INDIENS ET BARBARES
Le génocide Amérindiens et
la spoliation de leur continent.
BASILE Y. basile-y.com
Partie 02/ 05
I. 2/.
CHRISTOPHE COLOMB ET SA PROUESSE
a) La non-Découverte de
l'Amérique.
«Chaque bataille était une boucherie, et on lâchait les chiens sauvages contre les fugitifs sans défense, destinés à disparaître de ces îles en un peu moins d'une génération. Colomb établit un impôt en or en poudre par tête, et de ceux qui ne pouvaient le payer, il en embarqua 500 pour les vendre en Espagne en esclavage. La plupart en moururent.» (1)
«Cela»
aussi était l'Oeuvre de Christophe Colomb!
Les malheurs des uns font le bonheur des autres,
dit-on. Les malheurs que Colomb porta aux Indiens firent le bonheur de
l'Europe. Cependant, l'Europe n'a pas eu la «reconnaissance du ventre». Aux
terres explorées grâce à sa prouesse elle donna le nom d'un charlatan :
Amerigo Vespucci, espion des Médicis en Espagne, espion des rois d'Espagne au
Portugal, comme on lira au paragraphe «un imposteur donne son nom au continent».
Quant aux citoyens des États Unis, ils monopolisèrent le nom d'Amerigo, pour
être les SEULS à s'appeler «Américains»!
Colomb osa une grande prouesse. C'était une Prouesse,
mais parler de «Découverte»... Colomb OSA ce que les navigateurs de son temps
considéraient être un saut dans le Néant de la «Mer Ténébreuse» comme on
appelait alors l'Océan Atlantique. C'était une grande prouesse, mais la
découverte avait été faite bien avant lui. Elle était même un secret de
polichinelle pour les «cartographes cosmographes» conseillers de Colomb comme
le Florentin Paolo Toscanelli, des hommes d'Europe et d'autres continents
étaient même venus en Amérique depuis des millénaires comme nous l'avons vu au
paragraphe précédent.
Le 12 octobre 19 65 des Italo-Américains provoquèrent un
embouteillage monstre dans les artères principales de New York pour protester
contre un article «sensationnel», une information publiée la veille par le NEW
YORK TIMES pour annoncer une «nouvelle» qui dort pourtant depuis presque un
millénaire dans les caves du Vatican. Près de cinq siècles avant Colomb, des
Vikings avaient colonisé la partie de l'Amérique du Nord qui va du Labrador à la Floride. Ils
appelèrent alors leurs colonies HELULANDIA (terre de roches), MARKLANDIA (terre
de forêts), et celle qui englobait justement New York, ils l'appelèrent
VINLANDIA (terre de vignes), parce qu'ils y avaient trouvé de la vigne
sylvestre. New York a gardé sa «tradition» vigneronne : dans l'État du
même nom on y produit aujourd'hui un honnête vin de table.
Cet article du New York Times qui avait indisposé les Italo-Américains de New York, était une confirmation moderne, consécutive aux récentes découvertes faites par des chercheurs de l'Université de Yale. On peut trouver pourtant dans les archives du Vatican tous les détails sur le fait que des Européens vécurent quatre siècles durant sur les côtes Est du pays que nous appelons aujourd'hui United States of America, du XIme au début du XVme siècle. Cette colonisation avait été faite par des Vikings chrétiens dépendants du diocèse archiépiscopal de Gander, au Groenland. Plus simplement encore que dans les caves du Vatican, on trouve à
«Compte
rendu du Congrès Scientifique International des Catholiques (1891), Sciences
Historiques, 5me section, pages 170-184, Paris 1892.»
Ainsi
qu'un :
«Compte
rendu du Troisième Congrès Scientifique International des Catholiques, l894,
Bruxelles 1895, pages 391-395.»
Dans
ces comptes rendus, on peut lire les rapports faits par le professeur Jelic, du
séminaire de Zara, sur l'Évangélisation de l'Amérique avant Christophe Colomb.
Il y est même spécifié dans les détails comment les colons et missionnaires
Vikings de l'Amérique du Nord envoyaient par l'intermédiaire du diocèse
archiépiscopal de Gander le denier de St. Pierre en nature (en peaux de
bêtes inconnues au Groenland) et qui ne pouvaient provenir que des colonies des
cotes américaines. Avec d'autres produits naturels, en provenance ceux-là de
Groenland, le tout était acheminé par les soins de l'archevêque de Gander vers la Norvège , d'où, convertis
en espèces, leur montant était envoyé à Rome. Les colons Vikings des côtes de
l'Est de l'Amérique du Nord avaient même contribué aux frais de la Cinquième croisade.
C'était cela le secret de polichinelle qui avait contribué à l'assurance des cartographes cosmographes du XVme siècle à situer sur leurs Mappemondes des terres à «découvrir» au-delà de la «Mer Ténébreuse». Que l'Amérique fut découverte et colonisée par des Européens cinq siècles avant Colomb, est aujourd'hui un fait historique incontesté. On objectera que les Vikings n'avaient aucune idée de leur Découverte d'un immense continent. Colomb non plus en mettant le premier les pieds à PARIA. Il ne se doutait pas qu'il foulait un sol continental et non une île, comme il l'avait cru...
Cela dit, il se pose une première question qui est de savoir pourquoi cette colonisation n'a pas eu de suites sur la vie économique de notre continent, alors que l'oeuvre de Colomb bouleversa la vie de l'Europe. Une deuxième question est pourquoi l'exploration de Colomb coûta la vie à des dizaines de millions d'Amérindiens et à 200.000.000 d'Africains, tandis que la colonisation des terribles Vikings ne laissa pas de tels souvenirs?
Pour répondre à ces questions il faut comprendre ce qu'a été
Le même «phénomène» se reproduit donc avec Vasco Da Gama. Parti à son heure pour faire le tour de l'Afrique, ses résultats furent différents de ceux de ses prédécesseurs phéniciens. Ceux-ci partirent pour le compte du Pharaon Necho (609-598) de
1/. F.A.Kirkpatrick, LOS CONQUISTADORES ESPAÑOLES, Madrid 1960, page
26.
2/. Edgar Prestage, DIE PORTUGESISCHEN ENTDECKER, Goldmans Verlag,
Munich, page 159. Traduit de l'anglais, titre original THE PORTUGUESE PIONEERS.
b) Faire fortune à tout prix.
