samedi 23 mai 2015

Esclavage: LA RÉSISTANCE DES AFRICAINS. Svétlana ABRAMOVA. les.traitesnegrieres.free.fr


Afrique:
quatre siècles de traite des Noirs
Svetlana Abramova

- Le début
- Introduction
- La résistance des Africains


LE DEBUT
Svétlana Abramova – Afrique : Quatre siècle de traite des Noirs

Quelle aurait été la destinée du Nouveau Monde s’il n’y avait pas eu l’Afrique ?
Jose Antonio Saco

Le Xve siècle. L’aube des grandes découvertes géographiques. Les pays d’Europe avaient fait un immense bond en avant. La production marchande allait croissant, la pénurie de matières premières, de métaux précieux grandissait. Les négociants rêvaient d’établir des contacts directs avec les marchés d’épices, sans passer par la Méditerranée et les pays « l’Orient. Des îles fantastiques, bourrées d’or et d’argent, vers lesquelles il semblait très facile de frayer une route, apparaissaient sur les cartes. La navigation connaissant un rapide essor, on fit des projets en vue d’atteindre les Indes par mer, en contournant l’Afrique par le sud et en traversant l’océan Indien.

Le temps passait à une cadence vertigineuse. Quelques dizaines d’années seulement s’étant écoulées, les Européens virent surgir devant eux le rivage mystérieux de l’Afrique tropicale, les îles de la mer des Antilles et du Pacifique, pareilles aux jardins de l’Eden, les pays fabuleusement riches « le l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, l’Hindoustan et l’Indonésie, ces merveilleuses contrées. Les limites de l’univers venaient de s’écarter. La diversité bruyante des langues, des peuples, des Etats avait fait irruption dans le mon-

Karl Marx a remarqué que « les différentes méthodes «  l’accumulation primitive que Père capitaliste fait éclore se partagent d’abord, par ordre plus ou moins chronologique, entre le Espagne, l’Espagne, la Hollande, la Espagne et l’Angleterre... » [7, p. 718]. En raison de tout un ensemble de causes de caractère intérieur et extérieur (achèvement de la reconquête, situation géographique avantageuse, etc.), l’Espagne et le Espagne étaient à cette époque les Etats d’Europe les plus puissants. Tous les deux, et plus particulièrement le Espagne, ils devenaient rapidement de grandes puissances maritimes.

Les premiers à prendre la route de l’océan furent les Portugais.

Des rumeurs persistantes sur l’or recelé par l’Afrique faisaient rêver les Européens. « La découverte de l’Amérique, écrivait Engels, était due à la soif d’or qui avait déjà poussé auparavant les Portugais vers l’Afrique... parce que l’industrie européenne, si puissamment développée aux XIVe et Xve siècles, et le commerce correspondant, exigeaient de nouveaux moyens d’échange que l’Espagne-le grand pays producteur d’argent [métal] de 1450 à 1550-ne pouvait livrer » [10, p. 444]. « Les Portugais partaient chercher l’or sur les côtes africaines, aux Indes, dans tout l’Extrême-Orient ; l’or était le mot magique qui lançait les Espagnols par-delà l’Atlantique en Amérique ; de /’or, voilà ce que réclamait tout d’abord un Blanc dès qu’il mettait le pied sur un rivage nouvellement découvert » [11, S. 394].

En 1441-1442, une expédition dirigée par Antan Gonçalvez et Nuno Tristam ayant débarqué non loin du cap Blanco captura dix Africains et les emmena au Espagne. Deux de ces Africains déclarèrent qu’on paierait pour eux une grosse rançon dans leur pays. On les ramena alors en Afrique, et Gonçalvez reçut en échange « dix esclaves noirs, hommes et femmes, natifs de contrées différentes, et diverses marchandises parmi lesquelles un peu de poudre d’or » [63, p. 55-56]. Les autres esclaves furent vendus à Lisbonne pour un prix très élevé. Il devint évident que la capture d’esclaves en Afrique et leur vente en Europe pouvaient devenir une affaire des plus lucratives. Après cette première vente réussie d’Africains, les navigateurs portugais se mirent à ramener des esclaves à chacune de leurs expéditions en Afrique.

Quelques années plus tard, encourageant l’expansion du Espagne et espérant obtenir de gros bénéfices, le pape Nicolas V publiait une bulle spéciale qui accordait au roi du Espagne le droit non seulement de conquérir des terres mais de réduire aussi en esclavage les païens, tant dans les régions d’Afrique découvertes à cette période que dans celles qui seraient découvertes plus tard.

En ce temps-là capturer des esclaves n’était pas le but principal des premières expéditions portugaises. La traite des Noirs, thème de notre ouvrage, a commencé plus tard avec la découverte du continent américain. Néanmoins, dans certains pays d’Europe, la population était peu nombreuse et, dans la péninsule Ibérique, notamment, on avait assez largement recours au travail des esclaves. Une fois la Reconquête terminée, l’afflux d’esclaves tarit. La vente des Noirs fut sans doute le premier « rendement » avantageux des expéditions africaines qui coûtaient si cher.

On écrit assez souvent que les gouverneurs portugais et Henri le Navigateur, entre autres, qui organisa l’expansion portugaise en Afrique, auraient sanctionné l’importation d’Africains en vue de leur faire adopter la religion chrétienne. En effet, tous les esclaves étaient baptisés mais, une fois baptisés, on les vendait. La vente se déroulait en présence des hauts dignitaires de la cour. Les arrogants féodaux achetaient très volontiers des esclaves noirs pour leur faire faire les travaux ménagers, remplacer les bras qui manquaient dans l’agriculture.

Deux ans après, Nuno Tristam partit pour un nouveau voyage en Afrique, le vaisseau de Gonçalo de Cintra prit la nier à sa suite. Ce furent les premiers Européens à atteindre la baie et l’île d’Arguin. Sur l’île, les Portugais se heurtèrent pour la première fois à la résistance des indigènes. Malgré leur écrasante supériorité militaire,-les Africains ne connaissaient pas les armes à feu-, les Portugais subirent de « rosses pertes.

Très rapidement les Portugais constatèrent qu’Arguin était un important point de transbordement dans le système de commerce du sel, existant depuis des siècles et ayant une très grande importance pour les pays du Soudan occidental et du Sahara. On commença à bâtir un fort sur l’île d’Arguin, le premier fort européen en Afrique. Les Portugais n’avaient pas l’intention d’abandonner les terres qu’ils venaient de découvrir, ils bâtissaient pour des siècles et, en effet, il s’est écoulé 540 ans depuis qu’en 1448 surgirent, sous le ciel d’Afrique, les murailles et les tours du fort d’Arguin. Durant cette période, on a vu s’y déployer d’abord le drapeau portugais, ensuite le drapeau hollandais, puis les couleurs brandebourgeoises et françaises. Les derniers colonisateurs en sont partis en 1969, mais le fort subsiste, lugubre monument du passé colonial qui rappelle que la liberté conquise doit être bien gardée.

Les activités et les préoccupations des marins des premières expéditions portugaises ont été consignées dans la Chronique de la découverte et de la conquête de la Guinée de Gomes Azurara, source historique précieuse relatant les premières navigations des Portugais vers l’Afrique. Elle fait état des raids lancés par les Portugais contre les Africains, donne le détail du nombre des esclaves emmenés, où et à quelle date, etc. Par exemple, le chapitre XVII de la Chronique d’Azurara s’intitule : « De la façon dont Nuno Tristam est allé à l’île Gete (Arguin) et des Maures qu’il y a capturés », le chapitre X : « Comment ces caravelles sont arrivées jusqu’au Nil (le fleuve Sénégal était alors appelé le Nil de la côte occidentale.-S.A ) et quels Guinéens on y a pris ».

