dimanche 10 mai 2015

LES CROISADES. Sauvagerie et hypocrisie. Basile Y.



EUROPE ET MONDE ARABE
LES CROISADES

Sauvagerie et hypocrisie.


 Les Croisades furent une gigantesque tenaille dans laquelle fut encerclé l'Islam entre les Croisés d'Occident, et cent ans plus tard, les Mongols venant de l'Est, au secours des premiers. Il n'y eut aucun traité conclu entre Urbain II et le grand-père de Genghis Khan, mais de fait les Mongols furent l'incarnation du mythologique «Prestre Jean» attendu en ces temps par la chrétienté pour «abattre le Dragon musulman». «Prestre Jean» s'incarna en la personne de Hulagu, le petit-fils de Genghis Khan, qui vint au secours des Croisés car il fut jaloux de leurs lauriers lorsqu'il les vit à l'oeuvre. Ces lauriers n'étaient pas très catholiques, ils se voulaient «chrétiens», mais c'était en fait le «christianisme» à la Godefroy de Bouillon et autres Richard Coeur de Lion. Après les massacres commis chemin faisant pour Jérusalem, dont 30.000 Juifs en Rhénanie, ils tuèrent lors de la prise de la Ville Sainte 70.000 Musulmans et Juifs - hommes, femmes, enfants, vieillards - pour ensuite les piller. Comme écrit le chroniqueur Franc de Gesta Francorum qui prit part à la curée, après ce massacre, les Croisés, tout dégoulinants de sang, «allèrent, pleurant de joie, honorer le Tombeau du Seigneur»,

«Les défenseurs s'enfuirent à travers la ville (de Jérusalem). Les nôtres les poursuivirent jusqu'au Temple de Salomon où il y a eu un tel bain de sang qu'on y pataugeait jusqu'aux chevilles. Les Croisés traversèrent la ville en raflant or, argent, chevaux et mulets. Ils pillaient les maisons pleines de richesses. Après cela, heureux et pleurant de joie, allèrent, les nôtres, honorer le Tombeau du Seigneur.» (3)

C'est la description de la façon d'«honorer» le Tombeau du Seigneur, faite par un Croisé lui-même. Un historien allemand du XXe siècle écrit :
«L'assaut fut donné le 14 juillet 1099. Le jour suivant Jérusalem tombait aux mains des Chrétiens. La ville fut totalement pillée, et ce qui s'en suivit fut une vraie boucherie. Tous les infidèles furent tués. Des monceaux de cadavres entouraient la ville et empestaient encore longtemps l'atmosphère. Pas même le Trésor de l'Église du Saint Sépulcre fut épargné.» (4)

Il est des historiens qui disent, très graves : «Ne tombons pas dans l'anachronisme en jugeant les moeurs du XIe siècle avec ceux du XXe». Cela est vrai. Jugeons les moeurs des Croisés avec ceux de leur époque mais d'une autre civilisation. Quatre vingt huit ans après la prise de Jérusalem par les Croisés, consacrée par un carnage, l'Islam reprend sa ville. Et voilà comment l'historien anglais - plus sérieux - Steven Runciman fait la comparaison entre les deux civilisations :