Après ce long intermède revenons à Colomb pour parler
de ses commanditaires. On a souvent parlé à tors de la Reine Isabel la Catholique mettant ses
bijoux au «clou» pour obtenir les fonds nécessaires au financement de
l'expédition. Cette légende ne peut effacer cependant, l'histoire, les noms, et
la nature de ceux qui financèrent le premier voyage de Colomb. C'était des
personnes en chair et en os que ceux qui risquèrent leur argent, espérant en
retours s'enrichir même au prix de massacres. C'est au bout de sept ans que la Reine Isabel fut
convaincue par son entourage que l'entreprise proposée par Colornb
n'était pas une Chimère. Isabel la Catholique proposa alors à son Fermier Général,
le richissime Luis de Santangel, de mettre ses bijoux en gage pour financer
l'aventure «vers les Indes», ce qui créa cette légende. Son Fermier Général lui
répond cependant :
«Il
n'est pas nécessaire, Sérénissime Altesse, que Vous donniez Vos bijoux en gage.
Il sera très petit le service que je rendrais à Votre Altesse en lui prêtant de
ma caisse personnelle 1.000.000.» (1)
La
somme offerte par de Santangel ne comblant que les deux tiers des frais prévus
pour l'expédition, le troisième tiers (500.000 maravedis) fut avancé par les
armateurs «Los Pinzones», comme on appelait les frères Pinzon de Palos, qui
prirent personnellement part à l'aventure également dans l'espoir de
s'enrichir. Isabel était surtout intéressée à étendre «aux Indes» l'emprise du
christianisme, alors que Colomb, de Santangel et «Los Pinzones» n'avaient que
des objectifs d'enrichissement personnel. Dans une de ses lettres aux rois
catholiques, émouvante de sincérité, Colomb explique son comportement criminel
envers les Indiens - récompense de leur cordiale hospitalité pour laquelle il
ne tarit pas d'éloges dans son livre de bord :
«Je
jure de nouveau», leur écrit-il, «que j'ai mis davantage de diligence à servir
Vos Altesses qu'à mériter le Paradis.» (2)
Il
était arrivé au Nouveau Monde le 12 octobre 14 92 pour constater que les Indiens
étaient des personnes «dociles et aimables, pacifiques et sans convoitise,
aimant leur prochain comme eux-mêmes» (3). Cependant, le
jour suivant son arrivée, dans une autre lettre aux rois catholiques, il montre
sa «diligence à les servir» par la hantise de l'OR qui s'empare de lui.
Il le cherche avec exaltation; il montre à tout indigène des échantillons d'or
pour leur demander par des signes où on en trouve. Il n'avait pas pris le temps
de méditer sur la grandiose prouesse qu'il avait accomplie, et le 15 du mois de
son arrivée il écrivait déjà aux rois catholiques :
«à
l'aide de Notre Seigneur, je ne manquerai pas de découvrir le lieu où il se
trouve(l'or). (4)
L'essentiel
était de savoir que l'or existait en ces lieux. Pour se le procurer, rien de
plus facile en «christianiserait» les Indiens pour en faire de «dociles
serviteurs», comme il les appela, pour leur faire arracher cet or aux
entrailles de la terre ou recueillir dans les cours d'eau. Ce fut pour cela
que, arrivé le 12 octobre au Nouveau Monde, dès le 13 on remarque déjà dans
toutes ses lettres quotidiennes comment la fièvre de l'or s'empare de lui, sans
jamais oublier, en pieux chrétien (!?), de faire de Dieu son complice dans sa
besogne de chercheur d'or. Pour gagner cet or il fallait des esclaves, soit! on
fera la chasse à l'homme. C'est pour cela, qu'à propos d'esclavage au bénéfice
de l'industrialisation de l'Europe, on peut dire catégoriquement que Colomb fut
le premier esclavagiste, le PIONNIER de la mise en esclavage des Indiens du
Nouveau Monde. Deux jours après son arrivée chez les «dociles et pacifiques»,
comme il les appela, il écrit aux rois catholiques :
«Quand
Vos Altesses en donneront l'ordre on pourra les amener tous en Castille ou les
garder ici à l'Ile (l'Ile de La
Española ) en esclavage. Car avec cinquante hommes on pourra
les tenir subjugués tous et en faire ce que l'on voudra.» (5)
2/. Idem, tome II, page 27.
3/. Idem, tome I, page 204.
4/. Cristobal Colón, LOS CUATRO VIAJES DEL ALMIRANTE Y SU TESTAMENTO,
éd. Espasa-Calpe, Madrid 1971, page 36.
5/. Idem, page 33.
c) Les crimes et le
châtiment.
Il avait donc raison, Las Casas, de les appeler «douces
brebis» puisque avec «cinquante hommes» on garderait «subjugué» tout un peuple,
évalué par Colomb lui-même à plus d'un million. En homme qui avait de la suite
dans les idées,
«Colomb
envoya souvent un grand nombre d'Indiens à vendre comme esclaves en Espagne. En
février 1495, par exemple, quelques 500 esclaves d'un âge allant de 12 à 35
ans, et en juin de la même année 300 autres.» (1)
C'était
sa façon de répondre à la cordiale hospitalité que des hommes «aimables et sans
convoitises» avaient réservée à son arrivée (comme on lira au chapitre «L'accueil fait à l'homme blanc par les
Indiens »). On cherche toujours à excuser si non à justifier l'oeuvre
des tueurs d'Indiens, de Noirs et autres «sauvages» avec l'argument de
l'anachronisme de la critique. Cependant, les Indiens et leurs amis peuvent-ils
pardonner Colomb alors qu'il dépassa même les méthodes nazis? Rappelons nous
des otages exécutés en représailles pour la mort d'un soldat allemand exécuté
par la Résistance !
Colomb mit en pratique cette méthode dès son deuxième voyage au Nouveau Monde.
