EUROPE ET
MONDE ARABE
LES CROISADES
LES CROISADES
Sauvagerie et hypocrisie.
Les Croisades furent une gigantesque tenaille dans laquelle fut encerclé l'Islam entre les Croisés d'Occident, et cent ans plus tard, les Mongols venant de l'Est, au secours des premiers. Il n'y eut aucun traité conclu entre Urbain II et le grand-père de Genghis Khan, mais de fait les Mongols furent l'incarnation du mythologique «Prestre Jean» attendu en ces temps par la chrétienté pour «abattre le Dragon musulman». «Prestre Jean» s'incarna en la personne de Hulagu, le petit-fils de Genghis Khan, qui vint au secours des Croisés car il fut jaloux de leurs lauriers lorsqu'il les vit à l'oeuvre. Ces lauriers n'étaient pas très catholiques, ils se voulaient «chrétiens», mais c'était en fait le «christianisme» à la Godefroy de Bouillon et autres Richard Coeur de Lion. Après les massacres commis chemin faisant pour Jérusalem, dont 30.000 Juifs en Rhénanie, ils tuèrent lors de la prise de la Ville Sainte 70.000 Musulmans et Juifs - hommes, femmes, enfants, vieillards - pour ensuite les piller. Comme écrit le chroniqueur Franc de Gesta Francorum qui prit part à la curée, après ce massacre, les Croisés, tout dégoulinants de sang, «allèrent, pleurant de joie, honorer le Tombeau du Seigneur»,
«Les défenseurs s'enfuirent à travers la ville (de
Jérusalem). Les nôtres les poursuivirent jusqu'au Temple de Salomon où il y a
eu un tel bain de sang qu'on y pataugeait jusqu'aux chevilles. Les Croisés
traversèrent la ville en raflant or, argent, chevaux et mulets. Ils pillaient
les maisons pleines de richesses. Après cela, heureux et pleurant de joie,
allèrent, les nôtres, honorer le Tombeau du Seigneur.» (3)
C'est la description de la façon d'«honorer» le
Tombeau du Seigneur, faite par un Croisé lui-même. Un historien allemand du XXe
siècle écrit :
«L'assaut fut donné le 14 juillet 1099. Le jour suivant
Jérusalem tombait aux mains des Chrétiens. La ville fut totalement pillée, et
ce qui s'en suivit fut une vraie boucherie. Tous les infidèles furent tués. Des
monceaux de cadavres entouraient la ville et empestaient encore longtemps
l'atmosphère. Pas même le Trésor de l'Église du Saint Sépulcre fut épargné.» (4)
Il est des historiens qui disent, très graves : «Ne
tombons pas dans l'anachronisme en jugeant les moeurs du XIe siècle
avec ceux du XXe». Cela est vrai. Jugeons les moeurs des Croisés
avec ceux de leur époque mais d'une autre civilisation. Quatre vingt huit ans
après la prise de Jérusalem par les Croisés, consacrée par un carnage, l'Islam
reprend sa ville. Et voilà comment l'historien anglais - plus
sérieux - Steven Runciman fait la comparaison entre les deux civilisations :
«Les
vainqueurs (musulmans) étaient corrects et humains. Là où les Francs 88 ans
auparavant avaient pataugé dans le sang de leurs victimes, pas un seul bâtiment
n'était maintenant pillé, pas une personne molestée. Sur ordre de Saladin des
gardes patrouillaient dans les rues et les portes de la ville pour prévenir
tout outrage contre les chrétiens. Pendant ce temps chaque
chrétien s'efforçait de trouver l'argent nécessaire pour sa
rançon, et Balian (5)
vidait la trésorerie pour rassembler les trente mille dinars promis. C'était
avec difficulté qu'on pouvait faire rendre gorge de leurs richesses aux
Templiers et aux Hospitaliers (6).