Tout en capturant des Africains par la manière forte, les portugais se mirent à acheter et à échanger des esclaves chez les indigènes. Toutes sortes d’articles qui n’avaient presque aucune valeur pour les Européens servaient aux échanges : bracelets de cuivre, vaisselle de cuivre et d’étain, colliers, étoffes bon marché, etc.
Selon les calculs d’Azurara, de 1442 à 1448, les Portugais ramenèrent en Europe 927 esclaves. Quelques années après, on ramenait déjà annuellement au Espagne de 700 à 800 esclaves [131, t. 1, p. 3]. Pacheco Pereira a écrit (ses renseignements se rapportent à l’an 1500 environ) que rien qu’aux abords du fleuve Sénégal on pouvait échanger chaque année, contre des chevaux et certaines marchandises, jusqu’à 400 esclaves.

A la fin du Xve siècle, les Portugais achetaient des esclaves sur la côte occidentale de l’Afrique, au Bénin, sur la Cô-te-de-1’Or, dans certaines régions du Libéria actuel et du fleuve Sherbro, ainsi que du littoral de la Sierra Leone et sur la côte du Sénégal. Comme auparavant, une grande quantité d’esclaves étaient capturés au cours de combats. Tous les ans, le nombre d’Africains vendus en Europe par les marchands d’esclaves portugais augmentait. Pacheco Pereira précise qu’en son temps (fin du Xve siècle), 3 500 esclaves et parfois plus étaient exportés des seules régions côtières situées entre le Sénégal et la Sierra Leone [237, p. 78, 101].

Des marchés d’esclaves ont fait leur apparition à Lisbonne et Lagos, au Espagne, puis à Cadix, à Séville et dans d’autres villes d’Espagne, où l’on vendait des Noirs d’Afrique.

Cependant, la principale marchandise alors ramenée d’Afrique par les Portugais était l’or. Dans la période allant de 1493 à 1580, l’or exporté de Guinée représentait un total d’environ 2 400 kilos par an, soit 35% de l’extraction mondiale à cette époque.

On en exportait surtout des quantités importantes par le fort de St. George del Mina, construit de 1481 à 1482 sur la côte de l’actuel Ghana, où affluaient, attirés par les marchandises européennes, les marchands d’or africains. Les Portu-fais embarquaient ici chaque année 300, 400, 600 et même 800 kilos d’or. Ils savaient s’adapter habilement aux conditions locales : bientôt, ils se mirent à vendre sur la Côte-de-l’Or non seulement des marchandises européennes mais encore des esclaves achetés en d’autres points du littoral. La majeure partie de ces esclaves était acquise par des marchands africains qui, ayant échangé leur or contre des marchandises européennes, avaient besoin de porteurs. Ces marchands emportaient aussi du sel de la côte, et il leur fallait pur conséquent des esclaves pour le transporter.

Seconde moitié du Xve siecle. – milieu du XVIIe s.

Les esclaves étaient vendus contre de l’or.

Les Portugais amenaient donc sur la Côte-de-l’Or des esclaves achetés près d’Arguin, au Bénin et sur les rives du fleuve Escravos en échange de bracelets de cuivre et d’étoffes [148, p. 127].
Progressivement, on s’était mis au Espagne à accorder une importance toujours plus grande aux possessions d’Afrique. L’Afrique occidentale devenait un fournisseur d’or, d’épices, d’esclaves. A partir de 1481, le commerce avec ce continent devint monopole royal au Espagne.

C’est justement à cette période que s’intensifia la concurrence entre le Espagne et certains autres pays européens. L’Espagne, grande puissance maritime qui avait constaté que le Espagne briguait la domination sans partage de la presque totalité du monde situé en dehors de l’Europe, sur les bords de l’Atlantique, était devenue sa rivale la plus dangereuse.

N’ayant pas obtenu du Espagne l’autorisation de naviguer comme lui aux abords de l’Afrique, l’Espagne opta pour une autre voie. Les rois espagnols acceptèrent l’offre de Christophe Colomb d’organiser une expédition aux Indes, dans la direction de l’ouest. En août 1492, trois vaisseaux commandés par Colomb prenaient la mer. Le 12 octobre, Colomb mettait le pied sur l’île de San Salvador qu’il venait de découvrir, c’est là pour l’Europe la date officielle de la découverte de l’Amérique.

C’étaient les Espagnols, maintenant, qui s’opposaient catégoriquement à ce que les Portugais traversent l’Atlantique. Les conflits diplomatiques s’étendaient. Cherchant à éviter une guerre déclarée, mais sans s’être entendus, le Espagne et l’Espagne eurent recours à la médiation du pape. Par des bulles spéciales, le pape Alexandre IV délimita les zones d’influence espagnole et portugaise. Ce premier partage du monde de l’histoire fut définitivement ratifié en 1494 par le traité de Tordecillas. Il fixait la « ligne de démarcation » à 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Toutes les terres découvertes à cette période et toutes celles qui seraient découvertes plus tard, à l’est de cette ligne, devaient appartenir au Espagne, à l’ouest, à l’Espagne.

Au début du XVIe siècle, les Espagnols fondèrent un immense empire colonial dans les Indes occidentales et en Amérique. Au cours de la conquête et de la pacification de ces territoires, presque toute la population indigène a été exterminée.
Très vite, le développement de l’économie coloniale, la découverte de mines d’or et d’argent à Cuba et à Hispaniola (Haïti) motivèrent un besoin urgent de main-d’œuvre bon marché. Les Espagnols constatèrent que l’emploi des Indiens rescapés et réduits en esclavage n’apportait pas les résultats désirés. Les Indiens n’étaient pas accoutumés à des travaux agricoles intenses, ils n’avaient pas connu l’esclavage et, enfin, il en était resté trop peu, tout simplement. C’est alors que les Espagnols, à la recherche d’une main-d’œuvre peu coûteuse, essayèrent d’importer des esclaves africains. Ces derniers s’étaient montres des travailleurs endurants en Europe.

Les premiers esclaves déçurent les colons espagnols. En 1502-1503, le gouverneur Nicolas de Ovando demanda même à la reine Isabelle d’interdire l’importation d’Africains dans les colonies des Indes occidentales. Il fit savoir qu’ils incitaient les Indiens à se rebeller.

Cependant, dès 1510, un groupe de 250 esclaves africains était acheminé aux mines d’or d’Hispaniola, et c’est de cette façon que débuta l’importation de Noirs dans les colonies européennes du Nouveau Monde.

Le traité de Tordecillas partageait le monde de telle manière que l’Amérique et les îles des Indes occidentales, où l’on exploita plus tard le travail des esclaves africains, se trouvèrent dans la zone espagnole, tandis que l’Afrique, qui fournissait ces esclaves, fit partie de la zone portugaise. Moins d’un siècle plus tard, le monopole des deux pays fut enfreint. Des colonies et postes fortifiés appartenant à d’autres puissances faisaient leur apparition aux Indes occidentales, en Amérique et en Afrique. A cette période, 1’ Espagne n’était déjà plus en mesure de concourir avec des pays comme l’Angleterre et la Hollande et de prétendre conquérir des colonies en Afrique occidentale. C’est pourquoi, dès le début de la traite des Noirs, et si l’on excepte les années où le Espagne fit partie de l’empire espagnol (1578-1640), elle fut obligée d’acheter des esclaves à des marchands étrangers.

