samedi 23 mai 2015

LE RAYONNEMENT DE L'ISLAM. L’ESPRIT DE CORDOUE. Karim Younes


LE RAYONNEMENT DE L'ISLAM. L’ESPRIT DE CORDOUE
Karim Younes


Dès les premiers temps de l’Islam les échanges dans tous les domaines de la science et de la connaissance furent étudiés dans un climat de grande tolérance religieuse et intellectuelle. Cet état d’esprit s’est poursuivi durant la période de la conquête musulmane de l'Espagne.

C’est à cette époque d’ailleurs que furent traduites pour la première fois en arabe les œuvres des philosophes grecs, en particulier Aristote, malgré la réprobation des autorités religieuses. Les initiateurs de cette grande expédition intellectuelle furent Ibn Masarra, un panthéiste, Ibn Hazm -au Xe siècle- et le Juif Ibn Gabirol qui professa une philosophie néoplatonicienne. Le XIIe siècle fut marqué par Ibn Yahia as sayegh (Avempace) et son disciple Ibn Tufayl, dont l'œuvre eut un fort impact parmi les Chrétiens.

Et qui n’a pas prononcé un jour le nom d’Ibn Rochd (Averroès, 1126-1198), dont de nombreuses œuvres ont été conservées et qui fut le contemporain de l'éminent philosophe juif Maïmonide (1135-1204) médecin, théologien talmudiste et philosophe ?

Parmi les nombreux historiens et géographes de cette période, on citera les plus connus : Ibn Al-khatib (1313- 1374) Abderrahmane Ibn Khaldoun, auteur d'une œuvre fondamentale de son temps : el Muqaddimah (prolégomènes), Al-Idrissi (XIVe siècle) et Ibn Batuta.

Enfin, pour clore ce chapitre redonnons la parole à l’auteur du « choc des civilisations», Samuel Huntington, qui résume ainsi l’apport des savants musulmans :

« L’Islam, du VIIIe au XIIe siècles, et Byzance, du VIIIe au XIe siècle, surpassaient de loin l’Europe en richesse, en extension géographique, en puissance militaire, en production artistique, littéraire et scientifique. Entre le XIe et le XIIIe siècle, la culture européenne a commencé à se développer, sous l’effet de l’emprunt systématique à la culture musulmane et byzantine, et de l’adaptation de cet héritage au contexte particulier et aux besoins de l’Occident.»

Un mot sur Ibn Battuta, ce personnage méconnu en Occident et que nous livre sa biographie : « L’un des plus grands explorateurs de l’Histoire, il entreprend à 22 ans, en 1325, une expédition épique à La Mecque, centre historique et culturel de l’Islam.


Il rentre 29 ans plus tard, après avoir traversé le monde, de l’Afrique de l’Ouest, l’Espagne et l’Inde à la Chine aux Maldives, parcourant plus de 120 000 kilomètres, soit trois fois la distance parcourue plus tard par Marco Polo ! A la demande du Sultan de Fez, Ibn Battûta dictera ses souvenirs et livrera l’un des récits de voyage les plus célèbres du monde, la Rihla.

Cet ouvrage est l’un des plus importants récits de voyage qui soient arrivés jusqu’à nous. Il reste toujours considéré comme une référence essentielle de l’histoire culturelle, architecturale, sociale, politique et géographique de bien de pays.

Dans le domaine des sciences naturelles, des savants tels que Ibn Taimya pour l’astronomie et les mathématiques, El Mayriti et Abou bakr El Ansari pour la médecine, Ibn Baytar pour la botanique, etc… ont laissé des traités qui ont influencé l’Europe de l’époque jusqu’au milieu du XVIIe siècle, « et leurs textes furent étudiés jusqu'au milieu du XVIIe siècle par des savants tels que Michel Servet, Copernic, Nicolas Massa ou Galilée ».

Tout le monde connaît de nos jours l’art andalous, son originalité ; sa beauté est toujours objet de curiosité et d’émerveillement. L’édification des monuments a commencé dès le VIIIe siècle et s’est poursuivie jusqu’au IXe siècle. Quelques grands monuments sortent du lot : la Mosquée de Cordoue, le palais de Madinat El Zahra que le Khalife Abderrahmane III a construit à sa préférée Zahra et où il entretenait une cour brillante de l’élite toutes confessions confondues.

L’architecture brillait par un ensemble de pavillons distribués autour de cours intérieures, qui deviendront l'exemple type du patio andalou : la résidence khalifale était abondamment décorée de sculptures de pierre, de mosaïques de marbre et de stucs ouvragés ; « elle représente le premier achèvement de ce qui deviendra l'art hispano-mauresque ».

Il y a enfin l’Alhambra de Grenade et le minaret de la Giralda de Séville, l’une des plus belles réussites du monde islamique. Que dire des Jardins arrosés été comme hiver de jets d’eau qui ont inspiré tant de romances ?

Terminons ce développement en relevant que la société ne peut que bénéficier de l’élite, de ses travaux, de ses découvertes. La vie sociale ne peut que s’améliorer et les équipements pour une vie meilleure ne peuvent que suivre. Un nouveau type de société urbaine voit le jour. C’est à cette époque que se crée le système d’égouts des villes, que se développe l’hygiène de vie par la multiplication des bains et que la mosquée retrouve son rôle originel de lieu de péroraison mais aussi de tenue des différentes réunions de type social et éducatif.

Les routes commerciales sont construites ou améliorées, sécurisées, établissant différentes liaisons à travers la péninsule ou rejoignant les grandes voies de commerce international grâce à la construction ou l’agrandissement des ports en direction des côtes africaines que prolongent les routes caravanières vers l’Afrique ou vers l’Orient.