Et le Patriarche romain et son Chapitre ne s'occupaient que d'eux-mêmes. Les
musulmans étaient choqués de voir le Patriarche Héraclius payer les dix dinars
de sa rançon et quitter la ville courbé sous le poids de l'or qu'il transportait,
suivi de charrettes chargées de tapis et de vaisselles. Grâce au reste de la
donation de Henri II, sept mille pauvres furent libérés, mais on aurait pu
épargner l'esclavage à plusieurs milliers d'autres si les Ordres et l'Église
avaient été plus généreux. Bientôt deux courants de chrétiens s'écoulèrent à
travers les portes de la ville. L'un, de ceux dont les rançons
avaient été payées par eux-mêmes ou par les efforts de Balian (5).
L'autre courant, celui de ceux qui n'avaient pas pu payer leur rançon et
partaient en captivité. Ce spectacle était si pathétique, qu'Al-Adil (7)
se tournant vers son frère, lui demanda mille captifs en récompense de ses services. Ils lui furent accordés et il les mit aussitôt en
liberté. Le Patriarche Héraclius, enchanté de trouver un moyen si bon marché
pour faire le bien, demanda aussi la faveur de pouvoir libérer quelques
captifs. On lui en accorda sept cents (8),
et cinq cents furent accordés à Balian. Alors Saladin annonça qu'il libèrerait
lui-même tout homme âgé et toute femme. Les dames franques qui avaient payé
leur rançon vinrent lui demander où elles devaient aller maintenant que leurs
pères et maris étaient morts ou captifs. Il répondit en
promettant qu'il libérerait tout mari captif, et donna des cadeaux aux veuves
et aux orphelins de sa propre trésorerie, à chacun selon son rang social. Sa
miséricorde et sa bienveillance étaient en étrange contraste avec les actes des
conquérants chrétiens de la première croisade.» (9)
C'est après avoir lu cela que l'on devient sceptique
concernant ce qui a été écrit sur le «fanatisme des chiens d'Aghar». Ce que
Runciman appelle un «contraste» est le fait que les Croisés trahirent
l'Enseignement du Christ, tandis que Saladin respecta celui de Mahomet :
«Quoi qu'on en ait dit (de Mahomet), l'homme fut bon
et généreux. A la prise de La
Mecque sa clémence fut plus qu'un acte politique.» (10)
Les principes enseignés dans les Évangiles sont aussi
des appels à la bonté, à la générosité et à la clémence, mais les Croisés ne
firent pas des Évangiles ce que Saladin fit du Coran...
L'initiative de la Première Croisade revient au Pape Urbain II, Saint Père de l'Église Catholique Apostolique et Romaine. Il eut pour principal associé le grand patron des Patriarches des Églises d'Orient, l'empereur byzantin Alexis Comnenos. Deux grands politiques, dont la «Raison d'État» en cette circonstance n'eut rien à voir avec le Tombeau du Christ.
Comnenos, aux abois pour son empire en plein effondrement (11), avait besoin des valeureux guerriers Francs pour chasser les Turcs d'Asie Mineure. Les Grecs étaient fatigués de faire la guerre depuis deux mille ans. C'est pour cela qu'ils ne la faisaient plus que par le truchement de mercenaires. Jérusalem était pour Comnenos le moindre de ses soucis. Il était au mieux avec le Khalife du Caire, seigneur de la ville au Tombeau du Seigneur. Il avait envoyé une ambassade à Urbain II pour lui faire miroiter une réunification des Églises «schismatisées» par le «Filioque» (12) si les Occidentaux, en route vers le Tombeau du Seigneur, chassaient les Turcs lors de leur passage à Byzance. La promesse de réunification des deux Églises séparées en 1054 ne pouvait laisser indifférent un Pape de la taille d'Urbain II. Quoiqu'il ne se fiât pas trop aux «levantinades» des Byzantins, il faisait semblant d'y croire, ayant lui-même sa propre Raison d'État qui faisait de la Croisade la solution d'un problème bien terrestre, et fit donc de Comnenos son allié. On a souvent écrit au sujet des Croisés :
«Des hommes aux grands élans idéalistes qui voulaient
organiser un «pèlerinage grandiose du peuple chrétien… une offensive des forces
de toute la chrétienté contre l'Islam», pour «délivrer les Églises d'Orient du
joug des Turcs»... «Une guerre sainte», etc., etc.» (13)
C'est un historien français très
sérieux qui a écrit cela, mais dans un passage de son oeuvre où, pour faire les
beaux yeux à Polymnie (14)
il a fait des infidélités à Clio (15).