Il inaugura ainsi les cruautés des conquistadores, comme il avait inauguré la
mise en esclavage des Indiens. En avril 1494, son lieutenant Alonso de Hojeda -
devenu par la suite un de ses pires ennemis - lui avait envoyé, enchaînés, le
cacique d'une tribu voisine, ainsi que son frère et son neveu. L'accusation
était que ce cacique n'avait pas puni les Indiens qui auraient volé des
vêtements à des Espagnols. Colomb, sans même s'assurer du bien fondé de l'accusation,
les fit décapiter tous les trois. Il n'avait pas fait cela pour le même motif
que les Nazis, non parce qu'on avait tué un soldat allemand, mais à cause d'un
supposé «vol de vêtements». Las Casas, biographe de Colomb, fait passer
son amour de la Justice
avant son admiration pour son héros, en écrivant au sujet de
ce triple assassinat d'innocents,
«Ce
fut la première injustice commise contre les Indiens, et le commencement d'une
effusion de sang qui fut versée si copieusement par la suite.» (2)
Colomb,
premier esclavagiste chez les Indiens, premier pour y commettre une injustice,
premier pour l'effusion de sang d'innocents, écrit Las Casas. Ajoutons avec
Juan Collier, premier aussi pour l'extorsion de tributs insupportables, pillage
qu'il fut le premier à institutionnaliser :
«Il
imposa aux individus à partir de 14 ans, aux familles, aux communautés et aux
districts des tributs qui auraient été terribles pour n'importe quel genre
d'habitants. Pour ces indigènes des Indes Occidentales, non habitués à
travailler plus que l'indispensable pour leur genre de vie 'gentille et
allègre', la charge résulta intolérable.» (3)
Tout
cela était dans l'ordre des choses, car ni Colomb ni les conquistadores
n'allèrent au Nouveau Monde pour y porter le christianisme ou la civilisation.
Leur seul aiguillon était le pillage. Cependant, la Justice fut immanente!
Tous les beaux rêves de Colomb se terminèrent pour lui par sa fin lamentable,
sur la paille, humilié et criblé de dettes. Dans quel état
d'âme a-t-il dû se trouver lorsque le gouverneur de 1'île La Española , Nicolas de
Ovando, lui refusa l'asile sur cette île, à lui et à ses hommes naufragés.
Colomb, qui avait découvert cette île, s'en voyait refuser l'accès après une
dizaine d'années par le fonctionnaire d'une Couronne qu'il avait comblée. Il
aurait dû faire alors une comparaison entre la conduite
inhumaine d'Ovando envers des naufragés de ses compatriotes et l'hospitalité
cordiale dont il avait joui, lui et son équipage, de la part du roi indien
Guacanagarí, en circonstance similaire (4). S'il avait eu
l'idée de faire cette comparaison, il se serait peut-être fait Indien au lieu
de retourner en cette Europe des Nicolas de Ovando. Il aurait ainsi fait comme
Gonzalo Guerrero (voir au chapitre « L'accueil fait à l'homme blanc par les
Indiens ») pour l'absolution de ses péchés.
Il mourut le
Son
dernier voyage aux terres qu'il avait explorées, le conduisit à la Martinique en mi-juin
l502, et dura deux ans et demi d'explorations. Ce furent trente mois
d'infortunés naufrages, rébellions de ses marins, famines et épidémies. Tout
ceci durant des pérégrinations entre îles antillaises et continent Sud, à la
recherche d'or et de perles, dans l'espoir de financer une petite folie :
il voulait aller «libérer le Tombeau du Seigneur», c'est à dire remettre cela
avec les croisades! Il faut croire que le Seigneur ne voulut pas que l'on
recommence à massacrer des «Indiens» en Palestine en Son Nom (5). Le seul côté
un peu sympathique de son personnage fut ce côté Don Quichotte!
2/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome I, page 380. Retour ^
3/. Juan Collier, LOS INDIOS DE LAS AMERICAS, éd. FCE, Mexico 1960,
page 99. Retour ^
4/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome I, pages 276 à 279. Retour ^
5/. Avant d'entreprendre ce dernier voyage, Colomb s'était adonné à un
véritable mysticisme. Il composa même un livre, intitulé LE LIVRE DES
PROPHÉTIES.
d) Un imposteur donne son nom
au continent
Le mot AMERIQUE lui-même fut une escroquerie
intellectuelle majeure du XVIme siècle, donnant le nom d'un imposteur et espion
à deux continents. Sur le Continent au Nord de Panamá, le premier explorateur
qui. marchant sur les pas de Colomb, y mit les pieds, fut l'Italien Giovani
Cabotto, en 1497, pour le compte du roi d'Angleterre («John Cabot» pour
les écoliers anglais...). Sur le continent au Sud de Panamá le premier qui
arriva aux côtes de PARIA fut Christophe Colomb, en 1498. Mais ni l'un ni
l'autre de ces deux continents s'appelèrent du nom de leurs explorateurs. Cette
escroquerie se produisit parce que Colomb après son troisième voyage
outre-atlantique de 1498, habitué durant six ans d'explorations des Antilles à
ne rencontrer que des îles, appela Isla de Gracia les cotes Nord du
continent Sud des Amériques, que ses aborigènes appelaient PARIA et qui fait
aujourd'hui partie du Venezuela. Ayant découvert ces nouvelles terres,
continentales, Colomb les cartographia et envoya ces cartes le 10 août 14 98 aux
rois catholiques. Leurs Majestés les remirent au président du Conseil des Indes
Fonseca (un ennemi de Colomb), qui s'empressa à son tour de les
communiquer à son favori le conquistador Hojeda, alors en Espagne. Hojeda ne
perdit aucun temps. Appuyé par Fonseca il trouva des commanditaires qui
financèrent quatre caravelles qui larguèrent les voiles en mai 1499 (un
an après que Colomb ait «pris possession» de Paria «au nom de
Leurs Catholiques Majestés») en emportant à leur bord Ameriggo Vespucci.
Après avoir reconnu les terres cartographiés par Colomb, ils poussèrent 200
lieux plus loin vers le Sud, et retournèrent triomphants en Espagne avec un
butin de 220 esclaves pris à la chasse à l'homme, de l'or, des perles, ainsi
qu'un manuscrit en latin d'Ameriggo Vespucci, intitulé NOVUS ORBIS :
Nouveau Monde. (1)
Ayant été écrit en latin, «lingua franca», langue internationale d'alors en Europe, ce manuscrit se propagea sur tout le continent européen assoiffé de nouvelles des «Indes», comme appelaient alors les Espagnols ce que nous appelons aujourd'hui Amérique. Parmi les premiers lecteurs de Novus Orbis se trouva un allemand, un certain Waldseemüller (2) qui, se basant sur les manipulations de dates du faussaire Ameriggo prétendant que son voyage avait eu lieu en 1497 (un an avant celui de Colomb), proposa qu'on appelât désormais ces terres AMERICA, ce qui fut fait par les Européens au Nord des Pyrénées. Les Espagnols continuèrent à appeler leurs colonies LAS INDIAS.
