lundi 11 mai 2015

La Lance Sacrée, Sa Copie, et les Visions.



La Lance Sacrée, Sa Copie, et les Visions. (1)


Si Urbain II voyait sa Croisade comme un remède à un mal terrestre, il n'en était pas de même pour l'évêque du Puy Adhémar de Monteil, Légat du Pape, dont les chevaliers ne faisaient pas grand cas. Il est vrai qu'il était, lui, un chrétien sincère, ainsi que son ami Raymond de Toulouse, le Provençal détesté par les Francs. Il était cet homme cultivé à la provençale et sincère croyant de surcroît. Sa culture et sa moralité avaient fait l'admiration de l'empereur Alexis Comnène, lorsque celui-ci le comparait aux autres chevaliers, comme le rapporte Anna Comnèna, sa fille, dans son "Alexiade". Ni Adhémar, ni Raymond n'étaient aimés des Croisés. Ils étaient modérés en tout : ils ne voulaient pas que l'on prostitue le Christ avec des "excès" faits en son nom, aussi bien contre l'Infidèle que contre les chrétiens "schismatiques" de l'Orient.

Un certain Pierre Bartholomé de l'"Armée" de Kio-Kio Pierre, dit Pierre l'Hermite, en voulait particulièrement à Adhémar (l'hommage du vice à la vertu). "On" le choisit donc pour une Vision dont on avait bien besoin. C'était durant le Siège d'Antioche occupée par les Croisés. Cette cité est sacrée pour la chrétienté : c'est là que, pour la première fois de l'Histoire, fut prononcé le mot de "Chrétiens", pour nommer ceux qu'on appelait jusqu'alors "Juifs de la secte des Nazaréens". Il régnait la famine chez les assiégés, et les assiégeants "Infidèles" devenaient de plus en plus dangereux. Que devait-on faite? La stratégie sur les champs de bataille est essentielle dans une guerre, mais le moral des combattants est d'une grande importance aussi. Comment donc lutter contre la famine et maintenir le moral? Bartholomé et quelques bonnes petites Visions de son cru feront l'affaire...

"Saint André" se présente une nuit en Vision à Bartholomé (justement Bartholomé!), pour se plaindre de la conduite d'Adhémar (justement d'Adhémar!). Par la suite, en de nombreuses autres Visions, il donne même à Bartholomé un "bon conseil" à valeur historique : il lui montre où se trouvent exactement les restes métalliques de la pointe de la Lance sacrée. Cette Lance est celle avec laquelle un soldat romain (tiens, je croyais que c'était les Juifs les "déicides") perça les Flancs du Christ durant son Supplice. Cependant, comme par hasard, quelque temps auparavant, ce Bartholomé avait participé à des travaux de terrassement en ce lieu sacré de la Cathédrale St. Pierre... Quand on rapporta l'affaire au Légat du Pape qu'était Adhémar, le bon évêque du Puy n'y accorda aucun crédit, car il savait que le dit fer de la Lance était déjà pieusement gardé à Constantinople en tant que relique. Tous les chevaliers, qui n'aimaient pas Adhémar, dirent alors qu'il niait l'authenticité de la Vision (et par conséquent du fer de la Lance), et qu'il haïssait Bartholomé pour avoir été choisi par "Saint André" pour le sermonner. Il faut dire ici que Bartholomé, de moeurs et de moralité pas très catholiques, était l'homme fait sur mesure. On avait besoin de sa filouterie parce que la famine régnait dans le camp des assiégés et qu'il était intéressant que "Saint André" prescrive cinq jours de jeûne avant d'attaquer les assiégeants (en fait, on avait besoin de cinq jours pour se préparer). "Saint André" était un si bon "stratège"(!) qu'il recommanda même aux Croisés de ne pas s'arrêter au cours de la bataille pour piller le camp ennemi, comme il était de coutume de le faire. C'était là une précaution stratégique : il fallait pouvoir poursuivre l'ennemi une fois vaincu, sans que le pillage retarde les opérations d'anéantissement. Un drôle d'expert en stratégie que ce "Saint André" apparaissant à Bartholomé!


Les Visions étaient à la mode en ces temps-là. Il y en avait des sincères mais il y en eut surtout, durant les Croisades, des comparables à celles de Bartholomé et Kio-Kio Pierre!

"Une nuit il crut entendre en songe Jésus Christ lui dire : "Debout Pierre, et hâte-toi! je serai avec toi; car il est temps de purger les Lieux Saints et de secourir mes serviteurs"."(2)

Ce ne fut pas un Saint quelconque qui rendit visite à Pierre l'Hermite, ce fut le "Christ" en personne. Nombreuses furent les Visions de cette sorte destinées à relever le moral des Croisés. Par exemple, durant une bataille en Cilicie, nombreux furent les visionnaires qui virent une "Armée de Chevaliers Célestes" conduits par "Saint André", "Saint Démètre" et "Saint Georges" en train de combattre aux côtés des Croisés. Les "Infidèles" n'étaient d'ailleurs pas en reste en matière d'aide céleste. Le Prophète d'Allah combattait aussi à la tête de ses Fidèles, à cheval sur sa Jument blanche, ses concurrents Saints chrétiens!

Le bon Dieu n'avait pas envoyé des renforts célestes aux Croisés seulement contre les "Infidèles". Il avait fait des miracles pour les aider même contre d'autres chrétiens, les "schismatiques" de Byzance. "Quarante témoins oculaires" auraient vu l'Ange qui planta la bannière de Saint Marc (des Marchands de Venise) sur la Tour de Galata à Constantinople, durant la Quatrième Croisade organisée en commun par l'innocent Saint Père Innocent III en collaboration avec le Doge de Venise Dandolo. Une drôle de Vision cette fois-ci, où un Ange se réjouit de voir une boucherie de chrétiens qui dura trois jours (hommes, femmes, enfants et vieillards).
Il n'est pas de mon intention ici de me moquer de toutes les Visions de l'histoire de la chrétienté. Anatole France, qui n'était pas un croyant, a bien su expliquer en deux grands volumes la sincérité des Visions de Sainte Jeanne d'Arc. Cependant, celles des Bartholomé durant les Croisades...
BASILE Y.
Web : basile-y.com

1/. Résumé tiré de A HISTORY OF THE CRUSADES, par Steven Runciman, Volume I, pages 241 à 246 et 253.
2/. Henri Martin, HISTOIRE DE FRANCE, éd. Jouvet & Cie., Paris, t.I, page 163. 

Mohamed ZEMIRLINE

                                 


















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