INDIENS ET BARBARES
Le génocide Amérindiens et
la spoliation de leur continent.
BASILE Y. basile-y.com
A la mémoire du père
des droits de l'homme
Fray Bartolomé de Las Casas
Bouclier des Indiens
«Entre, mon Père,
aujourd'hui avec moi en cette maison
Je te montrerai les écrits,
le supplice
de mon peuple, de l'homme
persécuté
Je te montrerai les
antiques douleurs.»
PABLO NERUDA, Chant général
IV, II
à Fray Bartolomé de Las
Casas.
Partie 01/ 05
INTRODUCTION
QUI ÉTAIENT LES BARBARES ?
Depuis
Christophe Colomb, jusqu'au dernier chroniqueur de la Conquista , tous,
unanimes, nous rapportent que les premiers Européens débarqués aux Antilles ou
sur le Continent furent pris pour des dieux. On leur offrait des sacrifices,
leur faisait des offrandes - comme ils avaient l'habitude de le faire envers
leurs dieux locaux, on leur brûlait de l'encens.
Hélas! Cette euphorie ne dura que le temps qu'il leur fallût pour s'apercevoir qu'ils s'étaient trompés sur la qualité de leurs «hôtes». Revenus de leur méprise, les Indiens remplacèrent l'encens et les offrandes par des flèches et des massues pour répondre à la pacification qui consistait à les terroriser en leur coupant les mains (1) et en renvoyant les suppliciés chez eux munis du conseil de «porter cette lettre aux autres». N'ayant pas trouvé cela encore suffisant pour leur insuffler la terreur et afin de les soumettre, les conquistadores prirent des élites du peuple des Aztèques qu'ils jetèrent vivants en pâture à des lévriers sauvages dressés pour être friands de chair d'Indiens (2). Ce fut alors que jaillit des entrailles du peuple de Guahutémoc à leur adresse le cri de BARBARES.
Cette
conduite des conquistadores espagnols avait alors provoqué l'indignation des
nations situées au Nord des Pyrénées. Indignation très justifiée, mais à sens
unique puisque ces mêmes nations firent «mieux» avec la Traite des Noirs, en
donnant délibérément en pâture à des requins des esclaves
Africains, dans le but de toucher des primes d'assurances ou pour délester, en
cas de tempête, leurs navires surchargés, leurs Géhennes Flottantes
comme les appela Aimé Césaire (3). Ce ne fut
pas uniquement la Traite
qui coûta la vie à 200.000.000 d'Africains - d'après le très modéré et ami de
l'Europe Léopold Sédar Senghor, Président du Sénégal. Le colonialisme eut aussi son rôle : le roi Léopold II de Belgique est mort
au début du 20e siècle avec 15.000.000 de Congolais sur sa
conscience (4).
Léopold avait été précédé par d'autres héros de la «mission civilisatrice»,
tels que Sir Cecil Rhodes(parrain de la Rhodésie ), le général Von Totra, le général
Gallieni.
Revenons à l'Amérique : des planteurs français, anglais et hollandais des «Indes Occidentales» dressaient des chiens à dévorer des Noirs fugitifs, en commençant par les entrailles (5). Ainsi pas de haro sur le baudet espagnol.
Cela avait commencé à l'ère nouvelle, née de la découverte du Nouveau Monde. Des pillages, massacres, exploitation ou possession de l'homme par l'homme (comme Victor Schoelcher appelait l'esclavage) il y en a toujours eu, tout le long de l'histoire de l'humanité, mais cela s'était fait à échelle artisanale. Quarante ans seulement après l'arrivée des conquistadores à Guanahaní, plus de 12.000.000 d'Indiens avaient été exterminés (6). Si on additionnait toutes les victimes de tous les Mongols et on les multipliait par deux, cela dépasse tout juste la moitié de ce chiffre. C'était la suite de l'ère nouvelle, quand les caravelles de Colomb avaient commencé à remorquer dans leur sillage vers l'Amérique, non seulement
Ce
fut sous le prétexte de «libérer les terres de leurs sauvages» qu'on
extermina les Apaches au 19e siècle, comme d'autres ethnies
indiennes, en les chassant comme du gibier («Indian Hunt' comme on lira au
chapitre du «Dragon Anglo). Il n'y a pas si longtemps, nous lisions encore dans
nos dictionnaires encyclopédiques (Espasa-Calpe par exemple) : «Apaches,
Indiens sauvages et sanguinaires». C'est cela notre Éthique, et pas seulement
celle d'Aristote ou de Spinoza.
Cette
sauvagerie de l'homme civilisé envers les Indiens commença au XVIme siècle. Le
père franciscain Motolinia, en apostolat au Mexique, qu'on appelait alors «Nouvelle
Espagne», contemporain de la
Conquista et des malheurs qu'elle a portés aux Indiens,
l'appela APOCALYPSE. De sa part, ami de Cortés et des conquistadores en général,
ce qualificatif prenait toute sa valeur sémantique.
Pour
les Indiens, ce fut une Apocalypse sans aucun doute. Je voudrais en parler
aujourd'hui, mais rappeler aussi parallèlement qu'à l'occasion de cette
Apocalypse naquit une éthique d'amour de l'homme, qui mérite d'être mieux
connue. Des moines défendirent les Indiens souvent au péril de leur vie, comme
ils firent avec les Guaraní par exemple, qu'ils armèrent, encadrèrent et se
battirent à leur tète pour les protéger contre les Européens chasseur d'Indiens.
Ils ne luttaient pas seulement pour des réformes, mais c'est le colonialisme en
tant que tel qu'ils mettaient en cause. Ils déniaient aux «rois de Castille»
tout droit à «subjuguer les Indiens». Las Casas s'adressant à Charles
Quint sur un ton de prophète Jérémie, lui disait :
«Sa Majesté est obligée, de commandement
divin, de faire mettre en liberté tous les Indiens que les Espagnols
maintiennent en esclavage»
Ce
fut au cri de «Je suis une voix qui clame au sein de la sauvagerie» que
le père dominicain Anton de Montesinos fustigeait du haut de la Chaire de la Cathédrale de
Saint-Domingue, au soir de l'Avent de 1511. Il s'adressait aux esclavagistes
réunis autour du fils de Colomb Don Diego Colón, ahuris de l'entendre, car ils
savaient que par «sauvages» il n'entendait pas les Indiens. Ce fut ce sermon
qui parla à la conscience du conquistador Bartolomé de Las Casas, pour
en faire, d'un conquistador de père en fils, le Bouclier des Indiens. Il leur
consacra toute sa vie, développant le sermon de Montesinos en une Éthique au
service des opprimés.
Le
père de cette Éthique fut donc Fray Don Bartolomé de Las Casas, évêque au
Mexique. Sa foi pour défendre les Indiens ne s'arrêta ni à son diocèse ni même
au Mexique. Elle embrasa alors les deux continents américains, du Rio Grande à la Terre de Feu, où une armée
de moines haïs et souvent persécutés par les conquistadores firent de
1'évangile une arme contre l'oppression des Indiens. Malheureusement, ce feu ne
dura que le temps du XVIme siècle, son extinction s'étant faite en même temps
que la décadence de 1'Espagne.
Las Casas fut le véritable fondateur des droits de l'homme, pour avoir lutté toute sa vie pour les droits d'êtres humains auxquels on avait tout dénié, y compris le droit de vivre. Aucune idéologie, aucune philosophie ne guidait les actions de Las Casas et de ses disciples d'alors. Ils n'étaient guidés que par leur Éthique de l'amour de l'Homme. Pour eux, tous les hommes étaient des fils de Dieu, quelle que fusse la couleur de leur peau.