La réalité est tout autre.
Concernant les mobiles de l'Occident pour la Croisade, la vérité est sortie de la bouche même du Saint Père lors de son Sermon du 28 Novembre 1093 au Concile de Clermont. Le Souverain Pontife, Urbain II, appela ses guerriers et compatriotes Francs à aller «libérer le Tombeau du Seigneur» des mains de l'«Infidèle». Mais il ne cacha pas en cette circonstance le fond de sa pensée et leur demanda de cesser de s'entrégorger pour s'emparer du Fief du voisin «frère en Jésus Christ», rendant la «Trêve de Dieu» inopérante. Urbain II leur dit :
«Vous
pouvez dans ce pays (en France) à peine nourrir ses habitants. C'est pour cela
que vous épuisez ses biens et provoquez des guerres sans fin entre vous.»
Cela voulait dire : «allez, avec ma bénédiction,
Jean-Sans-Terre, vous emparer, épée en main naturellement, des terres d'autrui
au lieu de vous battre entre vous.»
Comme écrit un historien allemand de la Papauté :
«Espoir
en victoire et butin, et confiance en la félicité éternelle que le représentant
de Saint Pierre leur avait promis.» (16)
Aussi, Sir Steven Runciman, un des plus sérieux historiens
des Croisades, écrit justement :
«Quelles
qu'aient pu être les raisons officielles de la Croisade, le véritable
objectif des Francs était celui de se procurer pour eux-mêmes des Principautés
en Orient.»
BASILE Y.
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Droits réservés
1/. Henri Martin, HISTOIRE DE FRANCE,
tome I, page 166.
2/. Henri Martin, HISTOIRE DE FRANCE,
tome I, page 170.
3/. Gesta Francorum, ELEND DES
CHRISTENTUMS, J.Kahl, RoRoRo 1968,
4/. J. Haller, PAPSTUM, IDEE UND
WIRCKLICHKEIT, RoRoro 1962, tome II, p. 338.
5/. Commandant en chef de la défense de
Jérusalem.
6/. Ordre «religio»-militaire.
7/. Frère de Saladin.
8/. Ainsi, alors qu'il venait de
reprendre Jérusalem, le Sultan Saladin laissa s'en aller le chef spirituel de
ses envahisseurs, «courbé sous le poids de son or», lui faisant même cadeau de
700 chrétiens destinés à la captivité, sans qu'il ait eu à payer leur rançon,
bien que telles aient été les lois de la guerre d'alors.
9/. Steven Runcimen, A HISTORIY OF THE CRUSADES, 1968, volume II, page 466.
9/. Steven Runcimen, A HISTORIY OF THE CRUSADES, 1968, volume II, page 466.
10/. Régis Blachère, LE PROBLEME DE
MAHOMET, 1952, page 129.
11/. Les Turcs Seldjouks, 24 ans après
le désastre qu'ils infligèrent aux Byzantins à Manzikert, atteignirent les
rives du Bosphore.
12/. Les théologiens présentent cette
dispute sur le Filioque entre Rome et Byzance comme une divergence
«théologique» sur la procession du Saint Esprit. Les uns le voulaient procéder,
du Père seulement, les autres du Père et du Fils. En réalité il s'agissait de
rivalités entre deux Empires chrétiens. Le jeune et dynamique Occident voulait
dévorer le vieux et décadent Orient au nom de la «théologie».
13/. L. Bréhier, VIE ET MORT DE BYZANCE, Albin Michel 1969, pages 253 à 255.
13/. L. Bréhier, VIE ET MORT DE BYZANCE, Albin Michel 1969, pages 253 à 255.
14/. Muse de la poésie lyrique.
15/. Muse de l'Histoire.
16/. Johannes Haller, PAPSTUM, IDEE UND
WIRKLICHKEIT, 1962, tome II, page 327.
www.basile-y.com
Mohamed ZEMIRLINE
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