Un empereur byzantin tiré
de l’oubli
René Berthier
alias Raoul Boullard
http://1libertaire.free.fr/RBerthier43.html
« Celui qui croit au Fils
aura la vie éternelle,
celui qui ne croit pas au
Fils ne verra point la vie éternelle,
mais la colère de Dieu demeure
sur lui. » (Jean, III, 36.)
Lors
d’une visite en Allemagne, son pays natal, le pape Benoît XVI fit un discours à
l’université de Regensburg (Ratisbonne), où il avait enseigné entre 1969 et
1977, dans lequel il soulevait le problème de la violence et de la religion. Au
lieu d’évoquer les innombrables actes de violence la plus inouïe auxquels la
chrétienté s’était adonné pendant des siècles, il a cru bon de laisser entendre
que l’islam justifiait la violence.
Pendant
son speech de 45 minutes, lors duquel il évoqua les différences entre
christianisme et islam, le pape se référa aux travaux d’un chercheur allemand
d’origine libanaise, Theodore Khoury [1], lequel cite un empereur médiéval du
14e siècle, Manuel II Paléologue de Byzance, qui était engagé dans une
controverse avec un musulman. L’empereur déclare ainsi :
« Montre-moi donc ce que Mahomet a
apporté de nouveau. Tu ne trouveras que des choses mauvaises et inhumaines,
comme le droit de défendre par l'épée la foi qu'il prêchait. »
Propos
particulièrement mal venu de la part de cet empereur, citation particulièrement
mal venue de la part de Benoît XVI, qui semble oublier l’Evangile de Matthieu,
qui fait dire à Jésus : « Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre ;
je n’apporte pas la paix, mais l’épée. » (Matthieu, X, 34.)
Souvenons-nous
aussi des massacres commis par les chrétiens lors des croisades. Cependant, il
est difficile de croire que le choix des références du pape soit fortuit : le
journal turc Milliyet a parfaitement raison de dire que « le pape s'est servi
de l'empereur byzantin comme d'un “bouclier”, pour cacher en fait une pensée
hostile à l'islam. » Par ailleurs, en Allemagne le secrétaire général du
Conseil central des musulmans, Aiman Mazyek, fait observer que
«
l'Eglise catholique est mal placée, en raison de son histoire, pour critiquer
les dérives extrémistes de l'islam » (« Critiques et colère des musulmans
contre Benoît XVI », Henri Tincq, Le Monde, 16 septembre 2006 ).
Christianisme et
non-violence
Il
est vrai que notre bon Saint Père le pape est un peu amnésique. Il oublie que
le bon Dieu qui nous est présenté dans la Bible est un dieu particulièrement sanguinaire
qui commande à Moïse d’exterminer les Midianites, descendants de Midian, fils
d’Abraham (Gen 25,2) et qui étaient apparentés aux Israélites. Dieu commande
donc à Moïse de tuer tous les hommes et les femmes, à l’exception des jeunes
filles que les Israélites garderont pour leur usage personnel (Nombres, XXXI,
1-18). Pourtant, ces gens avaient accordé l’hospitalité à Moïse pendant 40 ans
(Ex. II, 15). Quelle ingratitude !
Un
passage de Samuel raconte l’extermination de 50 000 personnes (Sam I, 6, 19).
Dans
le Deutéronome (II, 13) ce n’est que la population mâle qui doit être passée au
fil de l’épée.
Dans
Josué (6, 21), la population de Jéricho est exterminée à la demande expresse du
bon Dieu, encore une fois : « Et ils passèrent au fil de l’épée tout ce qui se
trouvait dans la ville, à la fois hommes et femmes, jeunes et vieux, et les
bœufs, et les moutons, et les ânes. » Dans Josué encore (8, 24-25), les
Israélites tuent la population mâle de la ville de Ai (verset 21). Mais au
verset 24, ce sont les hommes et les femmes (12 000 au total) qui sont
exterminés. Mais cette-fois-ci, ils ne tuèrent pas les bêtes, ils les
emmenèrent.
Mais,
dira-t-on, toutes ces citations viennent de la Bible , elles concernent les juifs, pas les
chrétiens. La Bible
est quand même un ouvrage de référence pour les chrétiens, qui ne sont pas
innocents d’innombrables actes de violence. C’est oublier que l’Evangile
lui-même n’est pas particulièrement tolérant envers ceux qui n’en partagent pas
les vues. Religion de paix et de l’amour, le christianisme ? On oublie que
Jésus a dit : « Si un homme vient à moi et ne hait point son père, sa mère, sa
femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être
mon disciple » (Luc, XIV) [2]. C’est là un discours parfaitement intégriste.
