Né à Médéa en 1920 et connu sous le nom de Cheikh Zemirline, fut très estimé par ses élèves ou ses collègues et collaborateurs dans les postes qu'il aura à occuper plus tard.
Il étudia à Médéa au collège Bencheneb ensuite à Alger à la Médersa Thaâlibiya.
Il occupera des postes à Mascara, Khemis Miliana, Médéa et Sour el Ghouzlane et décéda le 16 Novembre 1999 à Médéa.
Sa famille
Il arriva dans une famille pauvre, déshéritée, meurtrie, reléguée loin et à l'arrière de la ville, obligée de travailler la terre pour subvivre. Menouar le père, avait une diligence et faisait le transport des voyageurs, sur le sud jusqu'à Messaâd et Laghouat. Après la naissance de Hacène il décida de se stabiliser et tiendra un magasin en 1920, en ville où il exercera la cordonnerie, un métier qu'il avait appris auparavant. C'est un joli magasin rue Dr.Barbé, en face de la caserne "Quartier Yussuf". Cependant les militaires avaient tout à l'intérieur des casernes, cordonniers, tailleurs, peintres... Et la population n'avait pas d'argent, le travail consistait donc beaucoup plus dans les réparations et cela n'a fait que dégrader sa situation, il aura de plus en plus de difficultés mais persévéra dans la scolarisation de ses enfants. Il s'est sacrifié pour nous! Affirmeront ses enfants, plus tard.
En 1924, Menouar put acquérir un morceau de terre en ville, quartier Nador, aujourd'hui Rekia Mustapha, près de son travail et près de l'école. C'était la réussite pour lui qui rêvait de scolariser ses enfants et de leur épargner le travail de la terre et les longs allers et retours.
Ce ne sera pas la fin de ses problèmes, il devra élever et scolariser ses enfants, ce qui n'était pas facile, sous la colonisation, le chômage, la misère les maladies et les guerres.
Hacène n'ira pas en 1939. Lui et deux de ses amis durent passer une ou deux semaines dans un bain maure pour rabaisser leurs poids et se faire réformer.
Puis ce sera la guerre de libération et tout ce qu'elle apporte comme soucis pour lui même et pour ses enfants qui sont en âge de combattre.
D'ailleurs deux de ses fils rejoindront le maquis, Ahmed en 1956, Ali en 1960. Menouar ne reverra pas le premier puisqu'il décéda en 1957 avant son retour, à l'indépendance.
Dès l'âge de cinq ans Hacène accompagnera son père au magasin pour l'aider et pour suivre des cours dans une médersa puis à l'école. Pendant les heures creuses et les jours de repos, même le matin avant de rejoindre les cours, il redressait les semences, ces petits clous qu'on utilise aujourd'hui dans les réparations de chaussures, afin que son père puisse les réutiliser. Une paire de chaussure en contenait une centaine.
Adolescent, on conseilla au père de le retirer de l'école et de le mettre au travail avec lui pour l'aider, ou le placer chez d'autres. Menouar, illettré mais formé et cultivé par ses voyages, durant son ancienne activité, cherchait à ce que ses enfants puissent continuer leurs études et se sacrifiera à cet effet, se contentant de presque rien et encourageait ses enfants dans leurs études, malgré la réticence des gens à l'époque qui n'y voyait là que perte de temps. Hacène, Mustapha et Ahmed après le collège Bencheneb, obtiendront des diplômes de la Médersa Thaâlibia à Alger, équivalent des deux licences, de lettre et celle de droit. Les deux autres seront encore au lycée quand il décéda, mais finiront bien leurs études.
Sa vie et sa carrière
Pour Hacène les études ne vont pas être faciles, une famille démunie puis l'éloignement à Alger, c'était une expédition, enfin le colonialisme. Il fallait donc passer au travers de toutes ces entraves et si on arrive, on le payera cher: pour le diplôme d'études supérieures, à la Médersa et on ne l'appellera pas Université ou Faculté, durant quatre années, ils devront faire le programme de deux licences, celle de Lettres et celle de droit. Un remplissage et un nombre d'années inadéquats même à l'époque, dira Hacène.
Une fois diplômé et si on est encore en vie, on découvre le summum de l'humiliation, par l'indigénat, et on ne devrait pas l'appeler "statut" puisque ce n'était qu'une partie des mesures reflétant le caractère colonial plutôt esclavagiste, parce que même le mot colonial est devenu faux par sa résonance et ses soi-disant bienfaits.
Dieu merci, aujourd'hui des français eux mêmes commencent à découvrir l'horreur du colonialisme et se sont avancés à le décrire et à rapporter à leurs concitoyens les vérités sur ce qu'il y avait eu et sur ce qui s'était vraiment passé dans tous les domaines.
Enfin Hacène:
- Diplôme de fin d'études des Médersas, 4 ème année, ancien régime, en 1942.
- Diplôme des études supérieures des Médersas en Juin 1944.
Ces diplômes permettaient à l'indigène de devenir "moudérès" pas professeur, dans une simple école primaire, pas dans les Lycées! Ses collègues français ne seront que de simples instructeurs ou instituteurs qui auraient pu être ses élèves!