Qui était l'imposteur Florentin Ameriggo Vespucci ? D'après l'historien anglais Edgar Prestage, se référant aux travaux du professeur italien Magnaghi, Ameriggo aurait été un espion des Médicis chez les Espagnols, tout en espionnant les Portugais pour le compte des rois d'Espagne. A cette époque les espions se cachaient dans la peau de marchands (Ameriggo était un marchand d'épices) comme ils se cachent parfois aujourd'hui dans celle de diplomates.
1/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo
de Cultura Económica, Mexico 1951, tome II, pages 36-39, 115-120, 134, 140-142,
213, 374.
2/. Il avait latinisé son nom en Hylacomylus.
«Il
(le roi d'une île que visita Colomb) me dit que s'il y avait ici quelque chose
qui me plaisait, toute l'île était à ma disposition.» (1)
On
lit cela dans le journal de bord de Colomb, du 18 décembre de l'année de son
arrivée aux Antilles. Le 30 du même mois, invité par le roi d'une autre île, il
fut reçu dans une telle ambiance de cordiale hospitalité que ce
roi enleva de sa tête sa couronne pour la poser sur celle de son hôte (2). En pleine
euphorie! C'est cela qui fit écrire au vainqueur de la «Mer Ténébreuse» aux
rois catholiques :
«Ce sont des gens très aimables et sans convoitises. Je certifie
à Vos Altesses qu'il n'y a pas au Monde de meilleurs gens. Ils aiment leur
prochain comme eux-mêmes et ont de très bonnes moeurs.» (3)
Ce
qui n'empêcha nos barbares Européens de salir leur mémoire, après les avoir
exterminés, les traitant de «sodomites» et de «voleurs». Dans une lettre
adressée par Colomb à ses souverains on peut lire que :
«Ces gens-là sont si dociles et
pacifiques qu'il n'existe pas de meilleure nation au Monde. Ils aiment leur
prochain, et leur langage est toujours doux et accompagné de
sourire. Ils doivent être de bons serviteurs; intelligents, je crois, car ils
répètent très vite tout ce que je leur dis.» (4)
Quand,
ils virent arriver Colomb et ses compagnons à Guanahaní (5), ils les prirent
pour des hommes descendus du ciel, dans le sens propre du mot. Ils se criaient
de hutte en hutte : «Venez voir les hommes qui
descendent du ciel. Apportez-leur à manger et à boire» (6), et
«Beaucoup
d'hommes et de femmes allèrent leur portant chacun ce qu'ils avaient, se jetant
au sol et levant les mains au ciel. D'autres allaient vers les «maisons qui
vont sur l'eau» porter des perroquets, des pelotes de coton
filé et autres choses.» (7)
Ils
ne connaissaient d'autres armes que des petites fléchettes armées d'arêtes de
poissons, juste bonnes pour la chasse au petit gibier et la pêche. Les
habitants de Guanahaní vivaient sans travailler plus que chasser, pêcher ou
cueillir des fruits pour leur subsistance. En les mettant au travail forcé on
les anéantit totalement. On les mit d'abord au travail pour déboiser, afin de
faire des plantations de coton pour l'Europe. Résultat du déboisement? Les
vents desséchèrent le sol, et cette île est aujourd'hui un DÉSERT! Un phare
très puissant - le progrès! - la domine maintenant, éclairant les marins à une
distance de 34 km .
Pauvre Guanahaní! Pauvres Lacayos! «Douces brebis» comme les appelait Las
Casas. Guanahaní, appelée San Salvador par Colomb, fut re-débaptisée par
les Anglais (quand ils en chassèrent les Espagnols) en Watlings Island. À quand
le pèlerinage à l'ex-Eden des Lacayos devenu le désert Watlings Island? Des
pèlerinages avec de grandes banderoles portant l'inscription : «Le
Ventre de l'homme blanc reconnaissant à Christophe Colomb». Mais qu'importe
le désert puisque nous avons donné à cette île des noms civilisés? Comment
peut-on s'appeler Ganahaní? «Comment peut-on être Persan?»
Partout les Indiens reçurent de la même façon les premières arrivées d'«hommes blancs barbus». Sur les côtes nord d'Amérique du Sud par exemple, quand en 1498 Colomb
«se
dirigeant vers l'Équateur pour découvrir des régions aurifères, il arriva au
Golfe PARIA dont les habitants portèrent aux étrangers des aliments et des
perles en abondance.» (8)
Plus
au sud, quand les Portugais posèrent pied pour la première fois sur la terre
qu'ils appelèrent Brasil - avec l'expédition Cabrai - «...que
les marins portugais cherchent du bois ou qu'ils lavent leur linge,
immédiatement le petit peuple basané offrait son aide» (9). Tout comme au
Brésil, les Peaux-Rouges d'Amérique du Nord sauvèrent souvent du froid et de la
faim les Anglo-Saxons nouvellement arrivés, en leur donnant des conseils pour
la pêche et la chasse et en les réconfortant de ce dont ils avaient, ainsi
qu'en les aidant à se construire des cabanes propres à hiverner : «Plus
d'une fois une colonie anglaise fut sauvée de la mort parce
qu'elle fut approvisionnée à temps par des tribus voisines d'Indiens» (10). On lira au
chapitre du «Dragon Anglo» comment les descendants directs de ces
Anglo-Saxons témoignèrent leur reconnaissance envers les descendants des
bienfaiteurs de leurs ancêtres. Il en fut ainsi partout, tant en Amérique du
Sud que du Nord. Cet accueil cordial ne fut pas le fait que de
tribus et de roitelets. Que ce soit chez l'Inca Atahualpa au Pérou ou chez le
Tlatoani (11)
Moctezuma des Aztèques, partout l'homme blanc fut reçu chaleureusement.