«Les vainqueurs (musulmans) étaient corrects et humains. Là où les Francs 88 ans auparavant avaient pataugé dans le sang de leurs victimes, pas un seul bâtiment n'était maintenant pillé, pas une personne molestée. Sur ordre de Saladin des gardes patrouillaient dans les rues et les portes de la ville pour prévenir tout outrage contre les chrétiens. Pendant ce temps chaque chrétien s'efforçait de trouver l'argent nécessaire pour sa rançon, et Balian (5) vidait la trésorerie pour rassembler les trente mille dinars promis. C'était avec difficulté qu'on pouvait faire rendre gorge de leurs richesses aux Templiers et aux Hospitaliers (6). Et le Patriarche romain et son Chapitre ne s'occupaient que d'eux-mêmes. Les musulmans étaient choqués de voir le Patriarche Héraclius payer les dix dinars de sa rançon et quitter la ville courbé sous le poids de l'or qu'il transportait, suivi de charrettes chargées de tapis et de vaisselles. Grâce au reste de la donation de Henri II, sept mille pauvres furent libérés, mais on aurait pu épargner l'esclavage à plusieurs milliers d'autres si les Ordres et l'Église avaient été plus généreux. Bientôt deux courants de chrétiens s'écoulèrent à travers les portes de la ville. L'un, de ceux dont les rançons avaient été payées par eux-mêmes ou par les efforts de Balian (5). L'autre courant, celui de ceux qui n'avaient pas pu payer leur rançon et partaient en captivité. Ce spectacle était si pathétique, qu'Al-Adil (7) se tournant vers son frère, lui demanda mille captifs en récompense de ses services. Ils lui furent accordés et il les mit aussitôt en liberté. Le Patriarche Héraclius, enchanté de trouver un moyen si bon marché pour faire le bien, demanda aussi la faveur de pouvoir libérer quelques captifs. On lui en accorda sept cents (8), et cinq cents furent accordés à Balian. Alors Saladin annonça qu'il libèrerait lui-même tout homme âgé et toute femme. Les dames franques qui avaient payé leur rançon vinrent lui demander où elles devaient aller maintenant que leurs pères et maris étaient morts ou captifs. Il répondit en promettant qu'il libérerait tout mari captif, et donna des cadeaux aux veuves et aux orphelins de sa propre trésorerie, à chacun selon son rang social. Sa miséricorde et sa bienveillance étaient en étrange contraste avec les actes des conquérants chrétiens de la première croisade.» (9)

C'est après avoir lu cela que l'on devient sceptique concernant ce qui a été écrit sur le «fanatisme des chiens d'Aghar». Ce que Runciman appelle un «contraste» est le fait que les Croisés trahirent l'Enseignement du Christ, tandis que Saladin respecta celui de Mahomet :
«Quoi qu'on en ait dit (de Mahomet), l'homme fut bon et généreux. A la prise de La Mecque sa clémence fut plus qu'un acte politique.» (10)

Les principes enseignés dans les Évangiles sont aussi des appels à la bonté, à la générosité et à la clémence, mais les Croisés ne firent pas des Évangiles ce que Saladin fit du Coran...

L'initiative de la Première Croisade revient au Pape Urbain II, Saint Père de l'Église Catholique Apostolique et Romaine. Il eut pour principal associé le grand patron des Patriarches des Églises d'Orient, l'empereur byzantin Alexis Comnenos. Deux grands politiques, dont la «Raison d'État» en cette circonstance n'eut rien à voir avec le Tombeau du Christ.

Comnenos, aux abois pour son empire en plein effondrement (11), avait besoin des valeureux guerriers Francs pour chasser les Turcs d'Asie Mineure. Les Grecs étaient fatigués de faire la guerre depuis deux mille ans. C'est pour cela qu'ils ne la faisaient plus que par le truchement de mercenaires. Jérusalem était pour Comnenos le moindre de ses soucis. Il était au mieux avec le Khalife du Caire, seigneur de la ville au Tombeau du Seigneur. Il avait envoyé une ambassade à Urbain II pour lui faire miroiter une réunification des Églises «schismatisées» par le «Filioque» (12) si les Occidentaux, en route vers le Tombeau du Seigneur, chassaient les Turcs lors de leur passage à Byzance. La promesse de réunification des deux Églises séparées en 1054 ne pouvait laisser indifférent un Pape de la taille d'Urbain II. Quoiqu'il ne se fiât pas trop aux «levantinades» des Byzantins, il faisait semblant d'y croire, ayant lui-même sa propre Raison d'État qui faisait de la Croisade la solution d'un problème bien terrestre, et fit donc de Comnenos son allié. On a souvent écrit au sujet des Croisés :

«Des hommes aux grands élans idéalistes qui voulaient organiser un «pèlerinage grandiose du peuple chrétien… une offensive des forces de toute la chrétienté contre l'Islam», pour «délivrer les Églises d'Orient du joug des Turcs»... «Une guerre sainte», etc., etc.» (13)
C'est un historien français très sérieux qui a écrit cela, mais dans un passage de son oeuvre où, pour faire les beaux yeux à Polymnie (14) il a fait des infidélités à Clio (15). La réalité est tout autre.