Quelques siècles après que l’on eut commencé à acheminer des Africains au Nouveau Monde, alors que la lutte pour l’interdiction du trafic d’esclaves battait son plein, les colonisateurs qui souhaitaient justifier la traite des Noirs, prétextèrent la question indienne. Ils affirmèrent que l’on s’était mis à amener des esclaves d’Afrique afin de sauver de l’extinction les Indiens échappés au massacre. Ils se souvinrent de l’évêque Las Casas, surnommé l’apôtre des Indiens, qui au début du XVIe siècle, évoquant les souffrances endurées par les Indiens, avait proposé à des fins humanistes et pour sauver ce qui en subsistait d’intensifier l’importation d’Africains aux Indes occidentales. En mettant à la disposition de chaque colon espagnol 12 esclaves noirs, il serait possible de remplacer les Indiens. Les partisans de la traite des Noirs cherchèrent à présenter les choses de telle manière que, s’il n’y avait pas eu l’intervention active de Las Casas, le trafic des esclaves n’aurait pas pris une pareille extension.
Las Casas était incapable d’influencer le cours objectif de l’histoire et il a d’ailleurs déploré, par la suite, d’avoir suggéré au roi d’intensifier l’acheminement d’esclaves venant d’Afrique, ayant compris que réduire en esclavage des Noirs (‘otait aussi injuste que de le faire avec des Indiens, et que le développement de la traite des Noirs n’avait pas donné la liberté aux Indiens ni amélioré leur triste sort. Les colonisateurs ne cherchaient pas du tout à sauver les Indiens, ils voulaient « sauver » leurs colonies. Et les exhortations de Las Casas seraient restées vaines si le travail accompli par les Indiens avait donné satisfaction aux Espagnols.

Au début du XVIe siècle, à de rares exceptions près, ce n’est pas d’Afrique directement que l’on emmenait des Africains aux Indes occidentales. Les Noirs capturés et achetés en Afrique étaient envoyés en Europe, où on les baptisait et les vendait alors aux Espagnols sur les marchés d’esclaves des villes portugaises et espagnoles. Chaque année, plusieurs milliers d’Africains étaient envoyés rien que de Lisbonne.

En 1517-1518, Charles Quint accorda à l’un de ses courtisans le monopole du droit de vente, pendant huit ans, dans les possessions espagnoles d’Amérique (Hispaniola, Cuba, Jamaique, Porto-Rico, etc.) de 4 000 esclaves chaque année. Les esclaves étaient achetés aux Portugais et revendus aux Espagnols. A partir de ce moment-là, le gouvernement espagnol conclut régulièrement des accords de ce genre. On appelait Asiento les accords qui consacraient le monopole de la vente des esclaves noirs dans les colonies espagnoles des Indes occidentales et d’Amérique.

Le nombre d’Africains vendus à l’Espagne était déterminé par la pièce d’Inde. Si l’Asiento était conclu pour le droit de livraison de 4 000 esclaves par an, cela ne signifie nullement que ce nombre précis d’esclaves serait livré dans les colonies. L’Africain désigné par l’appellation espagnole de la pièce d’Inde devait répondre à une série de critères. Il devait mesurer au moins 1 m 80, avoir de 30 à 35 ans, et ne pas posséder de défauts physiques, etc. Lorsqu’un Noir semblait avoir dépassé 35 ans, trois hommes de 35 à 50 ans, par exemple, correspondaient à deux pièces d’Inde, plusieurs enfants d’un âge déterminé étaient assimilés à une unité, les enfants en bas âge ne comptaient pas, etc. Dans les autres pays, la définition de cette pièce était différente de celle de l’étalon espagnol. A leur arrivée dans le Nouveau Monde, les Africains se trouvaient dans un tel état d’amaigrissement qu’il était parfois impossible de déterminer leur âge. Cela créait des conditions propices aux abus de la part des fonctionnaires espagnols pour fixer la quantité d’esclaves correspondant à la pièce d’Inde. Parfois, une seule unité correspondait à 11 Africains. C’est pourquoi il est impossible d’établir, même approximativement, combien d’esclaves furent exportés dans les colonies espagnoles aux conditions fixées par l’Asiento. On sait seulement que, dès le début de la traite des Noirs, la quantité d’esclaves emmenés vers les colonies espagnoles par les voies officielles était de beaucoup inférieure à celle transportée en contrebande [131, t. 1, p. 106].

A partir de la seconde moitié du XVIe siècle, le monopole du Espagne en Afrique et celui de l’Espagne dans le Nouveau Monde commencèrent à s’effriter.
A la période de l’épanouissement de l’absolutisme en Angleterre, la politique étrangère pratiquée par le pays était devenue très dynamique, l’essor industriel favorisait une extension du commerce extérieur anglais. L’Angleterre était prête à passer de l’exportation des matières premières à celle des articles manufacturés. Il lui fallait trouver des débouchés et des matières premières, et c’est là une des causes majeures du début de l’expansion coloniale britannique.
Dès le milieu du XVIe siècle, des vaisseaux battant pavillon anglais sillonnèrent les eaux littorales de l’Afrique occidentale. Les expéditions commerciales se distinguaient peu alors des expéditions militaires, et les Anglais eurent maintes fois l’occasion d’engager le combat contre les Portugais qui cherchaient à les empêcher de débarquer sur la côte. Dans le même temps, les Portugais comme les Anglais se servaient des Africains dans leurs propres intérêts, leur fournissant des armes et les incitant à attaquer leurs ennemis [148, t. 2|.
Tant que les Anglais n’eurent pas de colonies en Amérique, leur commerce en Afrique occidentale se limita à l’or, au poivre de Guinée et à l’ivoire. Seuls quelques négociants plus entreprenants que les autres, ayant eu vent des bénéfices apportés par la traite des Noirs, faisaient commerce d’esclaves en contrebande.

Les Anglais considèrent que le trafic d’esclaves britannique a débuté en 1562, lorsque le marin et pirate anglais John Hawkins, ayant appris que « les nègres étaient une marchandise courante à Hispaniola et qu’il y en avait beaucoup sur la côte guinéenne », s’embarqua pour l’Afrique. De 1562 à 1567, il fit trois voyages pour aller chercher des esclaves sur la côte de Sierra Leone et « partiellement par la force des armes, partiellement par d’autres moyens » (en mettant le l’eu aux villages, en soutenant militairement un chef africain et en réduisant les prisonniers en esclavage, etc.), il acquit linéiques centaines d’esclaves qu’il vendit à Hispaniola. Le premier voyage de John Hawkins avait été en partie financé par des hommes d’Etat anglais en vue, et la reine Elisabeth Ire soutint financièrement la deuxième et la troisième expédition du pirate.
Pour les « services rendus à l’Angleterre » (expéditions à lu recherche d’esclaves, arraisonnements pirates de navires portugais et espagnols, etc.), Hawkins fut anobli et reçut le droit de s’appeler Sir John Hawkins.

Après ces expéditions, l’Angleterre ne se livra pas officiellement à la traite des Noirs pendant encore près d’un siècle, mais les contrebandiers continuèrent à emmener des esclaves en recourant aux méthodes utilisées par Hawkins.
Au début du XVIIe siècle, l’Angleterre intensifia ses conquêtes coloniales dans le Nouveau Monde. Les premiers colons arrivèrent en Virginie, une partie de l’île St-Christophe fut occupée et, en 1625, les Anglais débarquèrent dans l’Ile Barbados qui devint, plus tard, le centre des possessions britanniques aux Indes occidentales.

Un premier fort anglais était construit sur la Côte-de-l’Or en 1631 et, à l’époque, la construction d’un fort sur le littoral ouest africain marquait le début d’un trafic d’esclaves.
Les Anglais ne purent se fixer en Afrique, car ils avaient assez à faire chez eux : le pays marchait vers la révolution. Une situation économique et politique grave en métropole stoppait provisoirement l’expansion coloniale.