Las Casas n'est pas reconnu partout mais, comme écrit l'historien mexicain Justo Sierra, il a un autel dans le coeur de chaque Indien. Près de
1/. Alfonso Toro, HISTORIA DE MÉXICO, Mexico 1956, tome II, page 103.
2/. M. León Portilla, VISION DE LOS VENCIDOS, éd. UNAM, Mexico 1959,
page 188.
3/. F. George Kay, THE SHAMEFUL TRADE, A.S. Barnes and Company, New
Jersey 1968, pages 86-87 et 157.
4/. Mark Twain, KING LEOPOLD's SOLILOQUY, page 52.
5/. Victor Schoelcher, ESCLAVAGE ET COLONISATION, éd. P.U.F. 1948, page
33.
6/. Las Casas, BREVICIMA RELACIÓN, Buenos Aire 1953, page 25.
I. L'EUROPE À
L'ASSAUT DU NOUVEAU MONDE.
I. 1/. LES
AMÉRINDIENS PRÉCOLOMBIENS
a) Culture.
«... les Indiens et leur civilisation furent tellement détruits et maltraités par les Espagnols, qu'il n'en est rien resté de ce qu'ils étaient auparavant. Ainsi on les tient pour des barbares et pour des gens du plus bas degré. Mais en vérité, en matière de civilisation, ils pourraient en montrer à beaucoup de nations qui ont la présomption d'être civilisées.» (1)
L'auteur
de ces lignes quitta sa chaire de professeur à l'Université de Salamanque pour
aller, en tant que moine franciscain, en «Nouvelle Espagne» (comme on appelait
alors Le Mexique). Il s'y consacra à la protection des Indiens et au sauvetage
de ce qui pouvait encore l'être, malgré que le pays fut encore aux mains de nos
barbares Européens qui avaient suivi Christophe Colomb. L'oeuvre de Fray
Bernardino de Sahagún fut «monumentale», au dire de Americo Castro.
Au même siècle, une grande voix s'élevait aussi en France contre la présomptueuse tradition européenne consistant à traiter de «barbare» toute civilisation qui ne serait pas le reflet de la sienne. Au sujet des Indiens du Brésil, qui vivaient pourtant encore à l'âge de pierre, Montaigne écrit :
«J'ai
vu autrefois parmi nous des hommes amenés par mer de lointains pays, desquels
parce que nous n'entendions pas le langage, et que leur façon, au demeurant, et
leur contenance, et leurs vêtements étaient de tout éloignés des nôtres, qui de nous ne les estimait et sauvages et brutes? Qui n'attribuait à
stupidité et bêtise de les voir muets, ignorant la langue française, ignorant
nos baisemains et nos inclinations serpentées, notre port et notre maintien,
sur lesquels, sans faillir, doit prendre son patron la nature humaine.» (2)
L'opinion
de Sahagún sur les civilisations indiennes détruites fut confirmée brièvement
par un autre témoin oculaire, le père jésuite José de Acosta, dans son HISTORIA
NATURAL Y MORAL DE LAS INDIAS :
«... de plus, écrivit-il, sans savoir
rien de cela (qu'ils «rendent des points à beaucoup de nos républiques»),
nous pénétrons chez eux épée en main, sans les écouter ni les
entendre, et nous ne voulons croire que les choses des Indiens méritent autre
considération que celle de la chasse à l'homme pour les mettre à discrétion à
notre Service.» (3)
Le
niveau culturel des Incas et des Mayas était alors bien supérieur à celui des
conquistadores, dont la plupart étaient des illettrés, et les Aztèques aussi
auraient pu leur rendre des points dans ce domaine.
Ceci explique l'étonnement de Fray Toribio de Benavente (Motolinia) de voir les Indiens du Mexique (où il exerçait son apostolat), une fois convertis au christianisme, apprendre si vite le latin qu'au bout de cinq ans d'enseignement ils confondaient déjà les clercs espagnols (4). Il en fut tellement impressionné qu'il consacra le chapitre LIX de son ouvrage MEMORIALES sur «L'INGÉNIOSITÉ ET HABILITÉ DES INDIENS EN SCIENCES DE LIRE, ÉCRIRE, COMPTER, ET JOUER DE LA MUSIQUE» (5). Il précise qu'en musique «Les Indiens apprennent en deux mois ce qu'en Espagne les Espagnols n'apprennent pas en deux ans» (6). Notons qu'il s'agit là du Mexique, dont le niveau de civilisation des Aztèques était, pour moi, légèrement mois développé que celui des Incas ou des Mayas. Malgré tout, leur
«calendrier qui est réglé sur la révolution
annuelle du soleil, non seulement par l'addition de cinq jours tous les ans,
mais encore par la correction du bissextile, doit sans doute être regardée
comme une opération déduite d'une étude réfléchie et d'une grande combinaison.
Il faut donc supposer chez ces peuples une suite d'observations astronomiques,
une idée distincte de la sphère, de la déclinaison de
l'écliptique et l'usage d'un calcul concernant les jours et les heures des
apparitions solaires.» (7)
C'était
là le calendrier des Aztèques. Quant à celui des Mayas,
«Leurs prêtres calculaient l'année
astronomique avec 365,2420 jours, s'approchant ainsi davantage de nos calculs
d'aujourd'hui qui sont de 365,2425 jours.» (8)
Ils
faisaient donc usage d'un calendrier plus exact que celui de Grégoire XIII (9). On ne peut
naturellement juger du niveau d'une civilisation par la seule supériorité de
son calendrier. Dans le domaine religieux, nous avons également des
informations, car parallèlement au rite chrétien, les Mayas continuèrent leurs
pratiques ésotériques précolombiennes. Parmi les rares hommes qui ont eu le
privilège de gagner leur confiance et assister à leurs Mystères, l'indianiste
Rafael Girard, fort impressionné de leur mysticisme, écrit :
«d'avoir joui du rare privilège d'être
admis à assister à ces étranges cérémonies de profond mysticisme, j'ai vu se
poser un autre problème, celui du langage métaphorique qui
n'est pas à la portée de notre entendement.» (10)
Ce
mysticisme des Mayas doit être d'un niveau civilisateur supérieur puisqu'il a
formé des hommes à propos desquels :
«Les
anthropologues qui se penchèrent de près sur les Indiens Maya ou Quiché
distinguent leurs traditionnelles qualités comme suit : coexistence
harmonieuse, domination de soi, pacifisme, altruisme, amour de la Justice , de la Vérité.. .» (11)
Rafael
Girard écrit encore ailleurs, d'après ses propres observations :
«Durant
les travaux agricoles qui constituent l'activité de base des Indiens, et qui
s'exécutent par le système d'aide mutuelle, l'application du principe social
collectif est notoire.» (12)
Ainsi,
plus de quatre siècles d'oppression n'altérèrent pas leurs moeurs de
solidarité, et l'INDIVIDUALISME égoïste qui caractérise notre civilisation n'a
pas réussi à les corrompre.