Il pouvait faire aussi "Bach-Adel", sorte d'assistant ou d'aide au juge.
Ce n'est qu'après l'indépendance en 1965 que leur statut de Professeur leur sera reconnu. Un peu plus tard, on leur reconnaîtra leur deuxième licence, celle de droit.
- Le nouveau diplômé devait travailler d'abord en dehors de chez lui, un certain nombre d'années.
- N'ayant pas trouvé de poste de moudérès, il occupera le poste de Bach-Adel à Mascara pendant deux années environ.
- En 1946 enfin il obtint un poste de moudérès à Affreville à l'école de la Rue La Fayette, Khemis Miliana aujourd'hui: moudérès de 1er ordre.
Il restera huit ans à Khemis Miliana, fera beaucoup d'amis et verra passer des centaines d'élèves. Dans les années 80, ses amis et ses anciens élèves organisèrent une fête à l'honneur des "Anciens", et dont il est revenu émerveillé et fier de toutes ces personnes, amis et anciens élèves qui l'ont submergé d'éloges.
On retrouva deux ou trois correspondances avec M. Yahi et M. Bounaâdja, mais il avait eu plusieurs amis.
Il se marie en 1947, à Médéa et deux de ses enfants verront le jour à Khemis Miliana.
-En 1952 le 1er Octobre, il rentre enfin à Médéa, à l'école Wichard, Hadj Hamdi, près de ses parents, qui étaient en difficulté et dont il se souciait beaucoup. Déjà il aidait son père et ses frères dans leurs études.
- En 1956 il aida son père à arrêter la cordonnerie et la transformer en une épicerie. Ahmed son frère rejoindra le maquis cette même année.
Menouar son père décédera en 1957 à l'âge de 66 ans. Hacène et Mustapha prendront en charge leur mère et leurs frères et sœurs. Deux de leurs frères avaient rejoint la guerre de libération.
Après l'indépendance:
- Il est nommé maître auxiliaire au Lycée Bencheneb, le 1er Octobre 1962. Un an.
- Puis Délégué dans les fonctions de Professeur d'arabe, à partir du 15 Septembre 1963, pour deux ans.
- Il est admis au CAPES le 15 Février 1965.
- Nommé Professeur certifié d'arabe au Lycée Bencheneb, le 15 Septembre 1965.
- En 1965 les garçons partent au nouveau Lycée, le Lycée Fekhar.
- Du 15.09.1965 au 14.09.1967: Professeur d'arabe au Lycée Fekhar. Deux ans.
- Du 14.09.1967 au 20.09.1969: Censeur au Lycée Fekhar. Deux ans.
- En 1969 il est nommé chef d'établissement au Lycée Al Ghazali, nouvellement construit, à Sour Al Ghozlane. Il y exercera du 02.09.1969 au 15.09.1973. Quatre ans.
Il finira par rentrer à Médéa pour s'occuper de sa famille.
- Du 16.09.1973 au 30.03.1977: il est mis à la disposition de la Direction de l'Education et de la Culture de la Wilaya de Médéa, comme Directeur de la programmation et de la carte scolaire.
- Puis Sous-directeur à la Direction de l'Education et de la Culture de la Wilaya de Médéa: du 31.03.1977 au 30.09.1980.
- Le 30 Septembre 1980, il part en retraite "anticipée" à 60 ans, après une demande de réforme médicale qui lui fût refusée. Toute sa carrière, 36 ans de travail, ses maladies et ses interventions chirurgicales ne rentraient pas dans les maladies reconnues par la fonction publique!
Les maladies de Hacène
Cela nécessite un chapitre à part, peut être même plus parce que sa vie aura été marquée par deux longues et difficiles maladies qui l'avaient presque détruit si ce n'était sa sagesse, sa patience et sa foi en Dieu.
- Une diminution de l'ouïe dès l'âge de 28 ans. D'ailleurs pendant très longtemps il a été connu comme malentendant par ses élèves, ses collègues et son entourage. En réalité c'était surtout quand il était fragilisé par une autre maladie ou un rhume ou quand il s'énervait que cela se voyait et qu'il ressentait cet handicap à son maximum, avec de l'angoisse et ce qui s'en suivait comme craintes de toutes sortes pour lui-même pour sa famille et pour son travail.
Ce n'était ni héréditaire ni accidentelle mais une atteinte provoquée lentement par des injections répétées de streptomycine, par le médecin de famille ou du quartier si l'on peut dire. Un bonhomme qui ramenait gratuitement ce produit de l'hôpital pour le prescrire et l'injecter à ses patients, en leur faisant payer le médicament cela va de soi. Est-ce qu'il le prescrivait aussi aux français, est-ce qu'il y a d'autres personnes qui ont été atteintes, on ne le sait pas. Ce produit était utilisé dans le traitement de la tuberculose pulmonaire, ses effets nocifs étaient déjà connus et son utilisation était soumise à une surveillance stricte.