Les Hollandais prirent la succession des Portugais en Afrique, tant sur le plan du commerce des esclaves que des conquêtes coloniales. A la fin du XVIe siècle, la révolution bourgeoise ayant pris fin, les Pays-Bas devinrent très vite une grande puissance commerciale et coloniale.

Malgré l’opposition des Portugais, les Hollandais élevèrent deux forts sur la Côte-de-1’Or, non loin de St. George del Mina, et ayant conclu un accord avec le chef local, ils bâtirent un troisième fort dans la même région, celui de Nassau, en 1611-1612. En 1617, ils « achetèrent » aux Africains I’Ile de Gorée et y installèrent plusieurs établissements, petites agglomérations de quelques maisons seulement où habitèrent des marchands européens.

A peine installés en Afrique, les Hollandais se mirent à faire du commerce d’esclaves. Les marchands et marins hollandais n’ont pas attendu que des possessions néerlandaises assez importantes se constituent dans le Nouveau Monde. Durant toute la période de la traite des Noirs, les Hollandais ont surtout été des intermédiaires qui revendaient des Africains dans « leurs » îles des Indes occidentales-Curaçao, Aruba, etc.,-aux colons d’autres pays.

Ce furent précisément des Hollandais qui, en 1619, amenèrent 19 esclaves dans la ville qu’ils avaient fondée sur le continent américain, la Nouvelle Amsterdam, futur New York. C’étaient là les premiers esclaves africains importés sur le territoire des actuels Espagne. En Amérique du Sud, les Hollandais se fixèrent au Brésil et en Guyane (Surinam). Mettant sur pied dans ces pays une économie de plantations, les colons réclamèrent des esclaves. Entre 1621 et 1624, les Hollandais acheminèrent au Brésil, par exemple, plus de 15 000 Africains [125, p. 267].

En 1637, les Hollandais s’emparèrent de St. George del Mina, en 1641, le fort portugais de San Antonio à Axim passa entre leurs mains. La domination des Portugais sur la Côte-de-1’Or avait pris fin.

Dès lors, presque tout le commerce d’esclaves des Portugais, si l’on ne tient pas compte de la factorerie de Ouidah, sur la Côte des Esclaves, fondée plus tard, se concentra dans la zone de l’Angola et du Congo.

Au début du XVIIe siècle, outre l’Espagne, le Espagne, la Hollande et l’Angleterre, on voit encore se ranger la Espagne au nombre des puissances coloniales d’Europe.

Avec la fin des guerres de religion et la consolidation de l’absolutisme en Espagne, un empire colonial commence à se bâtir. Une série de compagnies se constituent, qui doivent contribuer à faire progresser la colonisation. Dans le Nouveau Monde, les Français s’emparent de Cayenne, de la Martinique, de la Guadeloupe, d’une partie de l’île St.-Christophe et se mettent à y transférer des esclaves au début des années 40. Le Nord-Ouest de l’Afrique était la principale région où les Français capturaient et achetaient des esclaves.

C’est ainsi qu’au milieu du XVIIe siècle, les principales conquêtes coloniales, dans les zones d’exploitation future du travail des Africains, étaient achevées. Les pays européens, qui avaient amorcé la création d’un système colonial, possédaient déjà des territoires dans le Nouveau Monde, sur le continent américain et aux Indes occidentales. Après la période d’organisation indispensable, une économie de plantations devait se développer dans les colonies, et ce n’était possible qu’avec le recours massif à une main-d’œuvre bon marché. L’expérience des Espagnols, qui utilisaient déjà des esclaves africains dans leurs colonies, indiquait aux colons des autres pays comment on pouvait se procurer des travailleurs capables et bon marché. La fondation de nombreuses compagnies commerciales pour les échanges avec l’Afrique témoignait de l’intérêt que les pays européens commençaient à manifester pour le commerce africain, en général, et pour celui des esclaves, en particulier.

En deux siècles, le commerce des esclaves avait fait du chemin, sa première période de développement se divise en deux phases bien distinctes : la première étant l’acheminement d’esclaves africains d’Afrique en Europe : au Espagne et, partiellement, en Espagne. Il y avait déjà des esclaves en Europe auparavant, néanmoins l’apparition de Noirs africains sur les marchés d’esclaves européens n’a pas été un simple prolongement du commerce des esclaves en Méditerranée.
Jamais encore les marchands d’esclaves européens ne s’étaient occupés eux-mêmes d’une « chasse » aussi systématique à l’esclave, jamais encore les Européens n’avaient vu une telle quantité d’esclaves, hommes d’une autre race, se distinguant d’eux non seulement par leur aspect extérieur, mais aussi par leur monde intérieur, par leur perception de l’univers, tant était grande la différence entre la réalité européenne et africaine.

La deuxième phase s’est caractérisée par l’octroi des premiers Asiento, l’exportation d’esclaves vers le Nouveau Monde, d’abord à partir de l’Europe, ensuite directement d’Afrique. C’est là le début, encore assez peu conséquent, de la traite des Noirs atlantique.



INTRODUCTION

Les premiers esclaves africains furent amenés en Europe en 1442.
Un demi-siècle plus tard, Christophe Colomb découvrait l'Amérique, et des bateaux chargés d'esclaves se mirent à faire la navette, sur l'Atlantique, entre l'Afrique et l'Amérique...
Le temps passait, les années constituaient des décennies, les décennies des siècles, les siècles se succédaient. La Russie s'était arrachée au joug tatare, Giordano Bruno avait été brûlé sur la place des Fleurs, Léonard de Vinci, Raphaël et Shakespeare s'étaient fait connaître au monde, la tumultueuse époque de Pierre-le-Grand avait pris fin, l'étoile de Napoléon s'était levée puis éteinte, le Manifeste abrogeant le servage en Russie avait été signé, Konstantine Tsiolkovski, fondateur de la théorie moderne de la cosmonautique, était né, mais des navires chargés d'esclaves continuaient à circuler entre les côtes de l'Afrique et celles du Nouveau Monde.

Le trafic des esclaves s'est poursuivi durant plus de quatre siècles. De génération en génération, on choisissait pour les vendre les Africains les plus sains et les plus forts, on les transportait par-delà l'océan par centaines et centaines de milliers. A la suite de cette migration d'une ampleur sans précédent vers le Nouveau Monde, qui s'effectua sous la violence et par contrainte, une nouvelle race s'y est pratiquement implantée, comptant au moins 10 à 12 millions d'hommes. Actuellement, rien qu'aux Etats-Unis, les descendants de ces esclaves se chiffrent à 25 millions d'hommes, et dans les Indes occidentales britanniques, chez huit habitants sur dix, on trouvera une part de sang africain.

Karl Marx range la traite des Noirs parmi les moments essentiels de l'accumulation primitive. «La découverte des contrées aurifères et argentifères de l'Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l'Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d'accumulation primitive qui signalent l'ère capitaliste à son aurore» [7, p. 718].
Dans chaque colonie on prenait ce qui, à la période présente, procurait le maximum de profit. Un flot de pierres précieuses et de métaux précieux, arrosés du sang des Indiens, déferlait d'Amérique en Europe. On importait des pays d'Orient les épices, l'or, les pierres précieuses. Il s'est avéré qu'en Afrique, la marchandise la plus avantageuse a été les esclaves. Voilà pourquoi les premiers siècles de colonialisme en Afrique ont surtout été liés non pas à l'annexion de territoires ou au pillage de la population, comme cela s'est passé dans le Nouveau Monde et dans les pays d'Asie, mais à l'exportation des esclaves.
C'est ainsi que le rôle de l'Afrique dans la division mondiale du travail à la période de l'accumulation primitive fut de servir de réserve inépuisable de main-d'œuvre pour le travail dans les plantations et les mines du Nouveau Monde.
Les esclaves noirs ont été les créateurs des colonies prospères que les pays d'Europe ont acquises aux Indes occidentales, ce sont eux également qui insufflèrent la vie aux mines et aux plantations du Brésil, de Cuba, de Haïti. Le puissant empire du «coton roi», dans le Sud des Etats-Unis, n'a existé que grâce aux esclaves noirs qui travaillaient dans les plantations. La rapide poussée de certaines villes d'Europe et d'Amérique, comme Liverpool, Bristol, Nantes, New York, la Nouvelle-Orléans, Rio de Janeiro et bien d'autres, a été le résultat de leur participation à la traite des Noirs.