Moctezuma,
maître d'un grand Empire, avait comblé les conquistadores à leur arrivée sur
ses terres. Chez les Mexicains précolombiens, il y avait une légende très
populaire de «Dieux Barbus» qui auraient visité jadis leur pays venant «du
côté où se lève le soleil» et seraient repartis en promettant de revenir un
jour. S'agissait-il d'un des contacts évoqués au chapitre « Les Amérindiens
précolombiens : Apports à l'Europe, origine et religion » ou au
chapitre
«
Christophe Colomb et sa prouesse : La
non-Découverte de l'Amérique »? Quand les Mexicains virent donc pour
la première fois les conquistadores, ils s'écrièrent : «voici nos Teules revenus » (12)
Lorsque les hommes de Cortés se pavanèrent sur la plage, montés sur leurs chevaux, ils furent pris pour des «Teules» centauriens (13), des divinités formant homme et bête en un seul corps. Les ambassadeurs de Moctezuma qui vinrent leur souhaiter la bienvenue en les comblant d'offrandes en or, cotonnades, perles fines et divers objets d'art, se prosternèrent devant eux, leur brûlant de l'encens comme ils avaient coutume de le faire pour leurs dieux. Lorsque Cortés fit tirer quelques coups de bombardes pour les impressionner, ils se couchèrent au sol paniqués, croyant que les «dieux» qui venaient d'arriver faisaient du tonnerre. Sahagún su le mieux nous décrire l'état d'âme et l'émotion du Tlatoani des Aztèques, quand il se trouva face à Cortés, lui disant :
«Oh,
notre seigneur! Soyez le très bienvenu. Vous êtes arrivés sur vos terres, chez
votre peuple, chez vous au Mexique (...). Je ne suis pas en train de rêver, je
vois votre face et votre personne. Vous êtes sorti des nuées et du brouillard,
lieux qui nous sont cachés à nous mortels (...). Soyez les
bienvenus, reposez-vous maintenant en ces palais qui sont les vôtres.» (14)
Pour
Moctezuma, Cortés était son dieu Quetzalcoatl, le Messie dont ils attendaient
le retour. Lui-même ne se croyait que l'incarnation passagère de Quetzalcoatl,
tandis que Cortés était à ses yeux son Dieu en chair et en os. D'après le
recueil de manuscrits indigènes datant de la conquista et connus sous le nom de
«Codice Ramirez», à l'arrivée de Cortés à Mexico,
«Les
Indiens s'agenouillaient et les adoraient comme des fils du Soleil, leur dieu,
et disaient que le temps prédit souvent par leur empereur Netzahualpitzintli
était arrivé. C'est ainsi qu'ils (les conquistadores)
entrèrent se reposer dans le palais impérial.» (15)
Dans
un autre manuscrit indigène, connu sous le nom de «Anonimo de Tlatelolco»,
et dont l'original se trouve à. la Bibliothèque Nationale
de France, revient plusieurs fois l'expression «écoute Dieu» à l'adresse
de Cortés, de la part de caciques vassaux de Moctezuma (16).
On doit ici une explication au lecteur qui se posera avec raison la question de savoir comment Mexicains et Espagnols pouvaient se comprendre. Cela vaut donc la peine d'ouvrir une parenthèse sur la question des interprètes, qui est également caractéristique de l'accueil fait en général par les Indiens à l'homme blanc. Les communications inter langues se firent par le truchement de deux interprètes : un Espagnol, Jeronimo de Aguilar, parlant le maya et une Indienne nommée Malinche parlant sa langue maternelle le náhuatl, qui était celle des Mexicains, et également le maya. Ainsi Malinche traduisait à Aguilar du náhuatl au maya, et lui du maya à l'espagnol.
Ce
qui est intéressant est comment Aguilar apprit le maya. Naufragé sur les côtes
de Yucatan quelques années avant l'arrivée de Cortés Mexique, avec quelques
autres Espagnols «captifs», ils furent répartis entre différentes tribus. Quand
Cortés arriva le long des côtes de l'Empire de Moctezuma, son armada rencontra
une embarcation montée par des indigènes. À la surprise générale, un «Indien»
de l'embarcation, qui n'était autre que Aguilar, parlait espagnol. Grandes
embrassades, et Aguilar heureux de se retrouver avec des compatriotes. Il leur
demanda d'aller voir un de ses compagnons, captif comme lui à quatre lieux de
la côte, pour lui demander de les rejoindre également. Le «captif» en
question(Gonzalo Guerrero), d'«esclave» devenu cacique de sa tribu, marié à une
Indienne et père de trois enfants, refusa de suivre Aguilar, préférant rester
au sein de sa famille indienne et à la tète de ceux qui le
nommèrent cacique. (17)
Gonzalo
Guerrero fut un parangon de l'Éthique
Las Casas. Il s'était fait indien et avait mit au service des Indiens ses
talents militaires, en se battant jusqu'à la mort à leur tète contre ses
propres compatriotes. Ce que fit le Père Las Casas avec sa plume, Gonzalo
Guerrero le fit avec son épée. Ce qui fait honneur à l'Espagne est qu'il ne fut
pas le seul Espagnol à avoir embrassé la noble cause de la défense de l'agressé
contre les agresseurs, de l'opprimé contre les oppresseurs. Contrairement à
Guerrero, Aguilar se fit complice de Cortés, l'ingrat! Avec
Aguilar et Malinche (18)
Cortés, en mettant pour la première fois les pieds sur la côte du Mexique,
n'était pas armé que de bombardes, d'espingoles et de lourdes épées. Il était
également muni de l'aide précieuse de deux interprètes pour lui traduire le
culte de sa déification.
Cette
déification des conquistadores à leur arrivée au Mexique se reproduisit plus
tard au Pérou. Selon la mythologie inca, un Inca rêva une nuit d'un homme qui «avait
de la barbe au visage, à la différence des Indiens qui sont généralement
imberbes, et était vêtu jusqu'aux pieds, au contraire des Indiens qui ne sont
habillés que jusqu'aux genoux. C'est à cause de cela qu'ils appelèrent «Viracocha» les premiers Espagnols arrivés au Pérou.» (19)
Ayant
vu arriver Pizarro et ses hommes, ils les prirent pour leur Dieu Viracocha et
sa suite. C'est comme Dieux que les Indiens accueillirent partout nos barbares
Européens qui se comportèrent, eux, en tout lieu, comme de vulgaires brigands
de grands chemins. Comme s'ils n'étaient pas des êtres humains ceux qui
habitaient ces terres, qui portaient des noms bien à elles, on appela les violations
de domicile d'autrui Nouvelle Espagne, Nouvelle Angleterre, Nouvelle
Ecosse, Nouvelle France, Nouvelle Amsterdam.