L’agriculture n’est pas en reste. Les canaux d’irrigation sont plus efficaces grâce à l’invention de la «noria», roue à godets. L’Europe découvre tant de nouvelles plantes comme l’abricot, la grenade, le melon, l’artichaut, l'aubergine, l'asperge, l'endive le riz ainsi que la canne à sucre et déguste bien les plats qui à ce jour encore garnissent nos tables : boulettes de viande au cumin, couscous, empanadas de poisson (on peut préparer ce plat avec une pâte et des restes de viande ou de poulet) et légumes, poissons au four aux épices, aubergines farcies, etc.

Pendant le Xe siècle et au-delà, dans l’Espagne andalouse, la capitale Cordoue atteint un développement sans égal dans l’Occident. Seules Bagdad et Byzance lui disputent la suprématie... Dans sa période faste, Cordoue comptait à elle seule 113 000 logements, 300 bains publics, 30 hôpitaux, 80 écoles publiques, 14 universités, 20 bibliothèques publiques (chacune possédait des centaines de milliers de livres et la plus importante d’entre elles, 400 000 ouvrages) pour un total de quelque 10 millions d’habitants dont l’immense majorité a embrassé l’Islam comme religion et l’arabe comme langue d’étude et d’exercice professionnel.

Des auteurs de réputation mondiale ont traité de la civilisation musulmane en Europe médiévale. Retenons à ce sujet les propos de Michel Chasles :

«Nous devons payer un juste tribut de reconnaissance aux Arabes, qui, après le déclin de l’école d’Alexandrie, et quand l’Occident était plongé pour longtemps encore dans la barbarie et l’ignorance, ont recueilli avec ardeur et intelligence les débris des sciences grecques et les connaissances orientales, qu’ils nous ont transmises vers le XIIe siècle. Leurs ouvrages ont été le modèle de tous les ouvrages européens, depuis cette époque, et longtemps encore après le XVe siècle, qui marque la renaissance des lettres et de la civilisation en Europe. »

Voltaire écrit : « Dans nos siècles de barbarie et d’ignorance, qui suivirent la décadence et le déchirement de l’empire romain, nous reçûmes presque tout des Arabes : astronomie, chimie, médecine, et surtout des remèdes plus doux et plus salutaires que ceux qui avaient été connus des Grecs et des Romains. L’algèbre est de l’invention de ces Arabes ; notre arithmétique même nous fut apportée par eux. »

La réforme monétaire engagée par Al Mansour en 1185 qui doublait le poids de métal précieux du dinar d’or et réduit les impôts va contribuer à l’essor de plusieurs grandes villes d’Espagne andalouse qui compteront désormais plusieurs faubourgs. Les murailles seront renforcées et les équipements sociaux, places publiques, jardins offrent un bien meilleur cadre de vie.

« La décision des Almohades d'investir dans de grands travaux publics une bonne partie du cinquième du butin revenant au calife leur permet de réaliser, à partir des années 1160, de nombreuses constructions religieuses ou civiles et de fortifier les frontières d'Al-Andalus », écrit Philippe Conrad qui ajoute : « Les souverains berbères ont ainsi imprimé leur marque à l'architecture militaire ibérique, ce dont témoignent les enceintes de Cordoue, Badajoz, Caceres, Séville, Trujillo ou Ecija et les forteresses telles que Alcala de Guadaira ou Tabernas, qui contrôle la route reliant Almeria à Murcie en même temps que les accès à la Sierra de los Filabres.

Construite face à Séville sur l'autre rive du Wadi al-Qabir, le « Grand Fleuve », devenu aujourd'hui notre Guadalquivir, la Torre del Oro – qui doit son nom aux tuiles de faïence lustrée à reflets dorés qui la recouvraient jadis – demeure, avec l'élégante Giralda, qui fut le minaret de la mosquée transformée en cathédrale, l'un des monuments les plus célèbres de l'époque almohade ; il convient d'ajouter la chapelle de Santa Maria la Real de l'Alcazar de Jerez de la Frontera, la munya ou résidence campagnarde du Castillejo de Monteagudo et l'Alcazar de Séville, contemporain du roi de Castille Pierre le Cruel mais qui conserve de nombreux éléments remontant à l'époque almohade, voire au palais d'Al-Motamid…

En terre chrétienne, les décors en stuc du monastère de las Huelgas, près de Burgos, ou ceux de l'ancienne synagogue Santa Maria la Blanca de Tolède sont par ailleurs directement inspirés des modèles almohades » .

Tout n’a pas baigné dans l’huile durant ces deux siècles et demi du règne des Omeyyades de Cordoue. Il y eut bien des éruptions intermittentes qui par moments firent craindre le pire pour la dynastie des Abderrahmane. La répression demeure alors la seule voie pour remettre de l’ordre sur le territoire. Celle des Saragosse en 777, des faubourgs de Cordoue en 818, ou des révoltes de Tolède en 807, 812, 829, 837, Merida en 805, 813, 817, et 825 sont annonciatrices d’une anarchie précédant une période de dissension-fitna (discorde) où se rompt l’unité de la nation. Des régions entières vont échapper au pouvoir de Cordoue.

Karim Younes

PS : Sur la photo, le château construit en 960 par le Khalife Abderraman III, à Tarifa (En Andalousie) .La citadelle porte aujourd’hui le nom d’Alonso de Guzmán (Andalousie)


22 avril 2015, sur Facebook.


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