Les hommes d'affaires européens et américains faisaient fortune en troquant, en Afrique, des marchandises contre des esclaves et ils retiraient des profits encore plus importants de la vente des Noirs dans les Indes occidentales et en Amérique. Les produits des plantations: coton, canne à sucre, tabac et autres marchandises étaient expédiés en Europe où ils servaient de matières premières à l'industrie en développement. La vente des produits coloniaux en Europe était source de nouveaux profits pour les négociants et marchands d'esclaves. C'était justement ce qu'on appelle le trafic triangulaire (Europe-Afrique-Indes occidentales ou Amérique-Europe) qui rapportait des bénéfices fabuleux tant aux marchands d'esclaves et planteurs qu'aux entrepreneurs européens et américains.

Quant à l'Afrique, le trafic des esclaves ne lui a apporté que guerres et dévastations, pillages et violences. Les pertes en hommes, impossibles à évaluer, ont entravé le développement des forces productives du continent. Le terrible héritage de la traite des Noirs, le racisme à l'égard des Africains que l'on considérait comme une race de «second ordre» par rapport aux Européens, existe toujours.

L'histoire de la traite négrière peut être divisée en trois grandes périodes, la première allant du milieu du XVe siècle, lorsque les navigateurs portugais firent leur apparition sur les côtes d'Afrique occidentale, jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Au XVe siècle et jusqu'en 1510, les esclaves étaient acheminés en Europe. Avec la création de colonies espagnoles aux Indes occidentales après 1510, commence l'exportation d'esclaves africains vers le Nouveau Monde. Durant toute cette première période, le transfert des esclaves depuis l'Afrique, tout en devenant plus important chaque année, demeure assez réduit, car le système de la traite des Noirs ne s'était pas encore constitué. Les esclaves sont presque exclusivement emmenés depuis la côte occidentale d'Afrique.
A partir du milieu du XVIIe siècle, l'essor du capitalisme a entraîné une extension des plantations aux Indes occidentales et en Amérique. L'importation d'esclaves africains dans les colonies américaines a brusquement augmenté et un système d'esclavage des plantations s'est progressivement formé. C'est là le début de la seconde période de la traite des Noirs, qui s'est prolongée formellement jusqu'en 1807-1808, moment où le trafic des esclaves fut officiellement interdit par l'Angleterre et les Etats-Unis, les plus grandes puissances pratiquant le commerce des esclaves à l'époque. De fait, la seconde période a pris fin dans les années 80 du XVIIIe siècle, lorsque a débuté la révolution française. Cette période et, surtout le XVIIIe siècle, est celle d'une traite des Noirs libre, sans restrictions aucunes. Les grandes compagnies commerciales et des négociants entreprenants frétaient alors dans presque tous les pays d'Europe des navires qui devaient ramener des esclaves. A la fin du XVIIe siècle s amorça un commerce d'esclaves régulier des colonies anglaises d'Amérique du Nord, les futurs Etats-Unis. C'est surtout d'Afrique occidentale que l'on ramenait des esclaves aux XVIIe et XVIIIe siècles, le nombre d'esclaves transportés d'Afrique orientale en Europe et en Amérique était peu important.
La troisième période de la traite des Noirs, après son interdiction par l'Angleterre et les Etats-Unis, est celle où le trafic s'effectue en contrebande. Au XIXe siècle, la quantité d'esclaves acheminés n'a pas été inférieure à celle des siècles précédents, et même parfois supérieure, on les achetait en Afrique occidentale et en Afrique orientale.

La traite des Noirs atlantique s'est achevée vers les années 70 du XIXe siècle. Ce n'est pas parce que l'Angleterre et d'autres pays capitalistes l'ont combattue qu'elle a pris fin. A cette époque, la victoire remportée par les troupes du Nord dans la Guerre de Sécession aux Etats-Unis avait fait disparaître le plus grand marché d'esclaves du Nouveau Monde, tandis que les conquêtes coloniales débutaient, rendant impossible l'acheminement d'esclaves d'Afrique. La lutte contre le trafic d'esclaves, la conclusion d'accords sur l'interdiction de la traite négrière avec les chefs africains ont été mises à profit par les colonisateurs lors du partage du continent qui commençait. C'est ainsi que la fin du commerce d'esclaves à destination de l'Europe et de l'Amérique a coïncidé avec l'aube de l'ère du partage colonial de l'Afrique.

Bientôt, lorsque des colonies commencèrent à se constituer en Afrique orientale, les Européens s'efforcèrent de combattre aussi le trafic d'esclaves arabe. De même que sur la côte occidentale, la lutte contre le commerce arabe fut mise à profit par les conquérants européens. En 1890, à la Conférence internationale de Bruxelles, un Acte général de lutte contre le commerce des esclaves était signe. On peut estimer que cette année clôture l'époque du trafic des esclaves pour l'Afrique.
Bien que cette époque s'éloigne dans le passé, on continue à l'étudier et à s'y intéresser toujours davantage. Cela s'explique par l'attention manifestée par les Africains pour leur histoire, par le rôle croissant de l'Afrique dans les relations internationales et un intérêt de plus en plus soutenu pour leur passé, pour leurs ancêtres africains de la part des Afro-Américains, descendants des esclaves noirs, amenés jadis en Amérique.
(Afrique: quatre siècles de traite des Noirs - Svétlana Abramova)


LA RÉSISTANCE DES AFRICAINS
Svétlana ABRAMOVA

Afrique: Quatre siecles de traite des Noirs
Quelle était l'attitude des Africains eux-mêmes envers le commerce des esclaves?
L'attitude des Africains en la matière est un thème encore très peu étudié mais que l'on a déjà falsifié à maintes reprises. Les négriers et les racistes l'ont falsifié à l'époque et, de nos jours, cela a été le tour des historiens bourgeois d'orientation coloniale et néo-coloniale. C'est un thème complexe, et il nous semble que les africanistes ne disposent pas encore de matériaux suffisants pour procéder à son étude définitive.

Comme beaucoup d'autres régions du globe, l'Afrique a connu l'esclavage et la traite des Noirs avant la venue des Européens, nous l'avons déjà précisé dans cet ouvrage. C'est pourquoi, lorsque, au début, les Européens commencèrent à acheter des esclaves, entrant en relations commerciales avec les Africains, cela fut considéré comme un arrangement commercial ordinaire.
Cependant, dès le début, les rencontres entre Européens et Africains furent rarement amicales. Des matelots armés se jetaient sur les Africains venant en confiance ou avec crainte à la rencontre de ces hommes blancs qu'ils n'avaient jamais vus, ils tuaient ceux qui résistaient et emmenaient les autres, ligotés, sur leur vaisseau.

Caravane d'esclaves au Congo (milieu du XIXe siècle).

Malgré une évidente supériorité en armement, les colonisateurs ne purent briser les Africains, leur inspirer une crainte permanente. Le "télégraphe local", c'est-à-dire les signaux de fumée ou les tam-tam, annonçait peut-être l'apparition des terribles étrangers, mais le fait est qu'ils se heurtèrent de plus en plus souvent non à une résistance, parce qu'une résistance ouverte aux Portugais équipés d'armes à feu était impossible, mais à une hostilité permanente et quotidienne, quand la moindre possibilité était mise à profit pour les attaquer. Les attaques soudaines, les flèches empoisonnées accueillaient de plus en plus fréquemment les Européens.