Nos anciens historiens, même les mieux intentionnés, ne se privent pas de traiter les Indiens de «sauvages». Du point de vue même de notre conception de ce mot, sont tels des hommes qui vivent sans villes, sans routes reliant les villes entre-elles, sans lois, sans bâtiments publics, sans médecine. Pour nous faire une idée donc de ce qu'étaient les villes des Indiens, les mieux placés pour nous les décrire sont ceux qui les détruisirent. Voici l'opinion d'un des principaux destructeurs de joyaux d'architecture Indienne, Hernán Cortés
«Tlaxcala
est si grande et tant digne d'admiration que le peu que j'en dirais est
incroyable, parce qu'elle est beaucoup plus grande que Grenade, avec d'aussi
bons édifices, et beaucoup plus peuplée que cette dernière l'était du temps où
elle fut conquise. Mieux ravitaillée des choses du pays, avec un grand marché
où trente mille âmes achètent et vendent, sans compter les petits marchands à
travers la ville. Il y a des joailleries d'or, d'argent et
des pierres précieuses, aussi bien conçues que sur les places et marchés du
monde entier.» (13)
Cortés
de poursuivre plus loin : «Il y a entre eux toute sorte d'ordre et de la
police, justice et harmonie, autant que le mieux en Afrique ne les égale». Il
s'agit là de l'Afrique du Maghreb, d'un niveau de civilisation supérieur alors
à celui de l'Europe elle-même. Quant à «l'ordre et police» qui régnaient
chez ces «sauvages», Cortés poursuit :
«Un
des indigènes de cette province vola de l'or à un Espagnol. Je l'ai dit à ce
magiscatzin qui est le plus grand seigneur de tous. Ils
firent une enquête, découvrirent le coupable et me l'amenèrent afin que je le
punisse.» (14)
Pas
question naturellement de punir l'Espagnol qui avait volé cet or aux Indiens...
Cette
relation de Cortés sur l'ordre qui régnait chez les Aztèques à son arrivée (1519)
mérite d'être comparée avec l'ordre qui régnait en Europe au
XVIIme siècle. En France, par exemple, sous Louis
XIII (1610-1643), Voltaire écrit que «Les villes étaient sans police, les
chemins impraticables et infestés de brigands.» (15)
Pour
Cortés, brigand lui-même, l'ordre qui régnait alors chez les «sauvages» Indiens
dût lui paraître digne d'être mis en relief!
1/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DE LA NUEVA ESPAÑA , Mexico
1946, tome I, page 12.
2/. Michel de Montaigne, LES ESSAIS, Livre Second, Chapitre XII. Retour
^
3/. Cité par Garcilaso de La
Vega dans COMENTARIOS REALES, Livre II, Chapitre 27.
4/. Motolinia, MEMORIALES, éditions UNAM, Mexico 1971, page 239.
5/. Idem, page 255.
6/. Idem, page 238.
7/. Carli, LETTRES D'AMERIQUE, tome I, lettre 23. Cité par W.H.Prescott
dans THE COMPLETE WORKS, London 1896, volume III, page 105.
8/. Richard Konetzke, FISCHER WELTGESCHICHTE, Band 22, page 16.
9/. Ce calendrier fut appelé grégorien parce qu'il vit le jour sous le
Papa Grégoire XIII et sous son impulsion. Cependant, l'auteur n'en était pas le
pape, mais Lelio, un médecin italien originaire de Rome. La même injustice se
produisit avec le calendrier «julien» attribué à Jules César, tandis que son
véritable auteur était Sosigènes...
10/. Rafael Girard, Introduction à LOS MAYAS ETERNOS, éditions
Libremex, Mexico 1962, page VII.
11/. Rafael Girard, ouvrage cité, page 474.
12/. Idem, page 349
13/. Hernán Cortés, CARTAS Y RELACIONES, éd.Emecé, Buenos Aires 1945,
page 1333.
14/. Idem, p. 136.
15/. Voltaire, Essai sur les moeurs, CLXXV.
b) Urbanisme.
Là où l'admiration de Cortés atteignit l'enthousiasme en voyant les magnificences de la capitale des Aztèques, ce fut lorsqu'il vit quelque chose de réellement inconnu alors en Europe : UN JARDIN BOTANIQUE! Le premier jardin botanique ne fut inauguré en effet en Europe qu'en 1545 à Padoue, soit un quart de siècle après.
Le plus célèbre chroniqueur de
«... nous restâmes émerveillés et nous disions que tout cela
semblait comme un enchantement, comme les contes du livre
d'Amadis, de voir ces tours, ces sommets de pyramides, ces édifices surgissant
de l'eau et le tout en maçonnerie. Il y avait des soldats qui se demandaient si
tout cela n'était pas un rêve.» (1)
Nostalgique,
il se lamente que «Maintenant tout cela gît sur le sol, perdu, et rien ne
reste sur pied. Passons plus loin...» (2). Oui, passons
plus loin, sans y ajouter que «rien ne reste sur pied» depuis l'arrivée
de nos BARBARES
Européens. Il continue sa relation des merveilles de la grande Tenotchtitlán
par :
«En arrivant sur la grande place qu'ils
appelaient Tlatelulco, comme nous n'avions jamais vu telle chose, nous restâmes
en admiration sur la multitude de gens et de marchandises qu'il y avait, ainsi
que sur l'ordre qui y régnait. Chaque sorte de marchandise avait sa place
désignée et signalée de partout. Nous commençâmes par visiter les marchands
d'or, d'argent, de pierres précieuses, d'orfèvreries, de
plumes et de vêtements. Toutes sortes de vaisselle façonnée de mille
manières...» (3)
Il
continue pour exprimer l'admiration de ses frères d'armes, en écrivant :
«Il
y avait parmi nous des soldats qui avaient été en plusieurs parties du Monde, à
Constantinople, en Italie, à Rome, et ils disaient qu'une place faite aussi
symétriquement et avec tant de monde, et où il y régnait tant
d'ordre, ils ne l'avaient jamais vu nulle part.» (4)
L'historien
espagnol Oviedo, contemporain de le Conquista et témoin oculaire, confirme les
conquistadores en écrivant :
«J'ai vu des pierres précieuses
ouvragées en têtes d'oiseaux, d'animaux et autres figures, que je doute il
puisse exister quelqu'un en Espagne ou en Italie capable de les faire avec tant
de précision.» (5)
C'est
là l'opinion d'un historien qui ne se distingue pas dans son oeuvre par sa
sympathie envers les Indiens, au contraire!
De même, l'évêque de Yucatan Don Diego de Landa ne se distingua pas par sa sympathie envers les Indiens. On lira plus bas sur les oeuvres d'art qu'il détruisit comme «oeuvres de Satan», et le grand nombre d'Indiens qu'ils fit périr sur des fagots ardents. Cependant, sur ses vieux jours (avait-il commencé à croire en Dieu?), il prit sa plume pour nous laisser une oeuvre magistrale sur les Indiens de son diocèse. Les quelques lignes ci-dessous, venant de sa part, sont un témoignage péremptoire contre les calomniateurs des «sauvages Indiens» :
«Il y a au Yucatan, écrit-il, beaucoup
d'édifices de grande beauté, et c'est la chose la plus remarquable qu'on ait
découvert ici. Tous ces édifices sont en pierre de taille... » (6)
«En la ville, ils ont une bâtisse pour leur conseil
municipal et une justice sérieuse règne parmi eux.» (7)
Une
justice qui cessa naturellement de régner dès l'arrivée des Diego de Landa.
Laissons encore parler un ami des conquistadores, le moine franciscain Toribio de Benavente, dit Motolinia, sur ce qu'étaient les villes des Indiens avant leur destruction par nos barbares Européens. Il écrit au sujet de la capitale des Aztèques :
Laissons encore parler un ami des conquistadores, le moine franciscain Toribio de Benavente, dit Motolinia, sur ce qu'étaient les villes des Indiens avant leur destruction par nos barbares Européens. Il écrit au sujet de la capitale des Aztèques :
«Je crois qu'en toute l'Europe il y a
peu de villes avec tant de maisons et de population, et tant de villages autour
d'elles.» (8)
«Des rues si bien balayées, et le sol
plat et lisse, que même si la plante des pieds était aussi
délicate que la paume de la main, on n'aurait souffert en aucune façon d'aller
nu-pieds.» (9)
Cela
en des temps quand peu nombreuses étaient les rues propres et pavées dans les
capitales de l'Europe. Même un siècle après l'invasion de l'Amérique par nos
barbares Européens, en France, sous le règne du roi Louis XIlI, «les rues de
Paris, étroites et mal pavées, et couvertes d'immondices dégoûtantes, étaient
remplies de voleurs» comme écrivait Voltaire dans son SIECLE DE LOUIS XIV.
