exploitaient la matière colorante de la cochenille...»

«Il est bon, il est nécessaire que notre vieille Europe, comme la jeune Amérique, prennent conscience de ce qu'elles doivent à la civilisation indienne...»
«L'apport du Nouveau Monde a bouleversé les conditions de vie de la vieille Europe...» (1)

Il les a bouleversées tout à notre avantage, tandis que l'Europe ne leur apporta que le malheur, sans compter la destruction de la Nature.
Un autre Européen, contemporain de la Conquista, Albrecht Dürer, le célèbre peintre, graveur et architecte allemand, en voyant à Bruxelles les magnifiques oeuvres d'Art aztèque envoyées à Charles Quint par Cortés, manifesta son admiration en ces termes :
«J'ai vu en la maison du conseiller deux cadeaux apportés du Mexique pour le roi, à savoir : un soleil en or et une lune en argent d'une telle magnificence que difficilement on en rencontrerait qui les égalent. Je n'ai pas vu dans ma vie chose de meilleur goût. A admirer des choses si fines en or, je me suis émerveillé sur l'habilité et le travail subtil d'hommes de pays si lointains.»

C'était cela «les Indiens et leurs choses», comme écrivait le père Sahagún. D'où venaient ces Indiens? Nos américanistes se sont penchés depuis longtemps sur le problème de leur origine anthropologique. Leurs ancêtres furent-ils des autochtones ou des immigrés d'Europe, d'Asie ou d'ailleurs? Leurs travaux ont déjà donné certains résultats. S'ajoutant à l'origine préhistorique, on a découvert des témoignages archéologiques et linguistiques d'immigrations datant de mille ans avant notre ère : Pharaoniques, Phéniciens, Asie Centrale, Hébreux, Grecs, Ibériques, Irlandais, Vikings, Mélanésiens et autres, qui ont laissé des traces de leurs «visites». On a découvert, par exemple, des épées achéennes. Parmi les «sauvages» du Brésil exterminés par les «civilisés» il y a eu des blonds aux yeux bleus. Le séjour des moines irlandais de saint Brandan sur les côtes orientales d'Amérique du Nord mille ans avant Colomb et leur retour en Irlande est attestée historiquement. Que signifierait la Croix rencontrée par l'expédition de Juan de Grijalva en 1518 dans l'île de Yucatán, comme ils appelaient alors cette presqu'île avant de l'explorer totalement? Ils avaient trouvé que les Mayas y :
«adorent une Croix en marbre, blanche et grande, surmontée d'une couronne en or, et disent que sur elle mourut un qui était plus lumineux et resplendissant que le soleil.» (2)

Mr. Barry Fell, professeur de biologie maritime et de zoologie à l'Université de Harvard, s'appuyant sur des découvertes numismatiques et des inscriptions tombales rencontrées en Amérique du Nord, soutient que 800 ans avant J.C. une colonie basque s'était établie à la vallée de Susquehenna, à 150 Km. de Philadelphie. Une collection de plus de 400 pierres portent des inscriptions, découvertes à environ 120 km de l'embouchure de la rivière Susquehanna, est attribuée par Fell à l'écriture de l'âge de bronze rencontrée en l'ancienne province de Trasos-Montes, située au Nord du Portugal. D'après des pièces de monnaie chinoises découvertes au Mexique, des Chinois conduits par un moine bouddhiste seraient arrivés en ce pays au Vme siècle de notre ère. On a également découvert des inscriptions tombales au Tennessee et en Géorgie, aux États Unis, datant de 1000 ans avant J.C. De même, des spécialistes du folklore indien présument que des coutumes et la langue des Indiens «Yuchi» impliquent un héritage hébreu.
Ajoutons à tout cela qu'on rencontre aussi quelques mots turcs dans la langue des Mayas ainsi que dans celle des Aztèques. On rencontre aussi des mots indo-germaniques dans le quechua, la langue des Incas; et les traits des Mapuches ne diffèrent pas tant des nôtres. Les Indiens d'Amérique Centrale ont des traits physiques se rapprochant de ceux des Mongoles.

A propos des Mongols, les travaux de Sahagún sur les «Choses» des Indiens pourraient nous mettre sur la piste d'une origine partiellement centre asiatique des Aztèques. Fray Bernardino était frappé par les similitudes de certains rites avec ceux de la religion chrétienne, surtout pour ce qui concerne l'Eucharistie. Ce Sacrement chrétien(St.Mathieu XXVI, 26-28) où Jésus donne à ses apôtres son corps à manger et son sang à boire symboliquement par le pain et le vin, les Aztèques le faisaient avec la chair et le sang d'un jeune homme divinisé durant un an et ensuite abattu rituellement par cinq prêtres. (3)

Il n'y eut pas que l'Eucharistie. Beaucoup d'autres manifestations religieuses aztèques se rapprochaient des rites chrétiens, ce qui avait désagréablement surpris les religieux espagnols. Ils furent épouvantés en les voyant s'approcher de leurs prêtres pour communier en absorbant un morceau de chair du sacrifié, car ils le faisaient avec le même recueillement que le font les chrétiens avec l'Hostie. Un Carême précédait aussi leur communion. Quand les religieux espagnols virent des baptêmes chez les Indiens précédés d'une invocation solennelle, où on oignait les lèvres et la tête du bébé, ils crièrent au scandale : «c'est le Malin qui les a inspiré pour profaner notre sainte Foi», disaient-ils. Sahagún, non sujet à ce genre de réactions, réussit à reconstituer, après de patients travaux, cette prière des prêtres Aztèques : «Que par ce baptême soit détruit le mal qui te fut donné avant le commencement du Monde». (4) Ne s'agissait-il pas là du péché originel?