L'amabilité,
le gentillesse, l'hospitalité et l'esprit de solidarité qu'avaient témoignés
les habitants du Nouveau Monde aux «hôtes», du Sud comme du Nord de cet immense
continent, sont un terrible acte d'accusation contre notre civilisation dans
son ensemble, et non contre telle ou telle nation européenne en particulier.
Nous sommes tous des Barbares, malgré notre «Présomption d'être civilisés»
comme écrivait Bernardino de Sahagún, confirmé par le grand Montaigne.
1/. Christophe Colomb, LOS CUATRO VIAJES DEL
ALMIRANTE Y SU TESTAMENTO, éd. Espasa-Calpe, Madrid 1971, page 95.
2/. Idem, page 104.
3/. Idem, page 109.
4/. Cité par Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura
Económica, Mexico 1951, tome I, page 204.
5/. C'est là que Colomb mit pour la première fois pied à terre en
arrivant au Nouveau Monde.
6/. Christophe Colomb, LOS CUATRO VIAJES DEL ALMIRANTE Y SU TESTAMENTO,
éd. Espasa-Calpe, Madrid 1971, page 33, journal de bord du 14/10/1492.
7/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome I, page 208.
8/. Rafael M.Granados, HISTORIA DE COLOMBIA, Medellin 1953, page 73.
9/. Edgar Prestage, DIE PORTUGESISCHEN ENTDECKER, Goldmans Verlag,
Munich, page 153. Traduit de l'anglais, titre original THE PORTUGUESE PIONEERS.
10/. Charles & Mary Beard, A BASIC HISTORY OF THE UNITED STATES,
éditions The New Home Library, Philadelphie 1944, page 25.
11/. TLATOANI, chef de la Confédération de tribus mexicaines sous
l'hégémonie des Aztèques.
12/. TEULES, prononcer téoulés, qui en leur langue signifiait «dieux».
13/. On ne connaissait en Amérique ni chevaux, ni ânes, ni moutons, ni
chèvres. ll y avait par contre d'autres animaux inconnus Europe, tels que le
lama, le bison, la dinde, etc. Cependant, la faune dans son ensemble était plus
pauvre que de ce côté de l'Atlantique.
14/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DE LA NUEVA ESPAÑA , Mexico
1946, tome III, pages 41 à 42.
15/. RELACIONES INDIGENAS DE LA CONQUISTA , éd. UNAM, Mexico 1959, page 71.
16/. Idem, page 163.
17/. Bernal Díaz del Castillo, HISTORIA VERDADERA DE LA CONQUISTA DE LA NUEVA ESPAÑA , Mexico
1955, page 59.
18/. MALINCHE est aujourd'hui au Mexique un péjoratif désignant un
Mexicain au service de l'étranger. En France nous dirions un «collabo».
19/. Garcilaso de La Vega ,
COMENTARIOS REALES, Livre IV, page 378.
a) Origine et moeurs.
«Hernando de Soto était vraiment un caballero, et peut-être l'unique coeur noble parmi les cent soixante dix Espagnols qui firent prisonnier le Fils du Soleil.» (1)
Le
jugement porté ci haut sur ces hommes par le poète national du Pérou vaut pour
l'ensemble des conquistadores, parmi lesquels les «caballeros» étaient une
variété rarissime. Pourquoi? Espagnols, Hispaniques et hispanistes sont tous
d'accord sur le fait que ce sont les huit siècles d'occupation arabe de la Péninsule qui
façonnèrent ces hommes. Cependant, là où tout le monde n'est plus d'accord,
c'est sur le COMMENT cette occupation arabe influença leur esprit. Pour les
uns, les Arabes sont coupables d'avoir importé en Espagne des moeurs de
brigandage : le traditionnel narcissisme européen. Pour les hommes qui
envisagent ce problème objectivement, la répercussion de l'occupation arabe fut
d'un tout autre ordre. Salvador de Madariaga, qui, tout en analysant la
mentalité conquistador d'un point de vue espagnol, est tout de même assez
objectif pour définir honnêtement les circonstances dans lesquelles s'est
forgée l'Éthique conquistador, le fait de façon admirablement claire :
«Pendant
sept siècles, l'unique profession qu'un Espagnol viril croyait correspondre à
sa dignité, était la lutte contre l'infidèle. Cependant, cette lutte contre les
Maures n'était pas seulement une croisade religieuse, mais aussi une profession
économique. Il n'y avait pas de Hidalgo plus riche d'orgueil que d'avoirs, qui
ne susse qu'au delà de la colline voisine, à deux, dix, ou vingt lieux de sa
terre sèche et avare, existaient des domaines et des villes maures qu'il
pouvait 'gagner' en se lançant simplement par une 'Entrada'(pénétration par
assaut), se faisant d'un seul coup riche propriétaire foncier, et, par là,
membre de la noblesse. L'épopée du Cantar de Mio Cid est un fidèle reflet de
cet aspect économique de la croisade séculaire. Exilé et pauvre, le Cid
conquiert Valencia et devient riche.» (2)
C'est
exactement ce que fit au Mexique le héros de Madariaga, Cortés. Comme le Cid,
de truand-sans-terre-et-sans-feu, Cortés devint par son «Entrada» Marquis Del
Valle et seigneur de 23.000 vassaux.
Ces «Entradas» de la «Reconquista» (3) se répétèrent tout du long de
«Nous
les avons assaillis par surprise, épée en main, car s'ils avaient été prévenus
de notre arrivée nous n'aurions pas trouvé tant d'or et tant de pierres
précieuses.» (4)
C'était
cela le comportement hérité du Cid. Pas celui de Corneille à l'âme bien
née, emprunté au folklore espagnol, mais le vrai, l'historique, celui de
l'impitoyable Clio (muse de l'Histoire), démolisseuse des charmants rêves de Polymnie(muse de la poésie lyrique). Les ENTRADAS qu'on avait
coutume de faire chez les «Infidèles» on les continua chez les «sauvages».
Comme écrit historien espagnol Americo CASTRO (5)
«Les
coutumes du peuple errant (les Hidalgos) contractées durant la Reconquista possaient
les Espagnols à profiter de la richesse minière et agricole des Indes
(occidentales), en exploitant le travail des indigènes comme (on faisait) jadis
dans les royaumes chrétiens (des Espagnes) du labeur des
Maures et des Maurisques (6).»