(Ch.II)
Assez parlé des Aztèques, des Mayas et des Tlaxcaltèques. Voyons aussi chez un des plus sérieux chroniqueurs du Pérou, le conquistador Pedro Cieza de León, combien magnifiques étaient les cités des Incas avant leur destruction. Au sujet de leur capitale Cuzco, Pedro Cieza écrit :
«Il y avait des grandes rues... , les
maisons étaient faites de pure pierre; avec de si jolies jointures qu'elles
démontrent combien ces constructions étaient anciennes.» (10)
Dans
les palais de Cuzco venaient «de toutes les provinces»
«Les fils des seigneurs provinciaux pour
un séjour à la Cour ,
suivis de leurs serviteurs et de leur suite. Il y avait grand
nombre d'argentiers, de doreurs qui savaient oeuvrer tout ce que les Incas leur
commandaient.» (11)
Les
fils des seigneurs des provinces n'allaient pas à la Cour pour y festoyer. Ils y
allaient pour s'instruire auprès des amautas, l'élite intellectuelle de
l'empire inca. La vie culturelle ne se limitait pas à la capitale. Dans sa
description du fameux Palais de Toupaïnga Youpangue, en province, Pedro Cioza
admira
«La grande place où il y avait des bancs
à dossier comme au théâtre, pour s'asseoir et assister aux danses et fêtes. Le Temple du Soleil avait deux grands portails pour y
accéder, avec deux escaliers de pierre de trente marches chacun.» (12)
1/. Bernal Díaz del Castillo, HISTORIA VERDADERA DE LA CONQUISTA DE LA NUEVA ESPAÑA , Mexico
1955, page183.
2/. Idem, page184.
3/. Idem, pages197-198.
4/. Idem, page 199.
5/. Gonzalo Fernandez de Oviedo, cité par W.H.Prescott, dans THE
COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume III, page 461.
6/. Fray Diego de Landa, RELACIÓN DE LAS COSAS DE YUCATÁN, Editions
Porua, Mexico 1959, page 11.
7/. Idem, page 232.
8/. Motolinia, HISTORIA DE LOS INDIOS, éd. Gili, Barcelone 1914, page
184.
10/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PEROU, Buenos Aires 1945, p.279, Ch.
CXIV.
11/. Idem, page 243, chapitre XCII.
12/. Idem, page 237.
c)
Artisanat et voies de communication.
En matière de sculpture
«Des idoles de pierre, des silhouettes
et figures humaines très joliment réalisées, et si grandes
qu'on admire les forces humaines qui ont pu les transporter et poser là où
elles se trouvent.» (1)
Nos
archéologues se perdent encore aujourd'hui en conjectures sur ces statues
géantes chez un peuple qui ne connaissait pas la roue comme moyen de transport.
Platon avait-il raison avec sa fiction sur l'Atlantide?... Et quel admirable
artisanat!!
«Pour faire des vêtements, ils
possédaient des couleurs si parfaites : cramoisi, bleu, jaune, noir et
autres, que vraiment ils rendaient des points à l'Espagne.» (2)
«Ils portaient différentes sortes de
vêtements de coton, si fins et bien tissés qu'ils fallait les toucher pour les
distinguer de la soie.» (3)
Cela
sur les villes et les habits des «sauvages». Un autre fait caractérise une
civilisation : se sont les routes reliant les villes entre elles. Le pays
des Incas était un immense empire qui s'étendait du Rio Maule (Chili) au Rio
Ancasmayou(Colombie). Cependant, les liaisons entre la capitale Cuzco et les villes
de province étaient faites par des routes qui n'ont pas seulement provoqué
l'admiration pour leurs qualités, mais surtout pour les difficultés que les
ingénieurs Incas ont dû surmonter pour «élever des vallées, tailler dans la
roche et humilier l'altesse des Monts», sans parler des ponts au dessus
d'impétueux torrents. Al.Humbold s'extasia devant
«Cette chaussée, bordée de grandes
pierres de taille qui peut être comparée aux plus belles
routes des Romains an Italie, en France et en Espagne. Le grand chemin de
l'Inca est un des ouvrages des plus utiles et des plus gigantesques que les
hommes aient exécutés.» (4)
W.H.Prescott consacre lui aussi plusieurs pages élogieuses sur le réseau routier des Incas dont les lignes ci-dessous caractérisent la compétence des «barbares Indiens», comme il les appelle :
«Ces
routes étaient pavées de lourdes dalles extraites de pierres de taille et, par
endroits au moins, pavées d'un ciment bitumeux que le temps rendait plus dur
que de la pierre.» (5)
Pedro
Cieza compare la route mentionnée par Humbold avec celle
«que
fit Hannibal dans les Alpes quand il descendit en Italie.
Celle-ci peut être estimée supérieure en tenant compte des grands bâtiments
pour voyageurs et des dépôts qu'il y avait. Cela force 1'admiration.» (6)
«Rien
dans la chrétienté égale la magnificence de cette route!» (7)
De
belles villes, de belles routes, de beaux Jardins Botaniques, de beaux Temples,
de belles Pyramides, un artisanat très supérieur à celui de l'Europe d'alors.
1/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PEROU, Buenos Aires 1945, p.264.
2/. Idem, page 279.
3/. Ant. de Solís, HISTORIA. DE LA CONQUISTA DE MEJICO,
Madrid 1970, page 20.
4/. Cité par W.H.Prescott, dans THE COMPLETE WORKS, Londres 1896,
volume V, page 65.
5/. Idem, page 60.
6/. Pedro Ciaza de León, LA CRONICA DEL PEROU, Buenos Aires 1945, page 121.
7/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume V, page 396.
d) Agriculture et justice
sociale.