Les nombreuses croix que les Espagnols rencontrèrent dans les Temples indiens furent également pris pour «Oeuvre de Satan». Les travaux de Fray Bernardino, concernant les points communs entre la religion des Aztèques et le christianisme, encouragent à émettre une hypothèse sur le «Satan» qui indignait les religieux espagnols. Ce «Malin» pourrait être l'ex-Patriarche de Constantinople Nestorius, anathématisé par le Concile d'Éphèse en 431.

Les Nestoriens étaient des chrétiens principalement Syriens (5), qui cherchèrent refuge en Perse, puis certains jusqu'en Asie Centrale. Ils missionnèrent même la Chine à partir de 635 (Steven Runcinian, A HISTORY OF THE CRUSADES). Leur première province ecclésiastique y fut fondée par le Patriarche Salibasacha au VIIme siècle. En 1625, des missionnaires Jésuites découvrirent en Chine des inscriptions chrétiennes datant de 781. Au Musée de SIAN, on peut admirer aujourd'hui des tables sculptées en pierre massive, rappelant le culte nestorien florissant en Chine depuis 635.

Les Nestoriens étaient de grands missionnaires. Ils n'étaient pas grecs, mais leur langue religieuse l'était. Les peuples qu'ils convertissaient gardaient leur langue nationale mais se servaient du grec pour leur Liturgie, comme firent les Européens occidentaux avec le latin. En Asie Centrale il y eut des rois, des reines et des princes mongols qui embrassèrent le christianisme grâce aux Nestoriens. Les sympathies de Gengis Khan pour le christianisme sont notoires, et son fils Tului était marié à une sincère nestorienne de la tribu turque des Keraits. De nombreux Turkmènes (Keraits et Cuighours) ont été christianisés par les Nestoriens.
N'est-il pas permis de spéculer sur des Turkmènes émigrés d'Asie Centrale vers l'Amérique par le Détroit de Béring, porteurs de vagues notions de christianisme, transmises par tradition orale. Progressivement, le Rite chrétien de l'Eucharistie (tu mangera ma chair et tu boira mon sang) a peut-être été interprété à la lettre, croyant mieux servir Dieu de cette façon que symboliquement?

L'histoire de l'Eglise d'Orient ne suffirait pas pour expliquer le «Satan» des Aztèques. La langue des Turkmènes étant le turc, est-ce une coïncidence que d'innombrables noms de lieu au Mexique soient encore aujourd'hui suffixés par «tepec» (mot qui en turc signifie colline) pour désigner des lieux qui sont des tertres ou même des collines? D'autres noms de lieu, aussi nombreux, sont préfixés par «teo», qui en grec(théo) signifie Dieu - les Aztèques étaient très croyants. De surcroît, TOUT le vocabulaire aztèque qui a un rapport avec des concepts divins est d'origine grecque. Leurs Temples s'appelaient TEOCALI. En grec TEO = Dieu, et KALI = hutte. TEOMANIA, qui en grec signifie transport divin, inspiration divine, signifiait en Mexica CONTEMPLER, MÉDITER, PRIER. En outre, le mot TEOTOCOS (en grec Mère de Dieu), voulait dire en leur langue : IDOLÂTRE. «Idolâtre», parce que suivant le dogme de Nestorius, la Vierge Marie, une femme mortelle, ne pouvait porter un Dieu dans ses entrailles. C'est après sa naissance que, d'après les Nestoriens, le Christ, s'unissant au Verbe, devint Dieu. Par conséquent, Sa Mère n'était pas Théotocos mais Christotocos. Les Nestoriens étaient subtils, pas Hellènes mais pleins d'hellénisme... Des mots préfixés uniquement par TEO remplissent trois pages du dictionnaire «Mexica-Castellano» de Molina, et ils ont TOUS un rapport avec des choses divines. Que l'on me permette donc de proposer cette hypothèse sur les Ancêtres des Aztèques, n'en serait-ce que d'une partie, puisque avant de conquérir Tenotchtitlán ils s'étaient déjà mélangés avec bien d'autres peuples (Toltèques, Tepanèques, Chichimèques, et autres).
 
1/. Paul RIVET, LES ORIGINES DE L'HOMME AMERICAIN, Gallimard 1957, pages 171 à 176.
2/. Augustin Yañez, CRONICAS DE LA CONQUISTA, éditions de la Universidad Nacional Autonome de México,1950, page 24.
3/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1946, tome I, pages 148 à 158.
4/. Idem, page 629.
5/. Des «hérétiques» dont l'«hérésie» représentait leur réaction contre l'oppression nationale que leur faisaient subir les Empereurs byzantins au nom de l'«Orthodoxie» de leurs Patriarches.

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