Concernant les mobiles de l'Occident pour la Croisade, la vérité est sortie de la bouche même du Saint Père lors de son Sermon du 28 Novembre 1093 au Concile de Clermont. Le Souverain Pontife, Urbain II, appela ses guerriers et compatriotes Francs à aller «libérer le Tombeau du Seigneur» des mains de l'«Infidèle». Mais il ne cacha pas en cette circonstance le fond de sa pensée et leur demanda de cesser de s'entrégorger pour s'emparer du Fief du voisin «frère en Jésus Christ», rendant la «Trêve de Dieu» inopérante. Urbain II leur dit :
«Vous pouvez dans ce pays (en France) à peine nourrir ses habitants. C'est pour cela que vous épuisez ses biens et provoquez des guerres sans fin entre vous.»
Cela voulait dire : «allez, avec ma bénédiction, Jean-Sans-Terre, vous emparer, épée en main naturellement, des terres d'autrui au lieu de vous battre entre vous.»

Comme écrit un historien allemand de la Papauté :
«Espoir en victoire et butin, et confiance en la félicité éternelle que le représentant de Saint Pierre leur avait promis.» (16)

Aussi, Sir Steven Runciman, un des plus sérieux historiens des Croisades, écrit justement :
«Quelles qu'aient pu être les raisons officielles de la Croisade, le véritable objectif des Francs était celui de se procurer pour eux-mêmes des Principautés en Orient.»

BASILE Y.
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1/. Henri Martin, HISTOIRE DE FRANCE, tome I, page 166.
2/. Henri Martin, HISTOIRE DE FRANCE, tome I, page 170.
3/. Gesta Francorum, ELEND DES CHRISTENTUMS, J.Kahl, RoRoRo 1968,
4/. J. Haller, PAPSTUM, IDEE UND WIRCKLICHKEIT, RoRoro 1962, tome II, p. 338.
5/. Commandant en chef de la défense de Jérusalem.
6/. Ordre «religio»-militaire.
7/. Frère de Saladin.
8/. Ainsi, alors qu'il venait de reprendre Jérusalem, le Sultan Saladin laissa s'en aller le chef spirituel de ses envahisseurs, «courbé sous le poids de son or», lui faisant même cadeau de 700 chrétiens destinés à la captivité, sans qu'il ait eu à payer leur rançon, bien que telles aient été les lois de la guerre d'alors.
9/. Steven Runcimen, A HISTORIY OF THE CRUSADES, 1968, volume II, page 466.
10/. Régis Blachère, LE PROBLEME DE MAHOMET, 1952, page 129.
11/. Les Turcs Seldjouks, 24 ans après le désastre qu'ils infligèrent aux Byzantins à Manzikert, atteignirent les rives du Bosphore.
12/. Les théologiens présentent cette dispute sur le Filioque entre Rome et Byzance comme une divergence «théologique» sur la procession du Saint Esprit. Les uns le voulaient procéder, du Père seulement, les autres du Père et du Fils. En réalité il s'agissait de rivalités entre deux Empires chrétiens. Le jeune et dynamique Occident voulait dévorer le vieux et décadent Orient au nom de la «théologie».
13/. L. Bréhier, VIE ET MORT DE BYZANCE, Albin Michel 1969, pages 253 à 255.
14/. Muse de la poésie lyrique.
15/. Muse de l'Histoire.
16/. Johannes Haller, PAPSTUM, IDEE UND WIRKLICHKEIT, 1962, tome II, page 327.

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Mohamed ZEMIRLINE

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