Il y avait quelques chose d'endémique dans l'Europe de Colomb que les «sauvages Indiens» ne connaissaient pas :
«Un Espagnol mange en un jour plus qu'un Indien pendant un mois», et qu'il «semblait aux indiens que ces gens-là
(les conquistadores) sont venus au monde rien que pour manger.» (1)
Les
Indiens «primitifs» étaient heureux et satisfaits de ce dont la Nature les avait comblés,
sans autre mal que celui de cueillir, pêcher ou chasser. Quant aux Indiens
organisés en grands empires comme les Incas :
«Les
greniers publics regorgeaient de vivres et les fonctionnaires étaient chargés
de pourvoir à la subsistance de leurs administrés.» (2)
«Une responsabilité très lourde stimulait le zèle des
fonctionnaires : si un Indien avait volé par malice ou paresse, il était puni; s'il avait agi sous l'empire de la nécessité,
c'est son chef hiérarchique qui était châtié.» (3)
«Quand un homme était réduit à la mendicité par
pauvreté ou par malchance, le bras de la loi s'étendait sur lui pour lui porter
assistance. Pas l'assistance qui se borne à la charité privée, ni celle
répartie goûte à goûte, comme c'était le cas en Europe, par les réservoirs
glaciaux de la paroisse, mais généreusement, sans être
accompagnée d'humiliation, et plaçant le bénéficiaire sur un niveau égal à
celui de ses compatriotes.» (4)
Qui
aurait en ces temps, en Europe, rêvé d'une pension de retraite pour tous? Chez
les «sauvages» du Pérou,
«au
dessus de 60 ans, le vieillard était susceptible de donner des conseils
seulement.» (5)
De
même chez les Mayas, l'entraide sociale régnait partout avant l'arrivée de
Diego de Landa, qui avoue que
«C'était
la coutume de chercher dans les villes les infirmes et les aveugles pour leur
donner le nécessaire.» (6)
A
la même époque, pendant laquelle la présomptueuse Europe se mit à exporter sa
civilisation, on vivait chez-elle devant ce lamentable spectacle de
«certains
animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs,
livides et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et
qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix
articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face
humaine, et en effet ils sont des hommes; ils se retirent la nuit dans des
tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines; ils
épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir
pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer du pain qu'ils ont semé.» (7)
Et
ils en manquaient! La bruyère écrivait cela vers la fin du 17ème
siècle. Au siècle suivant, en janvier 1772, dans une lettre à Joshua Babcock,
Benjamin Franklin le confirmait en décrivant comme suit la vie des
paysans d'Irlande et d'Ecosse :
«Dans
ces contrées il y a un petit nombre d'hommes qui sont propriétaires, nobles,
gentlemen; leur opulence est extrême; ils vivent dans l'abondance et la
magnificence. La masse du peuple est composée de tenanciers, extrêmement
pauvres, qui vivent dans une misère sordide, couchent dans des tanières de boue
et de paille, et ne sont vêtus que de haillons ...
Je vous assure que, pour la jouissance et le bien être de la vie, tout Indien comparé à ces pauvres gens est un gentleman.»
«les
greniers publics regorgeaient de vivres» écrivait Louis Boudin tout en
traitant les Indiens de «sauvages». Ces vivres n'étaient cependant pas de la
manne tombée du ciel. Ils étaient le résultat d'une organisation réfléchie de
l'économie agricole au service de tous, une économie DETRU1TE délibérément
par nos barbares Européens dès leur arrivée :
«La FAIM fut une des plus grandes
calamités qui flagellèrent les Indiens (8) au commencement
de la conquista. Elle fut causée par la méthode des conquistadores qui consistait
à raser leurs fermes et leurs terres ensemencées pour les
obliger à se soumettre.» (9)
Contemporain
de la Conquista
et de la famine qu'elle importa d'Europe, le père franciscain Motolinia, dans
son catalogue des «Dix Plaies» (comme celles d'Egypte) que «Dieu» aurait envoyé
aux Indiens pour les punir d'avoir adoré des «faux dieux», range la Faim en troisième
place :
«La
troisième plaie fut une grande faim qui suivit la conquête du Mexique» (10).
Ce
n'est cependant pas Dieu qui leur envoya la famine. Un père n'affame pas ses
enfants! Ils n'avaient pas faim avant l'arrivée de Colomb, car ils vivaient au
sein de civilisations qui savaient obtenir deux récoltes par an, dans un pays
où la pluie était un phénomène rarissime.
«J'ai
déjà dit», écrit Pedro Cieza, «qu'il ne pleut pas chez eux, et que leur eau
provient d'irrigations. En ces vallées les Indiens sèment du maïs et obtiennent
deux récoltes par an et en abondance.» (11)
«Cette vallée de Toumbez se trouvait être très peuplée
et labourée, pleine de frais et jolis canaux avec lesquels ils irriguaient tout
ce qu'ils voulaient, et obtenaient beaucoup de maïs et autres
choses nécessaires à la subsistance des hommes, ainsi que de beaux et très
savoureux fruits.» (12)
«Par un judicieux système de canaux et aqueducs
souterrains,» écrit Prescott, «les désertiques espaces de la côte étaient
rafraîchis par de copieux courants qui les paraient de
fertilité.» (13)
«Sous la zone torride il fallait de l'irrigation. Ils
l'obtenaient avec grands soins, et ne semaient pas du maïs sans irrigation. Ils
ouvraient aussi des canaux pour arroser des pâturages quand l'automne retenait ses eaux. Car ils voulaient aussi bien prendre soins de leurs
pâturages que de leurs semailles parce qu'ils avaient beaucoup de bétail.» (14)
Les
canaux d'irrigation mentionnés ci haut furent admirés par tous les chroniqueurs
de l'époque, et récemment Victor Von Haagen, archéologue nord-américain les
résume tous en quelques mots :
«Les
ingénieurs des Incas domptaient les impétueux cours d'eau jaillis des glaciers,
et les canalisaient très attentivement dans leur descente vers les vallées,
pour arroser des champs, quoique séparés de leur point de départ par de longues
distances. Cette technique aidait les Incas à contrôler la densité de la population et donner au corps social un équilibre
méticuleux entre population et productivité.» (15)
C'est
pour cela que les Indiens ne souffraient jamais de faim.
«La
famine, un fléau si connu alors dans chaque pays de l'Europe
civilisée, était un mal inconnu dans les dominions des Incas» (16), écrit
Prescott.
Cette
absence de famine avait certainement contribué pour sa part au règne de la Moralité chez les Incas.D'après Carli : «Sans doute l'homme du Pérou estoit
infiniment plus perfectionné que l'Européen» (17).
Il l'était aussi parce qu'il y régnait une Justice au sujet de laquelle Motolinia écrit pour le Mexique que
«Si
dans un procès un juge favorisait un personnage haut placé au préjudice d'un
homme du peuple, le seigneur, en apprenant la vérité, faisait
pendre le juge et rendre la sentence en faveur du plébéien.» (18)
C'est
sans doute à force de vivre dans cette ambiance que, si la première surprise
des Indiens à l'arrivée des Cortés et Pizarro fut celle d'avoir eu à subir leur
cruauté, la deuxième fut celle de les voir se voler les uns les autres.
S'il y a donc aujourd'hui des Indiens qui volent, il faut croire qu'ils furent de bons élèves. A propos de «Morale», c'est le MEA CULPA de remords que fit un conquistador sur son lit de mort qui est impressionnant. Mancio Sierra Leguisano, dans une relation-testament envoyée à Philippe II, lui écrivait entre autres :
S'il y a donc aujourd'hui des Indiens qui volent, il faut croire qu'ils furent de bons élèves. A propos de «Morale», c'est le MEA CULPA de remords que fit un conquistador sur son lit de mort qui est impressionnant. Mancio Sierra Leguisano, dans une relation-testament envoyée à Philippe II, lui écrivait entre autres :
«Il faut que Sa Majesté Catholique le sache, nous avons trouve
ces contrées dans une situation telle, qu'il n'y avait ni un voleur, ni un
homme vicieux; et je voudrais que Sa Majesté Catholique comprenne pourquoi je
rédige cette relation. C'est pour décharger ma conscience et me connaître
coupable, car nous avons transformé ces individus qui avaient tant de sagesse
et commettaient si peu de délits et d'extravagances, que le possesseur de cent
mille pesos d'or et d'argent laissait sa porte ouverte en fixant un balai ou un
petit morceau de bois en travers de la porte pour indiquer qu'il etait
absent : ce signe conforme à la coutume suffisait pour
éviter que quelqu'un m'entrât et ne prit quelque chose. Ainsi nous méprisèrent-ils
quand ils virent parmi nous des voleurs.» (19)
En
effet, quelle ne fut la surprise des Indiens quand ils virent les
conquistadores commencer à mettre des serrures à leurs portes. C'était là un
gadget inconnu chez les sauvages avant l'arrivée de nos barbares Européens.
