vendredi 8 mai 2015

Une lecture de la grève de 1956
Ahmed Ghebalou        
Témoignage recueilli par Nora Sari

Publié le 29 Jan 2014

Ahmed Ghebalou (dit Hmimed) est né le 16 mai 1936 à Cherchell. Il entre à l’école primaire de garçons, puis au cours fin d’études à l’école Van Eyck. Il réussit au concours d’entrée au Cours complémentaire, puis accède, sur concours également, à la medersa Ethaâlibya d’Alger (qui deviendra quelques années plus tard le lycée franco-musulman). Avant la grève des étudiants de 1956, il rejoint le maquis et combat durant toute la révolution. En 1963, il est inscrit à Saint Petersburg pour un doctorat en téléinformatique qu’il obtient huit ans plus tard. En 1974, il a le grade de commandant et travaille au bureau informatique du Secrétariat général du MDN. Dès 1976, il est enseignant à l’Enita et directeur de la recherche scientifique dans cet établissement jusqu’en 1986. De 1986 à 1988, il est DG de l’ONEX, avec le grade de colonel de l’ANP. Actuellement en retraite, Ahmed Ghebalou donne des conférences et participe à des séminaires ainsi qu’à des émissions radio et télé sur la révolution et sur sa participation et celle de ses frères d’armes au sein de la Wilaya IV.


1re étape : adhésion au PPA-MTLD

 

A la medersa Ethaâlibiya, le parti existait dans la clandestinité ; une section était dirigée par Tahar Gaïd (frère de la moudjahida Malika Gaïd) et cette section chapeautait toute l’organisation clandestine des lycées d’Alger.
Mon adhésion s’est faite spontanément, il y avait de grandes prédispositions à embrasser la cause ; en effet, le milieu familial dans lequel je suis né et j’ai grandi pratiquait un nationalisme pur et dur. Mon oncle est un condamné de mai 1945 et j’étais déjà imprégné du programme du PPA-MTLD. Avant la crise (avant juillet 1954), le parti était à sa dernière phase ; il ne restait plus qu’à passer à l’action et, pour ma part, seule l’action m’intéressait.     
Mon adhésion date de 1952 ; la medersa constituait un terreau fertile pour les adhésions et pour cause, tous les lycéens étaient Arabes et musulmans, contrairement aux autres lycées fréquentés par une importante population scolaire issue du colonat et de quelques « Arabes » parmi eux.

Première réunion à la Casbah d’Alger

 

Juillet 1954, vacances d’été. Les étudiants sont désemparés, il y a une scission entre les Centralistes et les Messalistes. Lors du congrès d’Ornu (Belgique), elle est consommée. Notre position était embarrassante: qui suivre ? Notre section devait prendre position ! Le 23 octobre 1954, c’est la rentrée. Amara Rachid et Tahar Gaïd convoquent une réunion de la section ; je ne connais que les membres de ma cellule (2), les autres me sont inconnus. La rencontre a lieu dans la maison d’un camarade de classe (Lounis) située rue Médée, à la Casbah. Le cloisonnement est terminé et je rencontre des camarades de la medersa que je connais, alors que j’ignorais qu’ils faisaient partie du PPA- MTLD.       
Après avoir pris la parole, Amara Rachid conclut en ces termes : « Les gens du djebel vous disent que la politique est terminée ! Il faut passer à l’action ! » (Une semaine plus tard, le 1er novembre, la révolution est déclarée.) C’est là que nous avons compris ce que Amara voulait dire; inutile de prendre position ni pour les Centralistes ni pour les Messalistes ; la clandestinité était terminée et toute la section a été versée au FLN d’Alger (clandestin aussi).Cette rencontre entre medersiens a regroupé une vingtaine d’étudiants dont Amara Rachid, Tahar Gaïd, Laid Lachgar, Amar Toudji, Ali Khéliouane, Cherif Zertal, Ali et Mahmoud Lamraoui, Ahmed Taouti, Messaoudi (?), Omar Aouchiche, Mustapha Saber, Lounis ( ?) et Ahmed Ghebalou (entre autres)

2e étape : l’action

 

L’ancienne section PPA-MTLD est devenue FLN, son terrain d’action se situe à Alger, sous la conduite d’Amara Rachid, ami proche de Abane Ramdane. Notre action sur le terrain consistait à susciter le militantisme : poser les structures de la révolution, implanter l’idée de la révolution au sein de la population d’Alger ; ce travail souterrain a duré quelque temps et nous étions fiers de ne plus être de simples militants anonymes mais de faire partie d’une section conduite par Amara Rachid et Tahar Gaïd, tous deux proches collaborateurs de Abane Ramdane, donc des centres de décision ; nous étions de ce fait au courant de ce qui se passait et cette situation a duré jusqu’en août 1955, jusqu’à la grande offensive du Nord-Constantinois sous la direction de Zighoud Youcef, offensive qui a marqué un tournant capital pour la suite des évènements.

L’offensive du Nord-Constantinois – août 1955

 

Cette offensive a constitué l’une des grandes étapes de la révolution. Abane avait compris que cette offensive constituait une grande action stratégique, non tactique (dans l’espace et dans le temps).        
Et c’est à la suite de cette grande action d’envergure stratégique que Abane a décidé qu’il fallait des actions de ce genre qui auront un impact aussi bien en Algérie qu’en France, que de par le monde. L’importance de l’offensive dans le Nord-Constantinois est loin d’être négligeable ; aussi, Abane décide d’envoyer des émissaires auprès de Zighoud Youcef afin d’obtenir des informations sur l’organisation de cette action, les buts, les moyens, la stratégie, la logistique, tout ce qui a été mis en place pour avoir mené une action d’une telle envergure.  
Deux groupes d’émissaires ont été désignés pour la mission choisie : pour le premier groupe, Amara Rachid et Braham Mezhoudi. Pour le second groupe : Mohamed Seddik Benyahia et Saâd Dahlab ; le premier groupe est resté une semaine auprès de Zighoud et le second deux semaines ; chacun des deux groupes revient et remet à Abane son rapport ; celui-ci compare les deux rapports et sa conclusion est nette, elle s’impose : le passage à l’action stratégique est imminent. Il est temps de rehausser la révolution algérienne au niveau international, auprès des instances internationales (ONU-Bandung) et de hisser la révolution à ce niveau avec cette vision.
Abane réfléchit à une prochaine action de dimension stratégique qui permettrait de mobiliser toute la population algérienne ainsi que toutes les couches de la société ; les intellectuels seraient chargés de porter le message et cette action mûrement réfléchie se concrétiserait par la grève générale qui aurait une dimension stratégique dans le temps et dans l’espace et impliquerait toutes les couches de la population dans le combat libérateur. Mais pour les étudiants, quel dilemme! Le mot d’ordre serait de s’engager, abandonner le lycée à une ou deux années du baccalauréat ! Pour la majorité de ces médersiens de condition modeste, les études représentaient la bouée de sauvetage aussi bien pour eux que pour leurs familles ! Ils représentaient l’espoir de demain, les portes de l’université s’ouvraient déjà devant eux et ils devraient du jour au lendemain s’engager !

Mettre en application l’idée de la grève

 

Abane, par le biais d’Amara Rachid, a demandé dix volontaires qui seraient puisés au sein de cette section pour mettre en pratique, par étapes, cette action. Certains élèves se sont portés volontaires mais n’ont pas été retenus. Sur quels critères ?
Parmi ceux retenus, citons pour le Centre : Ahmed Ghebalou, Amara Rachid, Sassi Boulefaâ, Hassan Boudissa avec les trois jeunes filles Meriem Ben Mihoub, Fadila Mesli et Safia Baâziz. 
Pour la Kabylie : Lounis (?), Mustapha Saber, Ali et Mahmoud Lamraoui et Omar Aouchiche.
Pour l’Oranie : Ahmed Taouti et Zoulikha Bekaddour.   
Leurs missions : volontaires pour aller rejoindre le maquis en application de la décision prise de grève générale. Cette première mission avec affectation devait servir de test pour Abane et pour la révolution : d’une part, évaluer les réactions des étudiants et voir si cette action sera suivie ; ensuite, quelle sera la réussite d’une telle opération et enfin quel sera l’impact sur la population et surtout sur le reste des lycéens et des étudiants qui n’étaient pas structurés et pour qui l’opportunité de poursuivre des études supérieures était capitale. Ce mouvement aura-t-il des chances d’être suivi ? Ces dix lycéens choisis serviront en fait de cobayes et d’éclaireurs qui seront des stratèges militaires pour évaluer et connaître la réaction de la population et des étudiants. Dans une deuxième phase, l’UGEMA prendrait le relais pour l’exécution : application, tracts, etc. Et la grande offensive serait la grève.

Réunion chez le professeur de français

 

Robert Malland était notre professeur de français à la medersa Ethaâlibiya et à cette époque le proviseur était le cheikh Ahmed Ibnou Zekri, dont le père, enseignant également bien longtemps auparavant, Si Med Saîd, a œuvré à la concrétisation de la création de ces medersas où l’enseignement était totalement bilingue : arabe et français.
Nous nous sommes rendus au 67 bd du Télemly, l’immeuble attenant au lycée Sainte-Elisabeth, au 6e étage, dans l’appartement de M. Malland. Debout, dans le hall, le professeur nous déclare : « Vous allez rejoindre le maquis, à 8 heures, vous avez rendez-vous avec Pierre Coudre au square Bresson. » (M. Coudre est directeur des auberges de la jeunesse). Le soir-même, nous avons passé la nuit chez lui, rue Sadi Carnot, actuellement Hassiba Ben Bouali. Le lendemain matin, Pierre Coudre est allé travailler et son épouse est restée avec nous.    
Elle nous a demandé ce que nous voulions ou si nous avions besoin de quelque chose. Le plus âgé d’entre nous avait 20 ans ; dans l’euphorie du départ vers le maquis et vers la guerre, nous espérions mourir en martyrs et pour cela, il nous fallait prendre un bain et faire nos ablutions ! Alors nous demandâmes à Mme Coudre la permission de se laver. Vers 14 heures, Abane est venu nous rendre visite et nous dire au revoir ; son chauffeur l’attendait en bas, au volant d’une traction avant Citroën noire.

Le départ

 

Dans sa 2-chevaux, le lendemain matin le chauffeur de Abane nous a déposés à Birtouta.  Une autre voiture a déposé le jour même les trois jeunes filles qui sont venues nous rejoindre dans une ferme appartenant à des propriétaires terriens qui travaillaient en étroite collaboration avec Abane. Ce fermier était également propriétaire d’un café situé au marché de Chartres et qui servait également de boîte postale à Abane. Nous avons passé une semaine en villégiature dans cette ferme, nourris, logés, blanchis, copieusement servis en nourriture et en fruits à volonté. Le temps nous a paru très long et l’inaction nous pesait. Amara a fini par s’emporter et crier : « Nous sommes en train de vivre une vie de Messalistes ! » Il était excédé et il lui tardait de monter au maquis.

Le maquis

 

Abane a envoyé des guides pour accompagner les volontaires au maquis. Un responsable politico-militaire, du nom de cheikh Benyoucef Kritli, originaire de Soumaâ, envoie ses guides qui accompagnent les quatre jeunes gens à Beni Kinaâ
(à côté de Soumaâ).       
Nous sommes au maquis ! Dans la zaouïa des Beni Mesra, qui s’est transformée en un lieu de rassemblement de tous les étudiants grévistes. Cette zaouïa deviendra une sorte «d’université populaire», sous l’égide de Amara Rachid, car des conférences y étaient données par des étudiants et par Abane et Krim lors de leur passage en se rendant au congrès de la Soummam.

Notre mission

 

Le congrès de la Soummam doit se tenir en août 1956 et la grève a été déclenchée le 19 mai. Notre mission consistait à créer des maquis dans la zone ouest de la future Wilaya IV, tout le long du littoral, allant de Cherchell vers Ténès et la Marsa et de faire la jonction avec les maquis de l’Oranie ; j’ai été choisi pour faire partie d’un groupe de onze moudjahidine qui ont été à l’origine de la création de ces maquis, des monts de Beni Menad jusqu’à Ténès et Beni Haoua. Onze moudjahidine armés de neuf fusils de chasse, deux armes de guerre, un fusil Garant et une carabine 4s. Un mois de marche dans une région vierge et non organisée. La première étape serait la pénétration, la seconde, l’action...

Ceci est le témoignage de quelques lycéens, élèves de la medersa Ethaâlibiya, qui ont répondu à l’appel de la révolution et qui, pour beaucoup d’entre eux, y ont laissé la vie. Le premier de notre groupe sera Amara Rachid, qui tombera au champ d’honneur alors qu’il se rendait au congrès de la Soummam.

Témoignage recueilli par Nora Sari
http://www.memoria.dz/jan-2014/dossier/une-lecture-la-gr-ve-1956-0




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