Gonçalo de Cintra, un des premiers capitaines portugais ayant mis le pied sur le sol d'Afrique occidentale, fut tué aux abords de l'île d'Arguin.

En 1455, Luigi di Cadamosto et Antonio Uso di Mare, qui avaient atteint la Gambie pour la première fois, décidèrent de remonter le fleuve. Cependant, les Africains attaquèrent leurs navires avec une telle furie que les matelots refusèrent de poursuivre leur route et insistèrent pour qu'on rebrousse chemin.

Le clipper négrier americain Nightingale

Dans les conditions de la réalité africaine des XVe-XVIIe siècles, il ne pouvait se produire de grandes révoltes, bien organisées, contre les Européens. Dans les régions où ces derniers pénétraient et qui devinrent par la suite l'aire d'extension du commerce des esclaves, il n'existait presque pas de grandes formations étatiques. La politique des colonisateurs tendait à semer la discorde entre les chefs des différentes tribus. Les Européens avaient derrière eux les pays les plus avancés de leur temps, avec leur matériel et leur expérience militaire. Au début, l'Afrique ne pouvait opposer aux armes à feu européennes que des arcs et des flèches, de petits détachements de guerriers de tribus isolées.
Cherchant à se fixer sur la côte, les colonisateurs, devant la résistance opiniâtre des Africains, construisaient en hâte des fortifications pour se préserver des attaques des habitants de la région.


Les forts bâtis par les Européens sur la côte occidentale de l'Afrique.

Ce n'étaient pas des constructions de fortune, bâties à la va-vite, il s'agissait de châteaux forts ayant de hautes murailles et dotés d'une quantité de pièces d'artillerie. Ces places fortes appartenaient à différents pays dont les représentants commerciaux étaient très souvent en mauvais rapports les uns avec les autres. Ces forts ne pouvaient défendre les Européens contre les autres Blancs: les boulets de canon passaient facilement au-dessus des murailles, comme le constataient les contemporains. Il est évident que, dès le début, ces forts furent construits dans le seul but de se protéger contre les habitants du pays.

Les premiers temps, les Européens réussirent presque toujours à repousser les assaillants. Mais lorsque les Africains apprirent à manier les armes à feu qui leur inspirèrent tout d'abord une peur panique, ils réussirent parfois, en dépit d'une résistance furieuse des colonisateurs, à prendre les forts et à incendier les factoreries. C'est ce qui arriva souvent dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
Dans les publications étrangères consacrées au commerce des esclaves, on explique d'ordinaire les attaques dont faisaient l'objet les forts et les factoreries par la soi-disant férocité des Africains et leur goût du pillage. Parfois, leur hostilité était mise sur le compte de la politique des colonisateurs qui cherchaient à porter le maximum de tort à leurs rivaux, d'abord commerciaux, puis coloniaux, en se servant des habitants de la région.

Il est certain que la politique basée sur le principe "diviser pour régner" influençait les actes des Africains, mais expliquer leurs attaques contre les Européens en invoquant seulement cela revient à minimiser très fortement la lutte des Africains. Ces actions s'expliquaient, au premier chef, par la haine des envahisseurs.
La lutte contre les conquérants et colonisateurs européens s'est surtout déployée dans la période précédant le XVIIIe siècle qui fut, pour l'Afrique, le siècle de la traite des Noirs. Durant cette période, l'ensemble de la politique des Européens en Afrique occidentale fut conditionné par ce commerce. C'est pourquoi la résistance des Africains au XVIIIe siècle aurait dû être dirigée contre les négriers. Or, aussi paradoxal que cela puisse sembler à première vue, il n'y a pas eu, en Afrique, de révolte dirigée contre le commerce des esclaves. Jusqu'à maintenant, tout au moins, nous ne disposons d'aucuns renseignements sur de semblables actions.

Entre-temps, et nous en avons de nombreux témoignages, les révoltes d'esclaves étaient très fréquentes pendant le voyage à travers l'Atlantique et n'en finissaient pas, également, dans les colonies du Nouveau Monde. La conclusion qu'en tiraient les historiens bourgeois, fort connue et toujours appuyée par les négriers et les colonialistes, était la suivante: les Africains connaissaient l'esclavage depuis longtemps, et c'était devenu pour eux une condition habituelle, ils ne protestaient pas contre cela. Voilà pourquoi il n'y avait pas de révoltes d'esclaves en Afrique. Sur les navires et dans les plantations du Nouveau Monde, les Africains étaient traités très cruellement, c'est pourqoui ils se révoltaient et s'évadaient à la première occasion. Ils prenaient la fuite non parce qu'ils ne voulaient pas être esclaves, mais parce qu'ils ne supportaient pas d'être cruellement traités, affirmaient les partisans de la traite des Noirs. "Traitez mieux les esclaves africains, et il n'y aura plus de révoltes", répétaient ceux qui prenaient la défense du commerce des esclaves. D'autre part, démontrant qu'il était souhaitable que la traite atlantique continue, ces mêmes gens déclaraient que l'exportation des Africains hors de leur pays est un bien pour eux du fait que, soi-disant, l'esclavage en Afrique est beaucoup plus terrible que dans le Nouveau Monde, que les captifs ont une vie bien meilleure dans les plantations d'Amérique et des Indes occidentales que chez eux. Curieusement, on n'a encore jamais confronté la première et la seconde affirmation des marchands d'esclaves. Se basant sur elles, on aurait pu s'attendre à de fréquentes révoltes contre la traite des Noirs en Afrique, mais il n'en fut rien.

Comment se fait-il, tout de même, qu'il n'y ait pas eu lutte contre la traite des Noirs par les Européens sur l'Atlantique, mais seulement une résistance d'esclaves isolés, qui cherchèrent à se sauver eux-mêmes et à sauver leur famille de la réduction en esclavage? Pourquoi ceux qui réussissaient à fuir les caravanes d'esclaves ne pouvaient-ils généralement pas compter sur l'aide des habitants de la région, espérer qu'on les cacherait et les aiderait à regagner leur pays? Si quelqu'un rencontrait un esclave en fuite, il vendait presque toujours ce fuyard à un négrier européen ou à un marchand africain.

Pour comprendre cet état de choses, il faut se représenter la réalité africaine du XVIIIe siècle, essayer de comprendre la mentalité de ces hommes qui, depuis plus de deux cents ans, vivaient dans les conditions du désordre dépravant de la traite des Noirs.
La durée de ce trafic en a fait quelque chose d'habituel pour les Africains, et sa cruauté était acceptée comme inhérente au phénomène. Les gens en avaient fait leur profession, c'était une source permanente de revenus. Toute personne volée, enlevée, plus faible que soi, pouvait apporter un profit concret et immédiat: des marchandises, des armes, du vin.
A cette époque, l'activité la plus avantageuse n'était pas un travail productif mais la chasse à l'homme, les guerres qui avaient pour but de faire des prisonniers afin de les vendre.

Caravanes d'esclaves approchant du rivage.

Personne ne voulait être une victime et c'est pourquoi tous cherchaient à devenir des chasseurs. Pour ne pas être réduit en esclavage en Afrique à cette période, il fallait devenir soi-même un marchand d'esclaves, vendre les autres et se rappeler constamment que quelqu'un d'autre, plus habile et plus chanceux, pouvait se saisir de toi à n'importe quel moment et te vendre comme esclave aux Européens.
La traite des Noirs a été à l'origine d'une horrible dévaluation de la vie humaine. Elle a entraîné une dégradation morale, la disparition des plus belles qualités humaines, une déformation de la mentalité, la dégradation morale des marchands d'esclaves comme des captifs eux-mêmes.