Malgré cela, d'après nos pundits anciens, l'Europe fut porteuse de civilisation
au Nouveau Monde, quand en réalité elle n'y porta que des vices, des maladies, la Faim , et... des serrures!
1/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome I, page 398.
2/. Louis Baudin, LES INCAS DU PEROU, éd. Médicis, Paris 1947, page
111.
3/. Idem, page 128.
4/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, Vol V, page 57.
5/. Louis Baudin, LA
VIE QUOTIDIENNE AUX TEMPS DES DERNIERS INCAS, Hachette 1955,
p. 12.
6/. Fray Diego de Landa, RELACIÓN DE LAS COSAS DE YUCATÁN, Editions
Porua, Mexico 1959, page 14.
7/. La Bruyère ,
LES CARACTERES.
8/. Il s'agit ici des Indiens du Chili, pas des Peaux-Rouges de
Benjamin Franklin.
9/. Fr. Valenzuele, HISTORIA DE CHILE, Santiago du Chili 1960, page
130.
11/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PERÚ, Buenos Aires 1945, page 293.
12/. Idem, page 179.
13/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume V, page 5.
14/. Garcilaso de La Vega, COMENTARIOS REALES, page 325.
15/. Victor von Haagen, THE REALM OF THE INCAS, éd. New American Library,
New York 1961, page 66.
16/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896,volume V, page 159.
17/. Idem, page 160.
17/. Idem, page 160.
18/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 354.
19/. Louis Baudin, LA VIE QUOTIDIENNE AUX TEMPS DES DERNIERS INCAS,
Hachette 1955, pages 132-134.
e) Médecine.
Après toutes ces vérités sur les «sauvages», cela vaut la peine de faire une comparaison entre leurs médecines et la nôtre. On ne saurait, certes, faire des comparaisons entre une médecine développée au point où en est aujourd'hui la nôtre et celle des Indiens d'il y a cinq siècles, «brisée par
Même au siècle suivant celui de François 1er,
en 1611, le «médecin» d'Henri IV, Jacques Fontaine, cherchait dans ses «diagnostiques»
la «Marque du Diable», et écrivait péremptoirement :
«Ceux
qui disent qu'il est difficile de distinguer les marques du Diable des défauts
naturels, d'un furoncle ou d'un impétigo, montrent clairement qu'ils ne sont
pas de bons médecins.» (1)
Au
temps d'Henri IV et de son «médecin», cela faisait plus d'un siècle que l'on
avait détruit les civilisations du Nouveau Monde. Avant cela, la médecine y
était la Reine
des Sciences tant chez les Incas que chez les Aztèques ou les Mayas. Au Pérou
par exemple :
«...
médecine et pratiques chirurgicales chez les Incas semblent avoir été aussi
avancées, et même en certains points peut-être encore plus avancées, que
lorsque Ambroise Paré arrachât la médecine de son sommeil
médiéval en Europe au XVI siècle.» (2)
«En
chirurgie ils avaient fait de grands progrès; ils soudaient des os brisés et
pratiquaient des opérations aussi difficiles que la trépanation.» (3)
Complétons
Alfonso Toro en ajoutant qu'on y pratiquait même la chirurgie esthétique pour
réparer les visages des belliqueux Aztèques démolis aux combats. De même chez
les Mayas, comme écrit Diego de Landa, quoique à sa manière bien
particulière :
«Il
y avait aussi des chirurgiens, ou pour mieux dire, des sorciers qui
guérissaient avec des herbes et beaucoup de superstitions.» (4)
Alors
si leurs «superstitions» les guérissaient, pourquoi traiter leur méthode
curative de sorcellerie? Tous les religieux espagnols n'étaient pas des Diego
de Landa. Le moine augustin Antonio de la Calancha , dans sa CORONICA MORALIZADA DEL ORDEN
DE SAN AGUSTIN EN EL PERÚ, fait l'éloge de la médecine paléo-péruvienne. Il la
compare avec la «médecine» de son temps en Europe, dont il critique la «maldita
ignorancia', la «maudite ignorance» de nos «médecins» d'alors, et écrit
dans son livre publié en 1639 :
«Parmi
les indigènes du Pérou il y avait des médecins sublimes, et le Deuxième Concile
de Lima avait dû constater qu'ils étaient extraordinairement capables, et
devaient être autorisés à guérir avec des herbes, des eaux et des massages; et
disposa en son chapitre 111 que personne n'avait le droit de les empêcher d'exercer.»
Plus
récemment, deux chirurgiens péruviens, les docteurs Graña et Rocca, ont prouvé
au monde médical moderne que du temps des Incas on maîtrisait au Pérou les
trépanations de la boîte crânienne, et à l'occasion de fouilles archéologiques
on y a découvert des instruments chirurgicaux :
«Avec
ces instruments, les docteurs Graña et Rocca opérèrent actuellement des
trépanations du crâne sur un patient vivant, utilisant les techniques
opératoires des Incas. Ils utilisèrent la forme inca du tourniquet appliqué
tout autour de la tête, et prouvèrent ainsi l'efficacité des
anciennes techniques opératoires.» (5)
Se
représente-t-on nos médecins au temps d'Henri IV en train d'opérer une boîte
crânienne, même en ayant recours à la «marque du Diable»??? Pedro Cieza aussi
vante les connaissances médicales des paléo-péruviens, ainsi que leur maîtrise
de la botanique. Comme écrivait Paul RIVET, que de services nous rendent encore
aujourd'hui le Quinquina, l'Ipécacuana, le copahu du Pérou!
L'Inca
Pachacutec avait décrété que
«Le
médecin ou herboriste qui ignore les vertus des herbes ou qui connaissant les
vertus de quelques-unes seulement ne cherche pas à les connaître toutes, sait
peu ou rien. Il lui faut donc travailler pour les connaître toutes et mériter
ainsi le nom auquel il prétend.» (6)
Un
vrai barbare ce Pachacutec qui prescrivait à ses médecins 1'étude de la botanique
au lieu de chercher la «marque du Diable». Un médecin hollandais, le Dr
P.Feritz, fit il y a quelques années un séjour de deux ans parmi les Curanderos
(médecins traditionnels) du Pérou. Il étudia leurs procédés et les fit
connaître dans un rapport publié en Allemagne aux éditions «Ringelheimer
Biologische Umschau» à Saltzgitter-Ringelheim. D'après Dr Feritz les
médecins traditionnels font des analyses d'urine à leur façon, comme les
faisaient leurs ancêtres il y a plus de cinq siècles, et découvrent le diabète
aussi aisément que cela se fait dans nos laboratoires. Ils le soignent et le
guérissent avec, des herbes et une diète.
Au Mexique aussi, la botanique était maniée de main de maître. Avant Colomb les Indiens savaient tirer profit pour leur santé des herbes dont
«Aucun
pays a eu autant d'espèces de plantes médicinales comme le Mexique, et leurs
vertus étaient parfaitement connues par les Aztèques, qui, on
pourrait le dire, avaient scientifiquement étudié la botanique médicinal.» (7)
Grâce
aux herbes médicinales et à leur médecine adaptée à leurs maladies, les Indiens
vivaient très sainement. Cependant, comme écrit Louis Baudin
«Ce
sont surtout les maladies apportées de l'Ancien Monde, la petite vérole et la
rougeole, qui ont causé des ravages.» (8)
Oui,
des RAVAGES! qui les ont littéralement décimés par endroit. Motolinia
avait constaté ceci sur place et en son temps. Au sujet de la variole, il écrit
qu'à l'arrivée au Mexique de Pánfilo de Narvaez, un de ses hommes atteint de
variole, en 1520 (six mois après l'invasion) :
«cette
maladie jamais connues en ces terres se propagea de telle façon, qu'elle créa
chez eux une pestilence qui dams la plupart des provinces causa la mort de plus
de la moitié des gens. Ils mouraient comme un monceau de punaises.»
