lundi 11 mai 2015

Le sort des Tziganes



Le sort des Tziganes


Le tziganologue français François le Vaux de Foletier écrit au sujet de la sorte de vols pratiqués jadis par les Tziganes :
"Vols avec effraction et vols nocturnes sont tout à fait exceptionnels. Il s'agit surtout de maraude (...). De tous les vols, le plus fréquent et le plus typique est le vol de volailles (...). De faire main basse sur quelque poulailler paraît aux Bohêmes une chose si naturelle, qu'ils semblent mal comprendre qu'on leur en fasse un crime. Interrogé par la justice luxembourgeoise, sur un des vols de poules attribués à des femmes de sa compagnie, Jean de la Fleur, en 1600, déclare qu'il ne pense être fort mal fait de prendre ainsi des poules, vu que les renards les mangent bien, qui sont des bêtes irraisonnables, et qu'à plus forte raison, eux, comme créatures raisonnables les doivent bien manger, d'autant qu'il faut vivre". (1)

Oui, mais "qui vole un oeuf, vole un boeuf", comme disent les honnêtes gens. Et voici comment réagissent ces honnêtes gens contre ces deux sortes de vols d'après le poète espagnol Góngora :

"Porque en una aldea ………………….. Parce qu'en un hameau
Un pobre mancebo ……………………. Un pauvre jeune homme
Hurtó un solo huevo …………………... Un seul oeuf déroba
Al sol bambolea ……………………….  (pendu) au soleil se brimbale
Y otro se pasea ………………………… Et un autre se promène
Con cien mil delitos……………………. Avec ses cent mille délits.

Celui qui se promène est naturellement celui qui vola le "boeuf". Et le tziganologue Foletier de commenter avec beaucoup d'humanité la philosophie du Tzigane Jean de la Fleur sur les Lois de la Nature :
"...les lapins, les fruits et les légumes; et d'autres biens de consommation courante, comme le bois de chauffage ou la tourbe, l'avoine, le foin ou la paille. En somme ce qui parait un don de la nature (...), tout ce qui, aux yeux des Nomades en général (pas seulement des Tziganes) semble appartenir à tout le monde". (2)

"Tu ne déroberas point" a fait dire au bon Dieu le Gadjo (3), n'obéissant à ce Commandement que lorsqu'il est à son profit. Voici comment un chef Tzigane exprime un sentiment commun parmi les siens, en disant à un Gadjo :
"Mon peuple est voleur, sans doute; mais il ne vole que le vôtre. Alors que vous, vous vous volez tous mutuellement." (4)

Mon intention n'est pas ici de magnifier le vol. Non! D’ailleurs les premiers offusqués en seraient les vrais voleurs (pas ceux des poulaillers bien sûr), ceux que personne n'a jamais obligé à commettre des vols pour vivre. Tandis que les Tziganes, on les y a obligés. Voyons ce qu'écrit un tziganologue espagnol à ce sujet :
"On commença par leur défendre de travailler le fer, de forger des fers à cheval, des chaudrons, des poêles (...), c'est à dire que la loi les condamnait à mourir de faim ou à voler".

"Un monde d'accusations tomba sur les Gitans (...). Disparaissait un animal domestique quelconque? Les Gitans l'avaient volé. Survenait un incendie en des propriétés rurales? Les Gitans en étaient les auteurs. Une agglomération souffrait-elle des conséquences d'une épidémie? Les Gitans lui avaient jeté le mauvais oeil. Le cheptel mourait-il d'épidémie contagieuse? C’était dû au poison que les Gitans avaient versé dans les abreuvoirs."
On les accusait aussi de :

"MANGER DE LA CHAIR HUMAINE (5); d'avoir conclu un pacte avec le diable(...), de pratiquer la magie noire, de parler avec Belzébuth déguisé en oiseau nocturne". etc., etc., etc. (6)

Il faudrait souligner ici que l'Espagne est le pays où les Tziganes ont été le moins malheureux...

"Travailler le fer, forger des fers à cheval, des chaudrons, des poêles". Un métier très très dur, et sous le soleil d'Andalousie, il fallait être bien courageux pour l'exercer. Qu'importe? On les accusa malgré tout de voler par fainéantise. Bien mieux, sous un soleil bien plus ardent qu'en Espagne, au Péloponnèse, en Grèce, ils exerçaient le même métier de forgerons, où ils étaient LES forgerons. Leur nom Gyphtos (tzigane en grec) est devenu à cause de cela en grec moderne synonyme de FORGERON. On ne dit plus aujourd'hui en Grèce forgeron (sidhérourghos), on dit GYPHTOS.

Au fond, pourquoi cette aversion, ce mépris envers les Tziganes? Narcissisme disent les psychanalystes. Comme Narcisse dans la légende grecque n'était amoureux que de SA personne (7), nous ne voulons pas croire qu'un autre mode de vie puisse être aussi beau que le nôtre. Comment peut-on être Tzigane, Chinois, Noir, Indien, Arabe ou Maori?

Les Tziganes ne veulent pas (comme nous voulons) vivre pour travailler, mais travailler pour vivre; de la même manière qu'ils ne vivent pas pour manger (comme nous le faisons souvent), mais mangent pour vivre. Il n'y a que de violons que sont insatiables les "Cigales". Comment la "Fourmi pas prêteuse" pourrait-elle les comprendre? La Fontaine n'était-il pas un Tzigane d'honneur? Notre haine c'est en fait de l'ENVIE dans notre subconscient, car ils vivent la Vie et nous nous vivons la course contre la montre. "Time is money" disait le grand yankee Benjamin Franklin...

Comment peut-on être Tzigane? Comment peut-on être Indien? Le Sage Michel de Montaigne nous l'explique à propos des Indiens du Brésil :
"J'ai vu autrefois parmi nous des hommes amenés par mer de lointain pays, desquels parce que nous n'entendions aucunement le langage, et que leur façon, au demeurant, et leur contenance, et leurs vêtements étaient du tout éloignés des nôtres, qui de nous ne les estimait et sauvages et brutes? Qui n'attribuait à stupidité et à bêtise de les voir muets, ignorant la langue française, ignorant nos baisemains et nos inclinations serpentées, notre port et notre maintien, sur lequel, sans faillir, doit prendre son patron la nature humaine." (8)

Tout cela vaut non seulement pour les Français, mais pour tout le "monde civilisé". Beaucoup de grands Français ont compris les Tziganes, ils les ont même aimés. On lit dans un poème de Baudelaire intitulé "Bohémiens en Voyage" :

"La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
                           . . .
Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures."

Oui, on ne leur a permis de vivre que dans des ténèbres. Même Baudelaire; lui a-t-on épargné le sort qu'on a fait aux Tziganes? La "Fourmi" a "maudit" Baudelaire et l'a fait persécuter par ses "Chats-Fourrés". Alors, comment n'aurait-il pas aimé les Tziganes?

Gustave Flaubert, dans une lettre à George Sand, écrivait :
"Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j'en vois, et toujours avec le même plaisir. L'admirable est qu'ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols, et j'ai entendu des jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de très complexe. C'est la haine que l'on porte au bédouin, à l'hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète, et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère."

Les Tziganes sont maltraités en Europe depuis qu'ils y sont arrivés, depuis cinq siècles. Mais quelle "coïncidence"!!! Ce fut justement au commencement des "Temps Nouveaux", à la Renaissance de ce qu'on appela humanisme : l'ère qui mit fin aux "ténèbres du moyen âge", mais aussi l'ère avec laquelle commença la chasse à l'homme noir en Afrique, et à l'homme rouge en Amérique. On a décimé les Noirs en Afrique avec la Traite. On a décimé l'homme rouge en Amérique Latine en le mettant en l'esclavage; on l'a supprimé en Amérique du Nord pour "libérer les terres des sauvages". Ce fut le "Progrès" voyons, les "Temps Nouveaux" nés avec Christophe Colomb! Les exterminations systématiques et froidement calculées des Peaux-Rouges ont même servi de modèle à Hitler, pour faire périr 200.000 Tziganes dans les Fours à Gaz de NOTRE civilisation, seule digne de ce nom comme chacun de nous en est convaincu et comme nous le répètent à chaque occasion nos modestes Pandits. Il est bon que l'on continue à rappeler aux "oublieux" les 6.000.000 de Juifs, mais pourquoi ne jamais parler des 200.000 Tziganes? Serait-ce parce qu'on ne trouve pas ce chiffre assez impressionnant? ou plutôt parce que chez les Juifs il y a des banquiers, des hommes de lettres, des journalistes, des savants, des artistes célèbres pour mettre notre nez dans notre caca?? Chez les Tziganes il n'y a rien de tout cela. Ah! Pardon, des artistes il y en a, mais pas de journalistes pour les faire valoir. Le pire est qu'ils sont trop modestes. Ils vivent avec la Nature (sauf les dénaturés "assimilés"). Ils n'inventeront jamais de Bombe à Hydrogène. Ils n'inventeront jamais notre Pollution de la Nature. Ils l'aiment la Nature, notre Mère à tous. Ils l'adorent, mais ils ne l'adorent que pour l'adorer, tandis que nous, nous l'adorons pour la VIOLER.

Pendant que Hitler faisait périr 200.000 Tziganes dans les Fours de notre civilisation, "seule digne de ce nom", le meilleur argument dont se servaient les rabatteurs des boîtes de nuit de Pigalle pour attirer les Allemands était : "Zigeuner Musik, Zigeuner Tanz, Zigeuner Mädchen(filles)". Sans peur des contradictions, les officiers SS venaient écouter Django Reinhardt. Pour les "filles" ils restaient sur leur faim. Les filles des Tziganes se donnent mais ne se vendent pas, et elles ne se donnent pas à des Gadjos.
Avant l'arrivée des Allemands pour occuper la France, on chantait à Paris, à Pigalle ou ailleurs, "Bohémieeeeeenne aux graaaands yeux nouaaaaars". Mais la Bohémienne répondait "Stationnement interdit aux Narcisses", et pas aux Nomades, pour une fois.

BASILE Y.
Web : basile-y.com

1/. François de Vaux de Foletier, MILLE ANS D'HISTOIRE DES TZIGANES, éditions Fayard, 1970, page 62.
2/. Idem, page 63.
3/. Les Bohémiens appellent tout non-Tzigane "Gadjo". Ce n'est pas un péjoratif, il parait que cela veut dire "homme du pays".
4/. De Foletier, ouvrage cité, page 65.
5/. On les avait pris pour des Conquistadores, comme ces Caballeros sont décrits dans l'historiette No.9.
6/.Cité de l'Introduction au DICCIONARIO GITANO-ESPAÑOL Y ESPAÑOL-GITANO, de Tíneo Reboledo, Barcelona 1909.
7/. Parce qu'il trouvait qu'il n'y avait pas de beauté égale à la sienne en Hellade.
8/. Michel de Montaigne, LES ESSAIS, Gallimard 1965, tome II, page 98(L.II, Ch. XII). 

 Mohamed ZEMIRLINE

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