Le comble était qu'une intervention chirurgicale était très chère et risquée, même sans résultat sûr. Il devra porter des appareils eux aussi assez chers à l'époque. Comme il sera obligé de dissimuler au maximum son handicap à ses élèves ou collègues ainsi qu'à l'administration par crainte de perdre son poste ou d'être exclu de l'enseignement, profession qu'il chérissait.
Il portera cette tare de 1948 à 1964. Ce ne sera pas un seul côté d'atteint mais les deux et avec des paroxysmes inimaginables avec la souffrance et la torture morale que cela provoquaient en lui. "Il m'a brûlé mes oreilles, il a brisé ma vie!" Disait-il parlant de ce médecin, quand ses proches essayaient de le faire parler de son atteinte.
Avec l'indépendance, vers 1963 il a pu se faire opérer à Alger mais sans résultat. Puis vers 1965 et 1966 il s'est rendu en Allemagne pour subir deux interventions chirurgicales à une année d'intervalle et avec de bons résultats cette fois-ci.
Il a pu se passer des appareils et redevenir enfin un homme normal.
"Ne détestez pas une chose alors qu'elle pourrait vous être bénéfique" dit notre Saint Coran. C'est peut être, diront plusieurs personnes, que par cette maladie Dieu l'avait préservé et soustrait à tous les aléas du colonialisme et de la guerre.
- Une anecdote: " Fais le bien et oublies le mais saches que lui, il ne t'oubliera pas", dit notre proverbe.
En Allemagne à son réveil après l'intervention chirurgicale, qu'elle ne fut sa surprise de trouver à son chevet un de ses élèves. D'ailleurs il ne dira jamais un "ancien élève" mais "mon élève" et avec fierté, quand il parlait de l'un d'eux.
" Encore sous l'effet de l'anesthésie tout s'est envolé ou évaporé en l'apercevant, doutant même de mon réveil" dira t-il. Son ancien élève qui était là, qui l'appelait Cheikh et s'inquiétait de sa santé, à quelque milliers de kilomètres de chez lui.
Et il ajoutait "J'ai vu là un signe de reconnaissance de Dieu".
Son élève qui étudiait en Allemagne, avait été informé tout simplement par "hasard" par l'une de ses connaissances qu'un algérien était hospitalisé chez eux pour une semaine et lui avait fait part du nom de celui-ci.
"Nous avons donné tous les signes pour ceux qui savent observer". Le Saint Coran.
La seconde maladie ce fut le glaucome vers 1976, il s'est fait opérer mais c'était trop tard. Cela lui causa une diminution importante de la vue et a précipité sa sortie en retraite, en 1980.
Le décès de Hacène
Un mois avant son décès on lui découvrit une tumeur du colon qui s'était installée et progressé sournoisement, si bien qu'elle était inopérable. On lui cachera le diagnostique. Il restera alité pendant une vingtaine de jours la plupart du temps conscient ou à demi.
- Il décéda le 16 Novembre 1999, à l'âge de 79 ans, à son domicile, après un mois de maladie et fut inhumé à Tibhirine, dans le cimetière familial.
Un nombre extraordinaire de personnes avaient assisté à son enterrement, malgré le mauvais temps et l'éloignement du cimetière. Et ce qui avait frappé le plus, c'est que ses fils n'en connaissaient qu'une infime partie mais tous le connaissaient pour l'avoir raccompagné ainsi.
Rahimahu allah.
Post Scriptum
Ce n'est pas par excès de zèle ou par orgueil que j'ai écrit ces lignes mais j'en suis fier en mémoire à un père comme l'aurait été tout un chacun.
Je n'avais rien à dire au départ, absolument rien, mon père a vécu ce que Dieu lui a permis comme à tous les autres, pas plus pas moins, chacun avec ses qualités et ses défauts, riches ou pauvres, mais ils ont vécu tout simplement leurs vies: un simple rêve ou un bref passage dans ce monde.
C'est surtout sur l'insistance d'amis et d'anciens de ses élèves que j'ai commencé à m'interroger et à regarder de plus près. Effectivement ils voulaient qu'on leur parle de leur ancien maître d'école ou d'en connaître davantage sur lui. Non et en toute sincérité j'ai compris la profondeur de l'estime qu'ils lui portaient et j'ai senti l'obligation de le faire pour mon père et le faire parler avec eux.
Cependant j'ai été amené à retirer plusieurs paragraphes, pour ne pas laisser s'étendre mes sentiments, tout en le décrivant sobrement et avec respect.
J'aurais bien aimé que cela eusse été écrit par un autre. Je ne suis ni narrateur ni historien, j'ai essayé de raconter la vie de mon père, sa vie qui s'amalgamait avec l'histoire coloniale. J'ai essayé de rapporter ses pensées et sa lutte continue durant sa vie, contre les maladies, l'ignorance et le colonialisme.
Il revient à ceux qui l'ont connu d'y rapporter leurs témoignages, d'y ajouter leurs noms, leurs relations et leurs descriptions à eux de leur maître, ami, frère ou père.
Je dédie cet écrit à mon père, ma mère, mes oncles mes frères et sœurs et cousins, ses collègues et à tous ses élèves qui ont été pour lui sa propre famille.
Mohamed Zemirline.