«11 ans après, vint un Espagnol atteint de rougeole, qui se propagea chez les Indiens tant que de très nombreux en moururent.» (9)
«11 ans après, vint un Espagnol atteint de rougeole, qui se propagea chez les Indiens tant que de très nombreux en moururent.» (9)
Et
le «monceau de punaises» s'entassait partout où nos barbares Européens
mettaient leurs pieds. Au lieu d'avoir des remords de ces apports
civilisateurs, on les insulte de surcroît, avec l'accusation sans preuve, que
les marins de Christophe Colomb auraient amené du Nouveau Monde la syphilis,
une maladie qu'on confondait alors avec la lèpre. Comment nos «Diafoirus» du
XVme siècle auraient été capables de distinguer une manifestation de syphilis
d'un cas de lèpre! Sahagún, qui n'a rien laissé des «choses» des Indiens
précolombiens sans en référer dans ses travaux, écrit bien au sujet de la lèpre (10) et des soins
qu'on lui portait, mais pas un mot sur l'existence de la syphilis.
Leur médecine était supérieure à la nôtre d'alors parce qu'elle avait un puissant allié : l'Hygiène, contrairement à la nôtre qui souffrait de son l'absence. Sahagún écrit que les Indiens enseignaient à leurs enfants :
«Avant
le repas tu dois te laver les mains et la bouche. De même après avoir mangé te
nettoyer les dents» (11).
«c'était
une grande habitude en bonne santé ou malades de se baigner souvent» (12).
Malgré
cela l'Europe traita les Indiens de «sales», de «voleurs», de «barbares».
1/. Cité par J.C.Lauret et R.Lasierra, dans LA TORTURE ET LES
POUVOIRS, éditeurs Balkand, Paris 1975, page 130.
2/. Victor von Haagen, THE REALM OF THE INCAS, éd. New American
Library, New York 1961, page 106.
3/. Alfonso Toro, HISTORIA DE MÉXICO, éditions Patria, Mexico 1956,
tome I, page 386.
4/. Fray Diego de Landa, RELACIÓN DE LAS COSAS DE YUCATÁN, Editions
Porua, Mexico 1959, page 39.
5/. Victor von Haagen, THE REALM OF THE INCAS, éd. New American Library,
New York 1961, page 106.
6/. Garcilaso de La Vega ,
COMENTARIOS REALES, Livre IV, chapitre 36, page 505.
7/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume III, pages
493-494.
8/. Louis Baudin, LES INCAS DU PÉROU, éd. Médicis, Paris 1947, page
132.
9/. Motolinia, HISTORIA LE LOS INDIOS, éd. Gili, Barcelone 1914, page 14.
10/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DELA NUEVA ESPAÑA , Mexico
1946, tome II, page 270.
9/. Motolinia, HISTORIA LE LOS INDIOS, éd. Gili, Barcelone 1914, page 14.
10/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DE
11/. Idem, tome I, page 560.
12/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 21.
Dieu merci, nous avons eu aussi des hommes, qui à leur savoir surent ajouter leur coeur pour parler objectivement des Indiens en reconnaissant leurs qualités, ainsi que ce que nous leur devons pour notre bonne vie d'aujourd'hui.
L'anthropologue français Paul RIVET était un ami des
Indiens, parce qu'il était un ami de tous les hommes en tant que fondateur du
Musée de l'Homme. Dans une de ses oeuvres on peut lire que :
«...l'Indien
américain tout en recueillent l'héritage des peuples et des races qui ont
contribué à sa formation a su développer une civilisation propre sur ce fond
commun et enrichir celui-ci d'une série de créations et d'inventions, qui
peuvent être mises en parallèle avec les créations et les inventions de
l'Ancien Monde.»
«De grandes civilisations se sont constituées dans les régions les plus favorables au développement humain...»
«De grandes civilisations se sont constituées dans les régions les plus favorables au développement humain...»
«Au Mexique et au Yucatán, ils découvrirent un système d'écriture hiéroglyphique comparable au système égyptien, mais aussi indépendant de lui que la pyramide américaine l'est de la pharaonique.»
«Leurs manuscrits qui sont souvent des calendriers, comme le sont les quipu des péruviens, révèlent des connaissances astronomiques extraordinaires et l'existence du système décimal chez les Incas.»
«La liste des plantes cultivées par les aborigènes d'Amérique est impressionnante : le maïs, le manioc, la patate douce, l'igname, la pomme de terre, le cacao, le chénopode, la tomate, l'ananas, le potiron, le calebassier, le maté, le poivre de Cayenne. Ils possédaient un coton différent du coton de l'Ancien Monde, utilisaient les fibres textiles des agaves, fumaient ou prisaient du tabac, connaissaient les propriétés stimulantes ou thérapeutiques de la coca, du quinquina, de l'ipécacuana, du copéhu, enfin, pour teindre leurs tissus, ils exploitaient la matière colorante de la cochenille...»
«Il est bon, il est nécessaire que notre vieille Europe, comme la jeune Amérique, prennent conscience de ce qu'elles doivent à la civilisation indienne...»
«L'apport du Nouveau Monde a bouleversé les conditions de vie de la vieille Europe...» (1)
Il
les a bouleversées tout à notre avantage, tandis que l'Europe ne leur apporta
que le malheur, sans compter la destruction de la Nature.
Un
autre Européen, contemporain de la
Conquista , Albrecht Dürer, le célèbre peintre, graveur et
architecte allemand, en voyant à Bruxelles les magnifiques oeuvres d'Art
aztèque envoyées à Charles Quint par Cortés, manifesta son admiration en ces
termes :
«J'ai
vu en la maison du conseiller deux cadeaux apportés du Mexique pour le roi, à
savoir : un soleil en or et une lune en argent d'une telle magnificence que
difficilement on en rencontrerait qui les égalent. Je n'ai pas vu dans ma vie
chose de meilleur goût. A admirer des choses si fines en or, je me suis
émerveillé sur l'habilité et le travail subtil d'hommes de pays si lointains.»
C'était
cela «les Indiens et leurs choses», comme écrivait le père Sahagún. D'où
venaient ces Indiens? Nos américanistes se sont penchés depuis longtemps sur le
problème de leur origine anthropologique. Leurs ancêtres furent-ils des
autochtones ou des immigrés d'Europe, d'Asie ou d'ailleurs? Leurs travaux ont
déjà donné certains résultats. S'ajoutant à l'origine préhistorique, on a
découvert des témoignages archéologiques et linguistiques d'immigrations datant
de mille ans avant notre ère : Pharaoniques, Phéniciens, Asie Centrale,
Hébreux, Grecs, Ibériques, Irlandais, Vikings, Mélanésiens et autres, qui ont
laissé des traces de leurs «visites». On a découvert, par exemple, des épées
achéennes. Parmi les «sauvages» du Brésil exterminés par les «civilisés» il y a
eu des blonds aux yeux bleus. Le séjour des moines irlandais de saint Brandan
sur les côtes orientales d'Amérique du Nord mille ans avant Colomb et leur
retour en Irlande est attestée historiquement. Que signifierait la Croix rencontrée par
l'expédition de Juan de Grijalva en 1518 dans l'île de Yucatán, comme ils
appelaient alors cette presqu'île avant de l'explorer totalement? Ils avaient
trouvé que les Mayas y :
«adorent
une Croix en marbre, blanche et grande, surmontée d'une couronne en or, et
disent que sur elle mourut un qui était plus lumineux et resplendissant que le
soleil.» (2)
Mr.