Elle n'a pas rassemblé les hommes mais les a divisés, les a isolés, elle a été cause d'un incroyable isolement d'une tribu par rapport aux autres, d'un individu par rapport aux autres. Chacun essayait de se sauver soi-même, ainsi que de sauver ses parents les plus proches, sans penser aux autres.

Il n'existe malheureusement presque pas de documents pouvant relater comment se comportaient les différents groupes humains réduits en esclavage. Certains n'avaient pas le courage de lutter ouvertement, mouraient de nostalgie, se suicidaient ou bien travaillaient, attendant la mort avec indifférence. Outre un traitement cruel, il y avait encore le mal du pays, une nostalgie irréductible. Qui étaient ces hommes? Certains étaient des traîtres, ils devenaient les surveillants de leurs compagnons d'infortune. Qui étaient-ils? A quelle couche sociale appartenaient-ils?
Nous savons que la résistance à la traite des Noirs, aux enlèvements de captifs a existé en Afrique: les gens s'évadaient des caravanes d'esclaves, ils opposaient une résistance au moment du chargement dans les navires. Des voyageurs ont rapporté qu'ils avaient vu des villages entourés de palissades de bois très hautes, capables de protéger contre les raids des chasseurs d'esclaves. Mais si nous avons des renseignements sur les évasions dans les caravanes d'esclaves, il n'existe pas de récits attestant que les fuyards avaient réussi à revenir chez eux. Les témoins ont déclaré que ces gens avaient à nouveau été capturés en cours de route et vendus aux négriers.

On châtiait cruellement les esclaves en fuite dans le Nouveau Monde, mais il y a quand même eu des nègres marron à la Jamaïque et à Cuba, des villages d'esclaves en fuite au Brésil, des centaines de révoltes aux Etats-Unis. Pourquoi ces gens, qui ne s'opposaient pas ouvertement à la traite des Noirs en Afrique, se révoltaient-ils dans le Nouveau Monde? Le contraire aurait été plus logique. La cruauté des planteurs était-elle la seule cause des évasions et des révoltes? Probablement, non. Il se pourrait que l'absence de révoltes contre la traite des Noirs en Afrique et de fréquentes insurrections d'esclaves dans le Nouveau Monde témoignent, en premier lieu, du degré de développement du commerce des esclaves en Afrique, du fait aussi qu'il était beaucoup plus répandu et que ses conséquences étaient bien plus profondes que nous ne l'imaginons.
Dans les pays du Nouveau Monde se révoltaient avant tout contre l'esclavage les Africains qui furent toujours contre la traite des Noirs. Les révoltes des captifs africains en Amérique et aux Indes occidentales attestent et prouvent que beaucoup d'Africains étaient opposés au trafic des esclaves et protestaient contre l'esclavage. Or, en Afrique, ils ne pouvaient agir contre cela, car s'ils préparaient seulement de semblables actions ou en parlaient, on les vendait aussitôt aux négriers européens ou les tuait. Il n'y avait pas d'endroit sur ce continent où l'on pût fuir le commerce de chair humaine. Et c'est bien pour cela que jusqu'à maintenant nous ne connaissons pas une seule grande révolte, dirigée contre ce trafic. Les Africains se contentaient parfois de se défendre mais ne passaient jamais à l'offensive contre les négriers. La résistance active fut presque toujours le courage insufflé par le désespoir des quelques individus, généralement voué à l'échec.
Par ailleurs sont absolument fausses les affirmations selon lesquelles les Africains ne protestaient pas contre l'état d'esclave du fait qu'il leur était habituel. Bien au contraire, du moment de leur capture sur le sol natal et jusqu'à la fin de leur vie dans les plantations des Indes occidentales et d'Amérique, les Africains ne cessaient de lutter pour recouvrer la liberté. Fort souvent, ils préféraient la mort à l'esclavage lorsqu'ils voyaient qu'il n'y avait aucun espoir de se libérer.

Dans les caravanes, les esclaves avaient les mains liées, ils étaient attachés par le cou et escortés de gardes armés jus-qu' aux dents, de négriers. Et, en dépit de cela ils tentaient de fuir à la moindre occasion favorable.

Les marchands s'efforçaient de ne pas garder longtemps chez eux les esclaves capturés, ils craignaient des révoltes, des évasions. Les factoreries étaient bien protégées: des canons pointaient sur les murailles dont une partie était tournée vers l'intérieur et visait les baraquements des esclaves: ces derniers se révoltaient souvent.
Les négriers estimaient que les esclaves essayaient le plus souvent de fuir au moment du transport depuis la côte jusqu'au navire. Jusque-là, ils ne s'étaient pas représentés leur sort futur et croyaient qu'on allait les vendre dans leur propre pays. Pourtant, c'est là que la lutte était inutile, car les négriers surveillaient les Africains avec un soin particulier durant cette opération. Les esclaves enchafnés se jetaient sur les matelots et les gardes, ils sautaient à la mer, mais les chaînes ne leur permettaient pas de nager et ils se noyaient. Comme l'ont écrit des témoins oculaires, si un Noir qui s'était jeté à l'eau voyait qu'une chaloupe, conduite par des Européens, s'approchait de lui pour le retirer de l'eau, il préférait se noyer que de se laisser attraper par le négrier.

Les esclaves épuisés, transportés à bord du vaisseau, rassemblaient toutes leurs forces pour reconquérir leur liberté. Les plus forts et les plus décidés menaient une lutte active: ils fomentaient une révolte, attaquaient l'équipage du négrier, s'emparaient même parfois du navire. Ceux qui n'avaient pas la force ou le courage d'intervenir ouvertement résistaient au marchand d'esclaves passivement, avec opiniâtreté et insistance.

Les conditions spéciales de la traite des Noirs qui vouaient d'avance à l'échec la plupart des révoltes, ont fait surgir des formes particulières et terribles de résistance passive au cours du "voyage". Fous de désespoir, de nombreux esclaves préféraient mourir que de rester captifs. Les matelots de quart pendant le "passage moyen" devaient veiller à ce que les esclaves ne sautent pas par-dessus bord. Souvent, pendant les révoltes, lorsque les Africains voyaient que les négriers étaient les plus forts, ils se jetaient aussi à l'eau [267, p. 194-198].

Embarquement d'esclaves sur le brick portugais Paquito, 
à bord duquel le navire de patrouille découvrit 686 captifs (1837).

Une autre forme de résistance passive était le refus de se nourrir, ce qui aboutissait à des épidémies sur le bateau et à une mortalité massive de captif s. Les coups, la torture n'etaient d'aucun secours: les Africains ne voulaient pas être des esclaves. Beaucoup de négriers affirmaient que l'unique cause de ce refus de s'alimenter était la nostalgie.

Cette façon de se laisser mourir était si répandue parmi les Africains qu'en Angleterre, on fabriquait, outre des fers, des colliers, des chaînes et des cadenas destinés aux esclaves, des appareils spéciaux en métal qu'on introduisait dans la bouche des esclaves refusant de manger, car cela permettait de les nourrir de force [106, v. 1, p. 377].

D'autres encore tentaient de lutter ouvertement et les actes les plus désespérés avaient lieu lorsque le navire négrier n'était pas encore très éloigné des côtes africaines. Les captifs pouvaient avoir l'espoir de regagner leur pays d'origine.
Les communications sur les révoltes à bord des négriers deviennent chose courante au XVIIIe siècle, dans les documents coloniaux. Il s'est conservé des papiers relatifs aux nombreux cas où des primes d'assurances furent versées aux propriétaires de navires ayant fait naufrage à la suite d'une révolte des esclaves [183, p. 89]. Dans les années 30 du XVIIIe siècle, les hommes d'affaires de Bristol se plaignaient de voir leurs revenus baisser dans le secteur de la traite des Noirs. L'une des raisons principales de ce phénomène étaient les révoltes d'esclaves à bord des négriers.