La
croisade contre l’hérésie Cathare, pour ne mentionner qu’elle, donna lieu à des
massacres impitoyables : c’est de cette époque que date l’expression « Tuez-les tous,
Dieu reconnaîtra les siens », signifiant par là qu’on pouvait tuer
tous les habitants d’une ville assiégée, et que Dieu reconnaîtra les bons chrétiens
des hérétiques.
Par
malheur, ce qui est peut-être le tout premier document de la littérature
française montre comment les chrétiens traitaient les fidèles d’autres
religions du temps de Charlemagne :
«
L’empereur a pris Saragosse : à mille Français on fait fouiller la ville, les
synagogues, les mosquées ; avec, en mains, des maillets de fer et des cognées,
ils brisent les statues et toutes les idoles, il n’y restera ni sortilèges ni
fausse croyance. Le roi croit en Dieu, il veut faire son service et ses évêques
bénissent les eaux : ils mènent les païens jusqu’au baptistère. S’il y en a un
qui veut résister à Charles, il le fait pendre, ou brûler ou tuer. Beaucoup
plus de cent mille sont baptisés en vrais chrétiens, hormis seulement la reine.
En douce France elle sera menée captive : le roi veut qu’elle se convertisse
par amour.»
Ce
Charlemagne était un sentimental…
L’histoire
du christianisme est littéralement emplie de la violence la plus inouïe à l’encontre
non seulement des non chrétiens, mais aussi des chrétiens qui n’étaient pas
dans la ligne. On estime les victimes de l’Inquisition à plusieurs millions.
Innocent VIII, un collègue de Benoît XVI, édicta en 1484 la bulle Summis
desirantes affectibus qui amplifiait la chasse aux sorcières en donnant une
base « légale » à l’Inquisition en lui permettant de déclarer les sorcières «
créatures du démon », assimilables aux hérétiques, aux juifs, aux mahométans et
autres. Nous sommes en pleine renaissance italienne, c’est l’époque de Dante,
de Pétrarque, de Giotto, de Boccace…
Un point « plutôt marginal
»
La
controverse de l’empereur Manuel II Paléologue porte, comme le dit justement le
pape dans son discours, sur « le concept de la foi décrit dans la Bible et le Coran et porte
en particulier sur les images de Dieu et de l'homme, tout en revenant
nécessairement sans cesse sur le rapport entre ce qu'on appelle les “trois
lois” : l'Ancien Testament, le Nouveau Testament et le Coran ».
Il
y avait matière à débattre. Curieusement, le point que Benoît XVI soulève est,
dit-il, « un point – plutôt marginal dans le dialogue – qui m'a captivé, en
rapport avec le thème de la foi et de la raison, et qui me sert de point de
départ pour mes réflexions sur ce thème ». Ce point « plutôt marginal » est le thème du
Jihad. Comme par hasard [3].
Donc
dans une réunion publique à laquelle sont conviés les journalistes du monde
entier, le pape évoque un texte datant de 1391 que personne ne devait
connaître, et de ce texte il tire des réflexions sur un« point plutôt marginal
», le Jihad. Tout cela dans le contexte international que l’on sait.
Disons
quelques mots sur cette fameuse « controverse ». Nous sommes dans la période
pendant laquelle les Turcs, musulmans, sont en train de conquérir l’empire
byzantin, avec ses hauts et ses bas, et qui culminera avec la prise définitive
de Constantinople en 1492. Au moment de l’affaire, l’empereur du moment s’est
avoué vassal du sultan. Son fils Manuel est avec le corps expéditionnaire
byzantin et loge chez un musulman lettré qui s’enquiert de la foi chrétienne.
Commence alors des discussions que Manuel, devenu empereur, consigna plus tard
par écrit. Manuel déclare en particulier que le Jihad, selon lequel les hommes
ont le choix entre la conversion, la mort ou l’esclavage est contraire à la
volonté de Dieu, qui n’aime pas le sang et veut amener les hommes à la foi par
la persuasion.
