Pour mémoire
Par Fodil Ourabah
Déportation
Début
décembre 1845. Deux colonnes expéditionnaires françaises battent campagne
depuis plusieurs jours dans le Centre-ouest algérien. La première, partie de
Ksar El Boukhari et placée sous le commandement du général Youssouf, ratisse de
long en large la région des Hauts-plateaux en direction de l’ouest. La seconde,
commandée par le général Bedeau, après avoir remonté le cours du Cheliff depuis
Mostaganem et traversé l’Ouarsenis, déboule à présent dans la plaine du Sersou.
Sur leur passage, les deux colonnes sèment la mort, la destruction et l’effroi.
Fuyant
au Sud-ouest de Tiaret dans la direction du Chott Chergui, deux tribus, les
Ouled Messaoud et les Akerma, sont interceptées le 7 décembre en milieu
d’après-midi, par un troisième corps de troupe, commandé le maréchal Bugeaud,
qui verrouillait la zone d’opération.
Prompt
aux proclamations triomphales, Bugeaud transmet au « Moniteur algérien » un
bulletin qui sera repris le 7 janvier 18 46 par
une publication des milieux d’affaires marseillais, « le Courrier d’Afrique,
d’Orient et de la
Méditerranée » : «Le 7 décembre, vers 3 heures de l’après-midi , mon avant-garde me
signale des populations fuyant devant moi. Je fis à l’instant jeter à terre les
sacs de trois bataillons d’infanterie, et je me portai rapidement en avant avec
des troupes allégées. Nous ne tardâmes pas à être sur la queue des tribus. Mes
200 chasseurs à cheval furent jetés à
droite et à gauche avec l’ordre d’aller prendre l’émigration par la tête, pendant
que l’infanterie arrivait au pas de course avec l’arrière-garde. Le mouvement a
été heureusement exécuté et peu de monde nous a échappé à l’exception d’un
petit nombre de cavaliers. »
Et
pour sa gloire, le Maréchal de France donne le bilan de ce fait d’arme : « 200
hommes ont été tués. 500 prisonniers sont restés en notre pouvoir. Nous n’avons
eu que quelques hommes blessés et quelques chevaux tués. »
Un
bien triste fait d’arme en vérité, accompli contre une population en fuite,
démunie de moyens de défense et tout entière occupée à rassembler le bétail et
rassurer des enfants aux regards épouvantés !
Cet
aspect n’a du reste pas échappé au journal marseillais qui va déduire : « A 3 heures de l’après-midi , on a
signalé l’émigration. A la nuit, c'est-à-dire à 5 heures , tout était en notre pouvoir. Il n’y a donc pas
eu de résistance. »
«
500 prisonniers sont restés en notre pouvoir… » Le même journal donne des
précisions sur ces prisonniers, à présent formés en convoi : « D’après une
lettre de Miliana, où les prisonniers sont arrivés, il n’y aurait parmi eux que
18 hommes. 500 femmes et enfants à peu près nus, ayant fait 70 lieues à pied et
par la pluie et par la neige, couchant le soir sur la terre humide, produirait
le meilleur effet sur les tribus témoins de tant de malheurs. »
Dans
l’édition suivante, en date du 17 janvier 18 46, le journal reprend cette dépêche
laconique : « 500 prisonniers arabes provenant la razzia faite sur les
Ouled-Messaoud et Akerma dans la journée du 7 décembre sont arrivés à Alger le
29. »
La
publication s’était déjà interrogée le 7 janvier : « Que fera-t-on de ces
prisonniers, femmes et enfants ? Leur arrivée à Alger semble indiquer qu’on les
destine à la déportation. Autrement dit le voyage que l’on fait faire à ces malheureuse
victimes est sans but. »
Les
autorités sont clairement interpellées : « Maintenant, nous le demandons au
gouvernement, que fera-t-on de cette légion de femmes veuves et d’orphelins,
otages inutiles dont le plus grand nombre a dû mourir de froid et de misère
dans le trajet de Tiaret à Miliana, et qui périraient tous si on les envoyait
en France au milieu de l’hiver ? »
Ces
questions demeureront sans réponse. On ignore ce qu’advint le convoi des
déportés des Ouled-Messaoud et Akerma.
On
peut néanmoins suivre à travers les colonnes des journaux le cheminement d’un
convoi de prisonniers, à la même période et d’un effectif comparable. Voici ce
que rapporte « le courrier d’Afrique » : « Samedi dernier 3 janvier, nous avons
vu défiler plusieurs prolonges du train des équipages, chargés de prisonniers,
la plupart femmes et enfants, qui sont arrivés dernièrement de Teniet El Had.
Ils sont dirigés sur Koléa. »
Et,
dans « l’Echo de l’Atlas », journal publié à Blida : « Le 5 janvier, vers 4 heures du soir, plusieurs prolonges
du train des équipages, sont arrivés de Miliana portant 300 prisonniers arabes,
dont 17 hommes et tout le reste femmes et enfants. Tous, les plus âgés comme
les plus jeunes d’entre eux, sont malades et tous en général dans un état de nudité
et de maigreur qui fait mal à voir. »
S’agit-il
de deux convois de déportés différents ? Ou bien est-ce les mêmes malheureux
voués à l’extermination et à l’oubli que les troupes françaises, afin de
produire un effet de peur sur les populations, transportent d’un lieu à un
autre dans un sinistre convoi vers la mort, en ce terrible hiver de 1845-1846 ?
La
réponse apparaîtra peut-être un jour.
Par Fodil Ourabah
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