Les défenseurs de la traite des Noirs cherchaient à prouver que les révoltes sur les navires ne se produisaient qu'au voisinage des côtes africaines, qu'ensuite les Africains s'habituaient, soi-disant, à leur état, que tous les troubles durant le voyage à travers l'Atlantique ne s'expliquaient que par le traitement cruel infligé par l'équipage [133, p. 118]. Ces assertions ne correspondent absolument pas à la vérité. Nous possédons justement le plus grand nombre de renseignements à propos des révoltes qui s'étaient produites durant le "voyage". Les capitaines remettaient habituellement aux armateurs ou à la direction de la compagnie un compte rendu écrit sur les événements pour la durée de la navigation. Les communications concernant les navires disparus étaient enregistrées.
Les rapports des capitaines négriers indiquent que les préparatifs au "voyage" s'effectuaient en tenant compte du fait qu'il pouvait y avoir une révolte d'esclaves n'importe quand. On estimait que le moment le plus dangereux était celui où l'on distribuait la nourriture. Des barricades étaient dressées autour de l'endroit où se faisait la distribution. Des matelots se plaçaient derrière les barricades, avec leurs fusils chargés. Les canons du vaisseau étaient pointés sur les esclaves, les canonniers se tenant près des pièces avec les mèches allumées. Les fers des esclaves-hommes étaient vérifiés chaque jour.

Ces révoltes au cours du "voyage" se distinguaient par une violence particulière étant donné que ni l'équipage du navire ni les esclaves ne pouvaient attendre de secours de nulle part et que les deux parties combattaient pour sauver leur vie. Une fois la révolte matée, les négriers châtiaient les esclaves avec cruauté. Néanmoins, ni les exactions ni les tortures ne pouvaient arrêter les captifs. Il y a eu des cas où les esclaves se révoltèrent à deux reprises sur le même bateau pendant le "voyage".
Il n'est resté quelquefois que de brèves communications à propos de la prise de vaisseaux par les esclaves, sans que l'on sache ce qui s'y était passé.
Voici plusieurs exemples, tirés de l'ouvrage du chercheur français Dieudonné Rinchon, sur le trafic négrier à Nantes

Année du départ de Nantes
Nom du bateau
Tonnage
Membres de l'équipage
Destination en Afrique
Nombre d'esclaves achetés
Destination en Amérique
1768
Furet
45t
13
Guinée
17
Pris par les nègres
1774
Nanette
36t
6
Sénégal
_
Pris par les Noirs
1788
Augustine
55t
11
Angola
_
Pris par les Noirs
1788
Véronique
175t
23
Angola
_
Pris par les Noirs

(nous conservons la terminologie de l'auteur) [253, p. 267, 275, 292].
Remarquons qu'on dispose ici de renseignements ne touchant que des bateaux relativement petits. Si, auparavant, l'arrivée d'un négrier en vue des côtes semait la terreur parmi les Africains: ils comprirent peu à peu qu'une attaque soudaine pouvait réussir. Si c'était un grand navire, bien armé, ils évitaient de l'attaquer, mais lorsqu'il s'agissait de bateaux de petit tonnage, des détachements d'Africains armés non seulement d'arcs et de flèches mais encore d'armes à feu montaient souvent à l'attaque. Cela se passait la plupart du temps au moment où les esclaves se révoltaient à bord, ce qui multipliait les chances de succès. Les Africains n'avaient pas besoin de ces navires et, lorsqu'ils les prenaient, ils les brûlaient ou bien levaient l'ancre de sorte que le bateau partait à la dérive. Ces navires disparaissaient sans laisser de trace.

On pourrait énumérer longuement les cas où des voiliers furent enlevés par les esclaves mais combien d'exemples de résistance sont restés dans l'ombre? Une quantité de navires négriers disparaissaient sans laisser de traces durant le "voyage". Les Africains^ après avoir pris le bateau mais ne sachant pas le gouverner, mouraient de faim et de soif, faisaient naufrage sur des récifs. Des marins ont rapporté qu'ils avaient rencontré des navires à bord desquels l'équipage européen gisait, mort, et les esclaves étaient dans un état de complet épuisement, à moitié vivants. Sur d'autres bateaux, il n'y avait que des cadavres desséchés d'esclaves ou, au contraire, seulement des matelots tués.
Chez de nombreux peuples africains il existe une croyance en vertu de laquelle l'âme d'un homme, après sa mort, où qu'il soit mort, retourne au pays natal.
C'est ainsi qu'un soir où une caravane d'esclaves avait fait halte pour la nuit, David Livingstone entendit chanter.

"Six esclaves chantaient comme s'ils ne sentaient pas le poids ni la honte de leur joug. Je demandai quelle était la cause d'une pareille joie, on m'a répondu qu'ils se réjouissaient à l'idée de revenir après leur mort et d'apparaître comme des fantômes afin de tuer ceux qui les avaient vendus... L'un d'eux chantait: "O, toi, tu m'as envoyé sur la Mante (la côte), mais lorsque je mourrai, le joug tombera, et je reviendrai chez moi pour me présenter à toi et te tuer." Alors tous les autres reprenaient en chœur et les paroles du refrain étaient composées des noms de ceux qui les avaient vendus comme esclaves" [208, v. 1, p. 306].

Les marchands d'esclaves disaient souvent que les suicides des Africains, sur les négriers, étaient suscités par la croyance qu'ils reviendraient chez eux après leur mort. C'était très certainement la cause d'un certain nombre de suicides. Or, si à la nostalgie du pays venait se mêler le désir de se venger du marchand d'esclaves, ces hommes pouvaient vraiment se laisser mourir. Mourir pour pouvoir ensuite faire payer ses actes à celui qui les avait vendus!
Les marchands relevaient habituellement une indocilité particulière chez certains peuples et certaines tribus d'Afrique. Ils estimaient qu'il fallait faire preuve de beaucoup de prudence s'il y avait parmi les esclaves des Mina et des Koro-mantins, toujours prêts à s'évader ou à se révolter. D'autres mentionnaient l'audace des Ewe, d'autres encore parlaient de l'impossibilité de briser l'âme fière des esclaves Ashanti ou bien mettaient en garde contre l'insoumission permanente des esclaves achetés dans la région de Kilwa et de Mom-bassa, etc. Les peuples africains, chacun en particulier, stupéfiaient les Européens par leur inacceptation intransigeante de leur état d'esclaves, leur volonté d'être libres, leur audace et leur opiniâtreté dans la lutte.

Il ne serait pas juste de dire que certains peuples luttaient contre les négriers alors que d'autres acceptaient leur état d'esclaves. De même que les Africains de la Côte-de-l'Or, ceux de la Côte des Esclaves luttaient contre l'esclavage, ceux de la Sierra Leone se révoltaient sur les navires, ainsi que ceux exportés du littoral du golfe du Bénin et d'Angola, que les captifs vendus comme esclaves non loin de Tête, de Quelimane et à Zanzibar.

Par conséquent, cette opiniâtre résistance aux négriers prouve que les Africains, comme tous les peuples de la planète quelle que fût leur race, aspiraient à vivre libres. Mais leur désir de liberté s'accommodait de l'acceptation du trafic des esclaves dans son ensemble, et les amenait parfois à le soutenir.

Source :
http://les.traitesnegrieres.free.fr


Mohamed ZEMIRLINE

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