Le
musulman répond que le christianisme, c’est très bien, mais qu’il pêche par
excès, que sa loi est trop dure, trop élevée et impraticable par les hommes :
aimer ses ennemis, rechercher la pauvreté, supporter la virginité, tout cela
est contraire à la raison et à la nature corporelle des êtres humains. Dieu ne
peut pas avoir créé l’homme et la femme, leur avoir prescrit de se multiplier,
et promulguer par ailleurs une loi qui va tout à fait à l’opposé. En réponse,
l’interlocuteur de Manuel II développe l’idée que la loi de Mahomet est une
voie moyenne entre les déficiences de la loi de Moïse et les excès de celle du
Christ.
Il
est significatif que notre bon Saint Père n’ait pas fait référence à cette
partie-là de la controverse…
Manuel
II pensait facilement convertir le lettré musulman mais il s’est en fait engagé
dans une voie sans issue, un dialogue de sourds. La controverse ne fait que
montrer l’absolue impossibilité d’un dialogue entre christianisme et islam.
Les réactions au discours
du pape
Benoît
XVI a fait plusieurs mises au point concernant son intervention de Ratisbonne, sans jamais
présenter les excuses que les musulmans lui demandaient. Il affirma
que son intention avait été d’expliquer que la religion et la violence ne vont
pas ensemble, alors que c’est le cas de la religion et de la raison.
Dans
l’entourage du locataire du siège pontifical, on cherche à justifier son
intervention : « Les violentes réactions dans de nombreuses parties du monde
musulman justifièrent l’une des préoccupations du pape Benoît », déclara le
cardinal australien George Pell. « Elles montrent le lien, chez de nombreux
musulmans, entre la religion et la violence, leur refus de répondre à la
critique avec des arguments rationnels mais seulement par des manifestations,
des menaces et la violence. »
En
gros, je te colle un pain dans la gueule, et si tu répliques, ça prouve que tu
es un adepte de la violence.
Les
réactions au discours du pape dans le monde musulman furent très violentes
mais, curieusement, Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, contribua à
désamorcer la crise en disant que les paroles du pape avaient été interprétées
en dehors de leur contexte. Le président iranien montre ainsi son intelligence
politique car il semble bien avoir compris, lui, que l’Eglise catholique s’est
opposée à la guerre menée par les Américains en Irak et qu’elle s’est
globalement opposée à la présence israélienne dans les territoires occupés. Il
est donc plus intelligent que ceux qui ont brûlé des églises dans la bande de
Gaza et en Cisjordanie. Les musulmans auraient pu se rappeler que sur deux des
questions les plus explosives de notre époque, l’Eglise catholique est de leur
côté.
On
peut exprimer la chose autrement : l’Eglise catholique avait un certain
prestige dans le monde musulman précisément pour ces deux raisons-là, qu’elle a
perdu à cause de la bévue du pape. Un article du Figaro exprime ainsi la
situation : « Le Pape laisse en tout cas à ses diplomates un champ de ruines
quant au dialogue avec l'Islam. » (« Les musulmans choqués par les propos du
Pape », Hervé Yannou, Le Figaro du 15 septembre 2006 .)
On
pourrait donc suggérer aux catholiques de virer Benoît XVI et de mettre le
président iranien à sa place.
L’Eglise et les autres
religions
La
position officielle de l’Eglise catholique sur les autres religions, et en
particulier sur l’islam, est régie par un certain nombre de dispositions.
Le
concile Vatican II (1962-1965) reconnaît tout ce qui est vrai et saint dans
toutes les religions non chrétiennes, en qui l’Eglise reconnaît des « lueurs de
vérité ».
«
Nostra Aetate », le document officiel du Concile Vatican II sur les religions
non chrétiennes, est le guide des catholiques sur la question. Le paragraphe 3
dit en particulier : « Ils [les Musulmans] attendent le jour du jugement où
Dieu donnera à chacun ce qui lui convient après la résurrection. Par
conséquent, ils valorisent la vie morale et adorent Dieu spécialement par la
prière, l'aumône et le jeûne. »
Cependant
l’encyclique « Redemptoris Missio » proclame que Jésus est le seul chemin : ce
n’est qu’en lui que les hommes pourront trouver le salut et la plénitude de la
foi. Cela pose donc déjà une difficulté au niveau du dialogue. Jean-Paul II
avait encouragé le dialogue, dans son exhortation « Ecclesia in Africa », mais
soulignait les difficultés que posait le fondamentalisme islamique. Il est vrai
que dès lors qu’on pose le principe que seul Jésus est le chemin du salut, ceux
qui ne reconnaissent pas ce principe n’ont plus grand chose à dire.