Barry Fell, professeur de biologie maritime et de zoologie à l'Université de
Harvard, s'appuyant sur des découvertes numismatiques et des inscriptions
tombales rencontrées en Amérique du Nord, soutient que 800 ans avan t J.C. une colonie
basque s'était établie à la vallée de Susquehenna, à 150 Km . de Philadelphie. Une
collection de plus de 400 pierres portent des inscriptions, découvertes à
environ 120 km
de l'embouchure de la rivière Susquehanna, est attribuée par Fell à l'écriture
de l'âge de bronze rencontrée en l'ancienne province de Trasos-Montes, située
au Nord du Portugal. D'après des pièces de monnaie chinoises découvertes au
Mexique, des Chinois conduits par un moine bouddhiste seraient arrivés en ce
pays au Vme siècle de notre ère. On a également découvert des inscriptions
tombales au Tennessee et en Géorgie, aux États Unis, datant de 1000 ans avant
J.C. De même, des spécialistes du folklore indien présument que des coutumes et
la langue des Indiens «Yuchi» impliquent un héritage hébreu.
Ajoutons
à tout cela qu'on rencontre aussi quelques mots turcs dans la langue des Mayas
ainsi que dans celle des Aztèques. On rencontre aussi des mots indo-germaniques
dans le quechua, la langue des Incas; et les traits des Mapuches ne diffèrent
pas tant des nôtres. Les Indiens d'Amérique Centrale ont des traits physiques
se rapprochant de ceux des Mongoles.
A propos des Mongols, les travaux de Sahagún sur les «Choses» des Indiens pourraient nous mettre sur la piste d'une origine partiellement centre asiatique des Aztèques. Fray Bernardino était frappé par les similitudes de certains rites avec ceux de la religion chrétienne, surtout pour ce qui concerne l'Eucharistie. Ce Sacrement chrétien(St.Mathieu XXVI, 26-28) où Jésus donne à ses apôtres son corps à manger et son sang à boire symboliquement par le pain et le vin, les Aztèques le faisaient avec la chair et le sang d'un jeune homme divinisé durant un an et ensuite abattu rituellement par cinq prêtres. (3)
Il n'y eut pas que l'Eucharistie. Beaucoup d'autres manifestations religieuses aztèques se rapprochaient des rites chrétiens, ce qui avait désagréablement surpris les religieux espagnols. Ils furent épouvantés en les voyant s'approcher de leurs prêtres pour communier en absorbant un morceau de chair du sacrifié, car ils le faisaient avec le même recueillement que le font les chrétiens avec l'Hostie. Un Carême précédait aussi leur communion. Quand les religieux espagnols virent des baptêmes chez les Indiens précédés d'une invocation solennelle, où on oignait les lèvres et la tête du bébé, ils crièrent au scandale : «c'est le Malin qui les a inspiré pour profaner notre sainte Foi», disaient-ils. Sahagún, non sujet à ce genre de réactions, réussit à reconstituer, après de patients travaux, cette prière des prêtres Aztèques : «Que par ce baptême soit détruit le mal qui te fut donné avant le commencement du Monde». (4) Ne s'agissait-il pas là du péché originel?
Les nombreuses croix que les Espagnols rencontrèrent dans les Temples indiens furent également pris pour «Oeuvre de Satan». Les travaux de Fray Bernardino, concernant les points communs entre la religion des Aztèques et le christianisme, encouragent à émettre une hypothèse sur le «Satan» qui indignait les religieux espagnols. Ce «Malin» pourrait être l'ex-Patriarche de Constantinople Nestorius, anathématisé par le Concile d'Éphèse en 431.
Les Nestoriens étaient des chrétiens principalement Syriens (5), qui cherchèrent refuge en Perse, puis certains jusqu'en Asie Centrale. Ils missionnèrent même
Les Nestoriens étaient de grands missionnaires. Ils n'étaient pas grecs, mais leur langue religieuse l'était. Les peuples qu'ils convertissaient gardaient leur langue nationale mais se servaient du grec pour leur Liturgie, comme firent les Européens occidentaux avec le latin. En Asie Centrale il y eut des rois, des reines et des princes mongols qui embrassèrent le christianisme grâce aux Nestoriens. Les sympathies de Gengis Khan pour le christianisme sont notoires, et son fils Tului était marié à une sincère nestorienne de la tribu turque des Keraits. De nombreux Turkmènes (Keraits et Cuighours) ont été christianisés par les Nestoriens.
N'est-il
pas permis de spéculer sur des Turkmènes émigrés d'Asie Centrale vers
l'Amérique par le Détroit de Béring, porteurs de vagues notions de
christianisme, transmises par tradition orale. Progressivement, le Rite
chrétien de l'Eucharistie (tu mangera ma chair et tu boira mon sang) a
peut-être été interprété à la lettre, croyant mieux servir Dieu de cette
façon que symboliquement?
L'histoire
de l'Eglise d'Orient ne suffirait pas pour expliquer le «Satan» des Aztèques.
La langue des Turkmènes étant le turc, est-ce une coïncidence que
d'innombrables noms de lieu au Mexique soient encore aujourd'hui suffixés par «tepec»
(mot qui en turc signifie colline) pour désigner des lieux qui sont des tertres
ou même des collines? D'autres noms de lieu, aussi nombreux, sont préfixés par «teo»,
qui en grec(théo) signifie Dieu - les Aztèques étaient très croyants. De
surcroît, TOUT le vocabulaire aztèque qui a un rapport avec des concepts divins
est d'origine grecque. Leurs Temples s'appelaient TEOCALI. En grec TEO = Dieu,
et KALI = hutte. TEOMANIA, qui en grec signifie transport divin, inspiration
divine, signifiait en Mexica CONTEMPLER, MÉDITER, PRIER. En outre, le mot
TEOTOCOS (en grec Mère de Dieu), voulait dire en leur langue : IDOLÂTRE. «Idolâtre»,
parce que suivant le dogme de Nestorius, la Vierge Marie , une
femme mortelle, ne pouvait porter un Dieu dans ses entrailles. C'est après sa
naissance que, d'après les Nestoriens, le Christ, s'unissant au Verbe, devint
Dieu. Par conséquent, Sa Mère n'était pas Théotocos mais Christotocos. Les
Nestoriens étaient subtils, pas Hellènes mais pleins d'hellénisme... Des mots
préfixés uniquement par TEO remplissent trois pages du dictionnaire «Mexica-Castellano»
de Molina, et ils ont TOUS un rapport avec des choses divines. Que l'on me
permette donc de proposer cette hypothèse sur les Ancêtres des Aztèques, n'en
serait-ce que d'une partie, puisque avant de conquérir Tenotchtitlán ils
s'étaient déjà mélangés avec bien d'autres peuples (Toltèques, Tepanèques,
Chichimèques, et autres).
1/. Paul RIVET, LES ORIGINES DE L'HOMME AMERICAIN, Gallimard 1957,
pages 171 à 176.
2/. Augustin Yañez, CRONICAS DE LA CONQUISTA , éditions de la Universidad Nacional
Autonome de México,1950, page 24.
3/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DE LA NUEVA ESPAÑA , Mexico
1946, tome I, pages 148 à 158.
4/. Idem, page 629.
5/. Des «hérétiques» dont l'«hérésie» représentait leur réaction contre
l'oppression nationale que leur faisaient subir les Empereurs byzantins au nom
de l'«Orthodoxie» de leurs Patriarches.
Web : basile-y.com
© 2000 Copie autorisée si sans
modification et si auteur Basile Y. cité
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire