LES CROISADES
Les
croisades contre les peuples païens de l'Europe de l'Est 1147 - 1153
[1147]
Toutes les forces de l'Europe ne furent pas dirigées contre l'Asie. Plusieurs prédicateurs, autorisés par le Saint-Siège, avaient exhorté les habitants dela Saxe
et du Danemark à prendre les armes contre quelques peuples de la Baltique , plongés encore
dans les ténèbres du paganisme. Cette expédition avait pour chefs Henri de
Saxe, plusieurs autres princes, un grand nombre d'évêques et d'archevêques. Une
armée composée de cent cinquante mille croisés attaqua la nation barbare et
sauvage des Slaves (44), qui ravageaient les côtes de la mer et le
pays des chrétiens. Les guerriers portaient sur leur poitrine une croix rouge,
au-dessous de laquelle était une figure ronde, image et symbole de la terre,
qui devait être soumise aux lois de Jésus-Christ. Les prédicateurs de
l'évangile les accompagnaient dans leur marche, et les exhortaient à reculer
par leurs exploits les limites de l'Europe chrétienne. Les croisés livrèrent
aux flammes plusieurs temples d'idoles et détruisirent la ville de Mahclon, où
les prêtres du paganisme avaient coutume de se rassembler. Dans cette guerre
sainte, les Saxons traitèrent un peuple païen comme Charlemagne avait traité
leurs pères ; mais ils ne purent subjuguer les Slaves. Après une lutte de trois
ans, les croisés de la Saxe
et du Danemark se lassèrent de poursuivre un ennemi défendu par la mer et
surtout par son désespoir. Ils firent des propositions de paix ; les Slaves, de
leur côté, promirent de se convertir au christianisme et de respecter les
villes et les pays qu'habitaient les chrétiens, mais ils ne faisaient ces
promesses que pour désarmer leurs ennemis. Dès que la paix fut rétablie, ils
retournèrent à leurs idoles et recommencèrent leurs brigandages.
Toutes les forces de l'Europe ne furent pas dirigées contre l'Asie. Plusieurs prédicateurs, autorisés par le Saint-Siège, avaient exhorté les habitants de
D'autres croisés, sur lesquels la chrétienté n'avait point les yeux, firent une guerre plus heureuse sur les bords du Tage. Depuis plusieurs siècles l'Espagne était envahie par les Sarrasins ; deux peuples rivaux s'y disputaient l'empire, et combattaient pour le territoire au nom de Mahomet et de Jésus-Christ. Les Maures, souvent vaincus par le Cid et par ses compagnons, avaient été chassés de plusieurs provinces, et, lorsque la seconde croisade partit pour l'Orient, les Espagnols assiégeaient la ville de Lisbonne. L'armée chrétienne, peu nombreuse attendait des renforts, quand elle vit arriver dans l'embouchure du Tage une flotte qui transportait en Orient un corps de croisés français. Alphonse, prince de la maison des ducs de Bourgogne et petit-fils du roi Robert, commandait le siège. Il se rendit auprès des guerriers que le ciel semblait envoyer à son secours, et leur promit la conquête d'un royaume florissant. Il les exhorta à venir combattre ces mêmes musulmans, qu'ils allaient chercher en Asie à travers les périls de la mer. "Le Dieu qui les envoyait devait bénir leurs armes ; un glorieux salaire et de riches possessions allaient récompenser leur valeur". Il n'en fallait pas davantage pour persuader ces hommes qui avaient fait voeu de combattre les infidèles et qui cherchaient des aventures guerrières. Ils abandonnent leurs vaisseaux et se réunissent aux assiégeants. Les Maures leur opposèrent une vive résistance ; mais, au bout de quatre mois, Lisbonne fut prise d'assaut et la garnison passée au fil de l'épée. On attaqua ensuite plusieurs autres villes, qui furent enlevées aux Sarrasins ; le Portugal resta soumis à Alphonse, qui prit alors le titre de roi. Au milieu de ces conquêtes, les croisés oublièrent l'Orient ; et, sans courir beaucoup de dangers, ils fondèrent un royaume qui jeta plus d'éclat et dura plus longtemps que celui de Jérusalem (45).
On se rappelle qu'avant cette croisade, les musulmans des côtes d'Afrique avaient fait une invasion en Sicile et qu'ils s'y étaient rendus maîtres de Syracuse. Ils furent bientôt obligés d'abandonner leur conquête ; Roger, après les avoir mis en fuite, arma une flotte et les poursuivit jusque dans leur propre pays. Les Siciliens surprirent la ville de Tripoli d'Afrique, et revinrent dans leurs foyers, chargés de dépouilles. Dans le temps même où les croisés allemands et français arrivaient en Syrie, Roger entreprit une nouvelle guerre contre les Africains ; et, tandis que Louis VII et Conrad assiégeaient Damas, les guerriers de Sicile s'emparaient de Mahadyah (Algérie), dont une horrible famine leur avait ouvert les portes. Ces expéditions sur les côtes d'Afrique se renouvelèrent souvent pendant les croisades ; quoiqu'elles n'aient jamais eu des résultats remarquables, elles peuvent du moins nous servir à expliquer les motifs de la dernière croisade de saint Louis.
On peut juger par ces entreprises, dirigées à la fois contre les peuples du Nord, contre ceux de l'Orient et du
Cependant
Il
On accusait l'abbé de
Clairvaux d'avoir envoyé les chrétiens mourir en Orient, comme si l'Europe
avait manqué de sépulcres. Les partisans de saint Bernard, qui avaient vu sa
mission attestée par des miracles, ne savaient que répondre et restaient dans
la stupeur.
"Dieu, dans ces derniers temps, disaient-ils entre eux, n'avait épargné ni son peuple ni son nom : les enfants de l'église avaient été livrés à la mort dans le désert, ou moissonnés par le glaive, ou dévorés par la faim ; le mépris du Seigneur s'était répandu jusque sur les princes ; Dieu les avait laissés s'égarer dans des routes inconnues, et toutes sortes de peines et d'afflictions avaient été semées dans leur carrière". Tant de malheurs arrivés dans une guerre sainte, dans une guerre entreprise au nom de Dieu, confondaient la raison des chrétiens qui avaient le plus applaudi à la croisade, et saint Bernard lui-même s'étonnait que Dieu eût voulu juger l'univers avant le temps et sans se ressouvenir de sa miséricorde. "Quelle honte pour nous, disait-il dans une apologie adressée au pape, pour nous qui sommes allés partout annoncer la paix et le bonheur !
Nous sommes-nous donc conduits témérairement ?
Nos
courses ont-elles été faites par fantaisie ?
N'avons-nous
pas suivi les ordres du chef de l'église et ceux de Dieu ?
Pourquoi
Dieu n'a-t-il pas regardé nos jeûnes ?
Pourquoi
a-t-il paru ignorer nos humiliations ?
Avec
quelle patience entend-il aujourd'hui les voix sacrilèges et les blasphèmes des
peuples d'Arabie qui l'accusent d'avoir conduit les siens dans le désert pour
les faire périr ?
Tout
le monde sait, ajoutait-il, que les jugements du Seigneur sont véritables ;
mais celui-ci est un si profond abîme, qu'on peut appeler heureux celui qui
n'en est pas scandalisé".
Saint
Bernard était si persuadé que la malheureuse issue de la croisade devait être
pour les méchants un motif d'insulter à la Divinité , qu'il s'applaudissait de voir tomber
sur lui les malédictions des hommes et d'être comme le bouclier du Dieu vivant.
Dans son apologie, il attribua les mauvais succès de la guerre sainte aux désordres et aux crimes des chrétiens ; il compara les croisés aux Hébreux, à qui Moïse avait promis, au nom du ciel, une terre de bénédiction, et qui périrent tous pendant le voyage, parce qu'ils avaient fait mille choses contre Dieu. On aurait pu répondre à saint Bernard qu'il était facile de prévoir les excès et les désordres d'une multitude indisciplinée, dans laquelle, comme nous l'avons vu, on avait admis des hommes pervers, des femmes de mauvaise vie, et même des voleurs et des brigands. Au reste, les raisons que donnait saint Bernard étaient appuyées sur les croyances du temps, et ne laissaient pas de produire quelque impression sur les esprits. Dans la persuasion où l'on était qu'une guerre contre les musulmans ne pourrait qu'être agréable à
Au reste, on déplorait les maux présents ; mais l'avenir en préparait de plus grands encore que personne ne prévoyait. S'il est vrai que le divorce d'Eléonore fut une des suites de la croisade, on peut le compter parmi les plus grands malheurs qui résultèrent pour
La flatterie entreprit de consoler Louis le Jeune des revers qu'il avait éprouvés en Asie, et le représenta dans plusieurs médailles comme le vainqueur de l'Orient (46). Il était parti de
Jamais les colonies chrétiennes n'avaient eu plus besoin d'être secourues : depuis que les Français avaient quitté
Le roi de Jérusalem, le patriarche de la ville sainte, celui d'Antioche, les chefs des ordres militaires de Saint-Jean et du Temple, ne cessaient d'adresser leurs gémissements et leurs prières aux fidèles d'Occident. Le pape, touché de tant de calamités, exhorta les peuples chrétiens à porter des secours à leurs frères d'Orient. On parlait déjà, en Allemagne, en Angleterre, en France, de reprendre la croix et les armes ; mais les princes, qui n'avaient point oublié les revers de la dernière croisade et que n'épargnaient point les plaintes et même les railleries du peuple, n'osèrent point encourir d'autres reproches et braver de nouveaux périls. Le clergé et la noblesse, que la guerre sainte avait ruinés, n'échauffèrent point par leur exemple l'enthousiasme renaissant de la multitude ; Godefroy, évoque de Langres, revenu de l'Orient, avait abdiqué sa dignité épiscopale, et s'était renfermé dans le monastère de Clairvaux, où il déplorait, au milieu des austérités de la pénitence, une guerre pour laquelle il avait montré un zèle plus fervent qu'éclairé. Ce qui acheva d'éteindre l'ardeur nouvelle des peuples, c'est que l'abbé de Clairvaux, dont l'éloquence miraculeuse avait remué l'Occident, ne fît plus entendre sa voix : son silence fut comme un saint avertissement, ou plutôt comme un autre miracle, qui retint dans une paix profonde le monde chrétien prêt à s'ébranler une seconde fois.
On vit alors, chose difficile à croire, l'abbé Suger, qui s'était opposé à l'expédition de Louis VII, prendre la résolution de secourir Jérusalem, et, dans une assemblée tenue à Chartres, exciter les princes, les barons et les évêques à s'enrôler sous les drapeaux de la guerre sainte. Comme on ne répondait à ses discours que par le silence de la douleur et de l'étonnement, il forma le projet de tenter lui seul une entreprise dans laquelle avaient échoué deux monarques. Suger, à l'âge de soixante-dix ans, résolut de lever une armée, de l'entretenir à ses frais et de la conduire lui-même dans
Dans ses derniers moments, Suger invoqua l'assistance et les prières de saint Bernard, qui soutint son courage et l'exhorta à ne plus détourner ses pensées de
Triste
siècle où la France
perdit tour à tour les Abbés Suger et
Saint Bernard
Suger
et saint Bernard, unis par la religion et par l'amitié, eurent une destinée
différente : le premier, né dans une basse condition, se laissa aller aux
faveurs de la fortune, qui le porta aux plus grandes dignités ; le second, né
dans un rang plus élevé, se hâta d'en descendre, et ne fut rien que par son
génie. Saint Bernard rendit peu de services à l'état, mais il défendit la religion
avec un zèle infatigable, et, comme on plaçait alors l'église avant la patrie,
il fut plus grand aux yeux de ses contemporains que l'abbé Suger. Tant qu'il
vécut, toute l'Europe eut les yeux fixés sur l'abbé de Clairvaux ; il était
comme une lumière placée au milieu des chrétiens ; toutes ses paroles avaient
la sainte autorité de la religion qu'il prêchait. Il étouffa les schismes, fit
taire les imposteurs, et, par ses travaux, mérita dans son siècle le titre de
dernier père de l'Eglise, comme le grand Bossuet l'a mérité dans le nôtre.
On pourrait reprocher à saint Bernard d'être trop souvent sorti de
sa retraite et de n'avoir pas toujours été, comme il le dit lui-même, le
disciple des chênes et des hêtres. Il ne fut étranger à aucun événement politique
de son temps ; il se mêla de toutes les affaires du Saint-Siège. Les chrétiens
se demandaient quel était le chef de l'église ; les papes, les princes
murmurèrent quelquefois contre son autorité ; mais il ne faut pas oublier qu'il
rappela sans cesse la justice et la modération aux grands de la terre,
l'obéissance et le respect des lois aux peuples, la pauvreté et l'austérité des
moeurs au clergé, à tous, les saintes maximes de l'humanité et de la morale
évangélique.
Mort
de Saint Bernard de Clairvaux
L'an 1153, deuxième du règne de l'empereur Frédéric I, seizième du règne de Louis VII, roi de France, le 10 juillet, mort du pape Eugène, après un pontificat de huit ans, quatre mois et treize jours. Il a pour successeur Conrad qui, de chanoine régulier, était devenu évêque de Palerme. Il prit le nom d'Anastase IV. Peu de temps après, notre très-saint docteur Bernard, après avoir travaillé pour l'église de Dieu, malade depuis le milieu de l'hiver précèdent, ainsi qu'il le dit lui-même dans ses lettres CCLXXXVIII, CCCIII, et CCCVIII, meurt en paix, après avoir rétabli la paix entre les habitants de Metz, le 20 août à neuf heures du matin, dans la soixante-troisième année de son âge, la quarantième de sa profession religieuse, et la trente-huitième de sa prélature.
Dans la même semaine, la ville très-forte d'Ascalon, en Palestine, fut prise par les Chrétiens, selon que le saint l'avait prédit à plusieurs reprises, comme l'atteste Geoffroy dans le livre III de sa Vie de saint Bernard, chapitre IV.
Notes
44.
M. Wilken à traité cette croisade contre les peuples du Nord avec beaucoup
d'étendue, parce quelle offre un Intérêt particulier par rapport à l'histoire
des nations germaniques (Voyez Geschichte der Kreuzzuge, livre IV). Elle est
Indiquée par Otton de Freisingen ; Saxon le Grammairien donne de plus amples
détails dans son livre XIII. On peut consulter aussi l'histoire latine
d'Allemagne par Krauntz. L'histoire de Danemark de Mallet ne dit pas un mot de
cette guerre.
45. Arnoul, prédicateur flamand, à la publication de la seconde croisade exhorta les peuples dela France
et de l'Allemagne à s'enrôler dans cette pieuse milice ; il suivit les croisés
qui firent le siège de Lisbonne et qui étaient commandés par Arnoul, comte
d'Arschot. Arnoul envoya la relation de ce siège à Milon, évêque de Thérouenne,
dans une lettre publiée par dom Malienne, au premier tome de sa grande
Collection. La relation d'Arnoul, témoin oculaire, est différente de celle de
Robert Dumont, adoptée par Fleury. L'historien de Portugal, Manoel de Paria y
Souza, parle aussi de cette expédition des croisés.
45. Arnoul, prédicateur flamand, à la publication de la seconde croisade exhorta les peuples de
46.
La légende de l'une de ces médailles est ainsi conçue : Regi invicto ab Oriente
redici, Frementes Laetitia cives.
Dans une autre médaille, on avait
représenté le Méandre, et un trophée élevé sur ces bords, avec cette
Inscription : Turcis ad ripas Maeandri caesis, fugatis.
47.
Raymond fut tué dans un lieu appelé "la Fontaine Murle ",
l'an 1148, le 27 Juin, le Jour de la fête des saints apôtres Pierre et Paul
(Guillaume de Tyr, livre XVII).
Sources : Joseph-François Michaud - Histoire des Croisades.
Dezorby, E. Magdeleine et Cie Editeurs. 1841
Mohamed ZEMIRLINE
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