Toutes
les religions ont un peu tendance à accuser les autres religions d’absence de
tolérance. Il est vrai que le mot « tolérance » signifie à l’origine accepter
quelque chose qu’on ne peut pas empêcher. Ainsi l’Eglise orthodoxe russe
a-t-elle frénétiquement protesté en son temps contre la venue en Russie de feu
JP II – un concurrent sérieux. On reprochait à l’Eglise catholique d’envoyer
des missionnaires sur les terres considérées comme un monopole orthodoxe
exclusif.
On
nous dit qu’il y a un islam modéré. Le concept est curieux. Que serait un
catholicisme modéré ?
Il
n’y a ni islam ni catholicisme modéré. Il y a des gens qui pratiquent leur
religion sans en faire un plat. On peut dire les choses moins trivialement : il
y a des masses de gens qui pratiquent l’une ou l’autre religion parce qu’elles
sont un des éléments de leur identité culturelle et personnelle, mais pas le
seul, et ces gens ne font pas de leur religion le pivot central qui détermine
toutes leurs attitudes, tous leurs actes.
Le
problème est que lorsque les gens pratiquent la religion de cette manière, les
professionnels de la religion ne sont pas contents.
C’est
que la religion a tendance à être intrinsèquement intégriste, et que
lorsqu’elle ne l’est pas, c’est qu’elle n’a pas les moyens de l’être. Alors les
intégristes se fâchent. Et ils se fâchent surtout contre leurs propres
coreligionnaires. Rappelons que les victimes musulmanes de l’intégrisme musulman
sont incommensurablement plus nombreuses que les victimes du World Trade Center
et autres cibles d’attentats. Les principales victimes de l’islam intégriste,
ce sont les musulmans eux-mêmes, on a un peu tendance à l’oublier. La violence
islamiste aujourd’hui se révèle en particulier dans une guerre civile atroce
que se mènent en Irak les extrémistes de l’islam sunnite et ceux de l’islam
chiite. Rappelons encore que le principal adversaire de Ben Laden est l’islam
chiite.
Ce n’est pas un hasard
La petite sortie du pape
sur le Jihad n’est pas fortuite.
Dans
un message à l'assemblée annuelle de la communauté interreligieuse de
Sant'Egidio qui s'est déroulée à Assise, les 4 et 5 septembre 2006 , le pape s'est
inquiété de l'inefficacité de ce dialogue, de ses risques et de ses limites.
Dans son message, il met en garde contre toute fausse interprétation de
l'esprit d'Assise : « La rencontre interreligieuse de prières », dit-il, ne
doit pas prêter à des « interprétations syncrétiques, fondées sur un relativisme
qui nierait le sens même de la vérité et la possibilité de l'atteindre », ce
qui signifie que rien de ce qui constitue la doctrine catholique ne doit être
abandonné.
Un
recentrage est au contraire nécessaire : « oui au dialogue entre les confessions ; non à la
confusion et à la dilution de l'identité chrétienne. » (« Benoît XVI souligne
les limites du dialogue entre les confessions », Henri Tincq, Le Monde, 7 septembre 2006 .)
A la télévision, le 13 août, le pape s'est montré inquiet du recul du christianisme,
menacé par la « polyphonie » des cultures et des religions. Il s’est inquiété
également du recul de la foi qui est, selon lui, une menace pour l’Occident.
(Le Monde, 16
août 2006 ).
Précisément,
lorsqu'il est devenu pape, le cardinal Ratzinger a tenu à marquer sa différence
avec son prédécesseur. « Il a rappelé à l'ordre les franciscains d'Assise,
promoteurs de manifestations interconfessionnelles devenues des rendez-vous
pacifistes, écologiques et altermondialistes. Il a aussi écarté de la Curie Mgr Michael
Fitzgerald, président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. »
(« Benoît XVI souligne les limites du dialogue entre les confessions », Henri
Tincq, Le Monde, 7
septembre 2006 .)
«
L'Occident est fortement touché par d'autres cultures, où l'élément religieux
est très marqué, et qui sont horrifiées par la froideur qu'elles constatent en
Occident à l'égard de Dieu. » Le pape ne désigne pas l'islam, ni les
spiritualités orientales, mais tout le monde comprend. La récente intervention du pape s’inscrit
dans ce qui semble être une offensive générale contre l’islam.
Un
religieux, le père Joseph Fessio, qui aurait participé à une réunion
confidentielle à Castelgondolfo sur la question, affirme que le pape estime que
l’islam n’est pas compatible avec la démocratie parce que cela nécessiterait
une réinterprétation radicale de cette religion, ce qui est « impossible, parce
que c’est contre la nature même du Coran tel qu’il est compris par les
musulmans ».
En juillet dernier,
interrogé par les reporters, Benoît XVI refusa de déclarer que l’islam était
une « religion de paix ».
Un
intervenant à la réunion, le père Christian Troll, déclara que l’islam pourrait
entrer dans la modernité si le Coran était réinterprété et si on retournait aux
principes originaux de l’islam, « puis en l’adaptant à notre époque,
particulièrement avec la dignité que nous attribuons aux femmes, qui vient du
christianisme, bien sûr. »
Fessio
ajoute que le pape aurait répondu à ce propos qu’il y avait un problème, parce
que « dans la tradition islamique Dieu a donné sa parole à Mahomet, mais c’est
une parole éternelle. Ce n’est pas la parole de Mahomet. » Par ce propos, le
pape remet en cause l’un des principes essentiels de l’islam, à savoir que
Mahomet est le messager de Dieu et que le Coran est la parole même de Dieu ; il
remet également en cause la moindre possibilité pour l’islam d’évoluer, alors
qu’il y aurait « une logique interne dans la Bible qui lui permet et qui l’oblige de s’adapter
et de s’appliquer à de nouvelles situations ».
Benoît
XVI avait défini l'intégrisme comme une« pathologie » de la religion. Mais il
s’en prend également à l'héritage des Lumières, qui conduit la science à
rechercher « une explication du monde dans laquelle Dieu devient superflu ».
« L'islamisme, le
darwinisme, voilà les ennemis. » («
Le pape condamne la “guerre sainte” islamique » Henri Tincq, Le Monde du 14 septembre 2006 .)
Il faut bien avoir à l’esprit que la croisade du pape ne vise pas seulement
l’islam.
L’islam est-il violent ?
Si
l’islam, celui de monsieur et madame tout le monde dans les pays musulmans,
n’est pas « violent », c’est simplement parce que le musulman moyen n’a pas du
tout envie d’aller massacrer les non musulmans, pas plus que le chrétien moyen
n’a envie de faire comme les soldats de Charlemagne.
Le
musulman moyen n’a pas du tout envie d’obéir à ce que prescrit le Coran, dans
la sourate 9, dite du Repentir, versets 29-32, qui dit :
«
Tuez ceux qui ne croient pas en Allah ni au dernier jour, et qui n’interdisent
pas ce qu’Allah et son Apôtre ont interdit, et quiconque ne pratique pas la
religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils
aient payé le tribut de leurs propres mains et qu’ils soient humiliés. »
Le
problème est que de telles déclarations sont en totale contradiction avec la
sourate 5, dont le verset 73 dit :
«
En vérité, ceux qui croient [les musulmans] et ceux qui sont Juifs, et les
Sabéens, et les Chrétiens, et quiconque croit en Allah et au jour dernier, et qui
fait le bien, il n’y aura pas de crainte pour eux et ils ne seront point
affligés. »
C’est
là une des nombreuses contradictions du Coran. Contradictions apparentes
seulement, si on applique le principe de l’« abrogation » adopté par les
théologiens musulmans. L’idée est que les sourates du Coran ont été révélées au
Prophète à des moments différents, et que si des dispositions contradictoires
sont énoncées, celles de la sourate la plus récente abroge les autres.
Or
dans cette affaire, il apparaît que la sourate 9 (« tuez ceux qui ne croient
pas en Allah ») est la plus récente. Cela répond, en principe, à la question de
Benoît XVI qui se demande si l’islam est violent [4].
Du
point de vue strict de la lecture fondamentale des textes, le pape a donc parfaitement
raison de dire que l’islam est « violent ». Mais c’est là qu’apparaît
l’imbécillité de la problématique posée par Benoît XVI. En bon intellectuel
complètement déphasé par rapport à la réalité, ce qui l’intéresse c’est ce qui
est dit dans les textes : en cela sa démarche est elle aussi essentiellement
intégriste, fondamentaliste. Alors que ce qui importe, c’est la manière dont
l’écrasante majorité des musulmans vivent leur religion, c’est la réalité
sociale de la religion.
A
l’inverse, le pape semble totalement persuadé que, puisque le petit Jésus a dit
un jour: « Si on te frappe sur la joue droite, tend la joue gauche », le
christianisme est une religion tout ce qu’il y a de plus pacifique ; mais il
évacue complètement des siècles de massacres, de bûchers et de torture. Et il
fait semblant d’être candide, alors qu’il ne l’est pas du tout. Ainsi a-t-il
viré Mgr Fitzgerald du conseil
pontifical interreligieux. Ce monsignor est la personnalité qui, dans l’Eglise
catholique, connaît le mieux la question de l’islam, mais son approche modérée
de la question ne convenait plus à la nouvelle équipe dirigeante. La ligne qui
prédomine maintenant est une ligne dure, d’affrontement. Il s’agit certes
d’entretenir de bonnes relations, mais sans complaisance ni concession.
Qu’il
s’agisse des rapports avec l’islam ou avec les autres religions, c’en est fini
de l’œcuménisme. La fin de l’œcuménisme signifie que les autres religions se
trouvent reléguées au statut de courants philosophiques et culturels. Les
autres religions sont maintenant des concurrentes : en Afrique et en Asie,
christianisme et islam s’affrontent ; en Amérique latine l’affrontement se
situe entre catholicisme et évangélisme. Il faut maintenant une attitude plus
musclée de la part de l’Eglise. Contrairement à Jean Paul II, le nouveau pape a
choisi la confrontation intellectuelle avec l'islam.
Conclusion
Il
est parfaitement fallacieux d’imaginer aboutir à quelque chose par le «
dialogue » inter religieux, dans la mesure où chaque religion n’existe que par
référence à des textes réputés représenter la parole et la volonté divines et
que celles-ci ne sauraient être amputées. Le concept même de dialogue
interreligieux n’a pas de sens, à moins qu’on imagine que les représentants de
chaque religion pensent pouvoir convertir ceux des autres. C’est évidemment
stupide.
Dans
un sens, Benoît XVI l’a parfaitement compris.
Son
problème n’est pas d’ordre théologique mais pratique et, pour ce qui concerne
les relations entre l’Eglise catholique et l’islam, il cherche à rééquilibrer
une situation qui se trouve être en défaveur de l’Eglise.
Il
est possible que son offensive ne se situera pas du point de vue « théologique
», elle se portera sur des questions pratiques : les pays musulmans
restreignent la liberté des autres cultes, interdisent les conversions de
musulmans au christianisme, persécutent les chrétiens, comme au Soudan,
imposent la loi islamique aux non musulmans, interdisent aux coptes d’Egypte de
construire des églises, n’accordent pas aux missionnaires chrétiens les mêmes
droits que ceux dont disposent les religieux musulmans dans les pays
occidentaux, restreignent ou interdisent l’édition ou l’importation de la Bible. C ’est,
littéralement, une entrave à la libre concurrence.
Il est douteux que
l’intervention du pape fût une « gaffe ». Ces gens-là ne font pas de gaffes.
Cette intervention se situe tout à fait dans la ligne actuelle du Vatican et
constitue sans doute plutôt un ballon d’essai.
Fait
significatif : lorsqu’on lit la presse anglo-saxonne, on constate que de
nombreux protestants, et en particulier des évangélistes, approuvent
chaleureusement les propos du pape.
René Berthier
Alias Raoul Boullard
Le Monde libertaire #1448
du 28 septembre au 4 octobre 2006
[1] Cf. Manuel II Paléologue, Entretiens avec un musulman, 7e
controverse. Introduction, texte critique, traduction et notes de Théodore
Khoury, Paris, « Sources chrétiennes » n° 115, Les Editions du Cerf, 1966.
[2] Cela dit, Jésus dit exactement le contraire, mais chez Jean : «
Celui qui hait son frère est un meurtrier, et le meurtrier ne peut être promis
à la vie éternelle. » Il aurait fallu que les rédacteurs des Evangiles se
mettent d’accord entre eux…
[3] La notion de « jihad » dans l’islam est une notion extrêmement
complexe, qui va bien au-delà de l’action armée. C’est un concept aussi bien
religieux que juridique qui fait l’objet de nombreuses interprétations
contradictoires chez les lettrés et qui ne saurait être réduit à
l’interprétation réductrice et simpliste à laquelle semble tenir le pape.
[4] Si on en croit le verset 73 de la sourate 73 citée, ceux qui «
croient en Allah » pourraient inclure les Juifs, les Sabéens et les Chrétiens,
ce qui les exclurait des foudres exterminatrices de la sourate 9. Il n’empêche,
il reste quand même beaucoup de monde…
http://1libertaire.free.fr/RBerthier43.html
Mohamed ZEMIRLINE
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