Aux
analyses de Madariaga et de Castro il conviendrait d'ajouter
une autre explication : la mentalité conquistador plonge autant ses
racines dans l'ambiance hors-la-loi qui régna dans la Péninsule pendant deux
siècles avant l'arrivée des Arabes. Cette ambiance ne fit son apparition
qu'avec l'invasion des Wisigoths apportant des moeurs inconnues avant leur
arrivée.
Les Wisigoths ne connaissaient pas la monarchie héréditaire. Cela faisait de la confrérie des chefs militaires un vrai «Panier de Crabes». A la mort de leur roi, assassiné la plupart des temps, on élisait un nouveau souverain (comme chez les Francs avant Clovis) sans se préoccuper de son ascendance - il n'y avait que la valeur militaire qui comptait. Tout grand militaire qui ambitionnait à ceindre la couronne n'avait qu'à se conformer à la loi de la jungle. S'il y réussissait, il était couronné roi. S'il y échouait, le sort qui lui était réservé était celui d'
«Argimundo,
qui aspirait à ceindre la
Couronne , subit l'affront ignominieux d'être promené à
travers les rues de Toledo monté sur un âne, avec la tête tondue et la main
droite coupée, exposé aux railleries de la plèbe. Après quoi
il fut condamné à mort.» (7)
C'était
les moeurs qui régnaient alors au pays qu'on appelle aujourd'hui Espagne. Ces
moeurs ne les empêchaient d'ailleurs pas d'être de pieux bâtisseurs de
Cathédrales. On n'a jamais demandé au bon Dieu s'il n'aurait pas préféré les
huttes d'Indiens aux Cathédrales gothiques, construites toujours avec l'arrière
pensée de Lui demander quelque chose en échange : gagner une bataille par
exemple...
Voyons
maintenant une préfiguration, en Espagne, de ce qui se passa plus tard en
Amérique entre conquistadores, en matière de «Panier de Crabes». Le dernier des
rois wisigoths fut Rodrigo. Il périt dans les eaux de Guadalete en se battant
vaillamment (comme un roi wisigoth) contre les armées arabes; des Arabes
appelés en Espagne par le comte wisigoth Julián et l'évêque également wisigoth
Opas, parents du roi détrôné Witiza, que Rodrigo avait renversé en lui crevant
les yeux, imitant en cela sa victime qui était montée sur le
trône en crevant les yeux de son prédécesseur, le roi wisigoth Teodotredo (8), Père de
Rodrigo. Une vraie histoire de Wisigoths...
Ce fut cette atmosphère traditionnelle qui couva la gente conquistadore, atmosphère à laquelle surent échapper des grands rois tels que Fernando III (San Fernando), le savant roi Alfonso X (Alphonse le Sage), ainsi que la grande reine Isabel
Au diable la noblesse de naissance; encore moins la noblesse du Savoir. Il n'y avait que la noblesse de l'épée et du poignard qui comptait. L'Estrémadure, la patrie de Francisco Pizarro, qui fut une pépinière de conquistadores, était la province la plus déshéritée des Espagnes d'alors, mais pas la plus pauvres en «Capitanes de
«qu'elles
veuillent pardonner les délits des malfaiteurs à condition qu'ils viennent
servir en cette Ile (La
Española ) sous les ordres de l'Amiral (Colomb)...qu'elles
usent de clémence envers toute personne, hommes et femmes, délinquants ayant
commis n'importe quel crime, mortel ou de blessure...» (10)
1/. Ricardo Palma, TRADICIONES PERUANAS COMPLETAS, Madrid 1961, page
10.
2/. Salvador de Madariaga, HERNÁN CORTÉS, Buenos Aires 1958, page 146.
3/. RECONQUISTA : on appela «reconquête» la guerre que des Espagnols
chrétiens firent aux Espagnols musulmans, pour les chasser d'une terre qu'ils
n'occupaient pas à moindre titre que les Wisigoths, autant envahisseurs de
l'Espagne que les Arabes...
4/. Pedro Pizarro cité par William H.Prescott dans THE COMPLETE WORKS,
London 1896, volume V. page 288.
5/. REALIDAD HISTORICA DE ESPAÑA, Editorial Porrua, Mexico 1966, page
301.
6/. On appelait «Moriscos» les Espagnols musulmans restés chez eux
après l'expulsion de leurs coreligionnaires par Felipe III (destructeur avec
cette expulsion de l'agriculture et du commerce espagnols) en acceptant de se
convertir au christianisme.
7/. Modesto Lafuente, HISTORIA GENERAL DE ESPAÑA, Barcelone 1887, tome
II, page53.
8/. Idem, page 83.
9/. Ce que firent d'ailleurs TOUS les colonialistes d'Europe,
particulièrement en Australie et en Nouvelle Angleterre.
10/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome I, page 437.
b) Combats fratricides.
Voici maintenant un petit résumé des moeurs que fit
régner dans la colonie la gent conquistadore : le gouverneur Pedrarias fit
trancher la tête de son gendre et néanmoins rival en banditisme, Vasco Nuñez de
Balboa. Celui-ci avait pourtant été le premier européen à mouiller ses bottes
sur la rive occidentale de Panamá, prenant ainsi «possession» de l'Océan
Pacifique (appelé alors «mer du sud» ) au nom de Leurs Catholiques Majestés.
Malgré «avoir fait couper la tête de son gendre l'Adelantado Vasco Nuñez de
Balboa» (1),
Pedrarias alla certainement embrasser sa fille et ses petits enfants, devenus
orphelins par les Hautes Oeuvres de Pépé, un pépère octogénaire!!
Au même moment, plus au Nord, Cortés investissait
Les cas au cours desquels les conquistadores se firent la guerre comme les roitelets des Espagnes se la faisaient du temps des Wisigoths, en s'alliant à des roitelets arabes de
«Cristobal
de Tapía, envoyé comme gouverneur et juge enquêteur, n'a pu remplir ses
fonctions à cause de l'opposition qu'il rencontra chez les conquistadores, qui,
à la fin, le chassèrent du pays. L'envoi de l'inspecteur Luis Ponce n'eut pas
plus de résultats car la mort l'emporta à peine arrivé à Mexico, et beaucoup
affirmaient que c'est à un crime de Cortés que devait être attribué un aussi
funeste évènement. Le même soupçon naquit suite à la mort subite du gouverneur
de Pánuco, Francisco de Garay. Le successeur de Luis Ponce,
Marcos de Aguilar ne lui survécu pas longtemps non plus. Ce concours de
circonstances, provoqué à dessein pour détruire tous ceux qui auraient pu
porter ombrage à l'autorité de Cortés, semblait étrange.» (3)
Un
vrai Panier de Crabes, sur le modèle wisigoth! Ponce de León, célèbre par ses
massacres à Puerto Rico, de Garay, calamité des Indiens de Pánuco par sa chasse
à l'homme, Cortés, coupeur de mains d'Indiens, réglaient leurs comptes en «Gran
Capitanes de la Conquista ».
Sur le nombre des conquistadores il y eut aussi quelques rarissimes et sympathiques Don Quichottes qui crurent sincèrement au prétexte de la «christianisation». Parmi ces Merles Blancs, le plus sympathique est sans doute Alvar Nuñez Cabeza de Vaca. Qu'ont fait les autres conquistadores à cet honnête homme qui ne rêvait que de «hazañas» (prouesses) et non de banditisme? Il fut d'abord leur supérieur hiérarchique, nommé par Charles Quint gouverneur général de la province de Rio de
Il y eut de nombreuses batailles rangées, de vraies guerres, entre conquistadores rivaux. La plus célèbre fut celle des ex-frères d'armes contre les Incas, Pizarro et Almagro. Ceux-ci se sont battus pour le partage des dépouilles incas avec une telle sauvagerie, que les Indiens, les voyant faire de loin, furent épouvantés de leur férocité. Les uns partaient à l'assaut aux cris de «Pour le Roi et Pizarro», les autres criaient plus fort «Pour le Roi et Almagro». A la fin, les hommes de Pizarro firent «justice» du vieux tigre Almagro. Plus tard, les hommes de Almagro firent également «justice» de Pizarro, en l'égorgeant dans son Palais de Lima. Le Marqués de Los Atavillos finit sa carrière, lardé des coups de plusieurs poignards, ceux de ses ex-complices, comme dans un règlement de comptes d'hommes du milieu. Pour payer leur tribu à la pudeur, les historiens appelèrent ces règlements de comptes des «guerres civiles». Le poète national du Chili Pablo Neruda les appela par leurs vrais noms :
«Almagros et Pizarros et Valverdes (5)
s'entre poignardaient en se partageant
Se volaient l'or et les femmes...
de l'avidité...» (6)
Le
chantre espagnol de La
Araucana , témoin oculaire des massacres d'Indiens, écrit
à propos du tueur d'Araucans Valdivia : «C'est l'avidité qui fut la
cause de tant de guerres». (7)
Les conquistadores prétendaient aller au Nouveau Monde pour «combattre les faux dieux» et porter aux Indiens la vraie Foi. Ils ne respectèrent cependant l'Eglise de «leur» Foi que lorsqu'elle n'était pas un obstacle à leurs besognes. Autrement, sus à ses prêtres! Si un de leurs rivaux risquait de subir leur «justice» et allait, pour leur échapper, chercher Asile à l'Autel d'une Eglise, ils bousculaient prêtres et moines pour récupérer le «coupable», à punir «au nom de Sa Majesté». C'est ce qui se passa un jour dans l'Eglise du Couvent de San Francisco à Tlaxcala, au Mexique. Les conquistadores firent irruption pour y arracher deux de leurs victimes en maltraitant et brutalisant les prêtres qui voulaient défendre l'Asile de leur Maison de Dieu. Cela se fit au scandale des Indiens récemment convertis, qui étaient habitués dans leur religion à plus de respect pour les Temples et ses prêtres. De ces «coupables à punir» enlevés de force à l'Autel de l'Eglise, l'un fut pendu, puis écartelé; à l'autre ils coupèrent un pied. C'était là le spectacle des moeurs «chrétiennes» donné aux Indiens. Devant ce scandale, moines franciscains et dominicains, avec à leur tête Mgr Sumarraga, partirent en procession pour protester contre des moeurs discréditant leur apostolat. Nos Hidalgos attaquèrent la procession à coups de lances, dont une manqua de justesse l'archevêque du Mexique Zumarraga (8). Que restait-il alors d'autre aux religieux que les armes de leur sacerdoce? Le jour de Pentecôte, Zumarraga charge le prédicateur Antonio Ortiz de les sermonner du haut de
Était-ce là des Espagnols? Oui! Mais ils étaient surtout représentatifs de l'Europe de la Renaissance. Ce fut un concours de circonstances qui fit que se soient des Espagnols. Si, en effet, un autre roi d'Europe avait donné suite aux offres de Colomb, d'autres européens auraient peut-être fait encore «mieux». C'est d'ailleurs ce qui c'est produit plus tard en Amérique du Nord avec les Peaux-Rouges. Au lieu d'un Las Casas pour les freiner, il n'y eut que le théologien calviniste Cotton Mathers pour les encourager. En Amérique hispano-lusitane au moins, la plupart des Indiens survécurent. L'explication ne tient pas seulement aux différences de structures économiques entre Espagne, Portugal et le reste de l'Europe, mais aussi à une Éthique et à des hommes différents produits par cette Éthique. Ceux-ci, au contant direct de l'Orient (comme on lira au chapitre suivant) surent mieux protéger le christianisme de sa germanisation (10). Americo Castro, auteur de LA REALIDAD HISTORICA DE ESPAÑA, y faisant allusion écrit : «christianisme modifié par l'Orient». Ne serait-il pas plus juste d'écrire «régénéré par l'Orient, retourné à sa Source»? Laissons le soin de la conclusion à un sauvage Indien répondant aux offres de conversion d'un moine.
«Voyez-vous,
mon Père, vous êtes chrétiens parce que Dieu naquit parmi vous, étrangers; mais
s'il s'était incarné parmi nous, c'est nous qui aurions été chrétiens, et
aurions été meilleurs que vous. Parce que vous versez du sang, vous faites des
guerres et vous êtes cruels.» (11)
1/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PERÚ, Buenos Aires 1945, page 49.
2/. QUINTO : le cinquième des rapines, envoyé par les
conquistadores à la
Couronne.
3/. J.Garcia Icazbalceta, FRAY JUAN DE ZUMARRAGA, Buenos Aires 1952,
page 24.
4/. Pero Hernandez, COMENTARIOS de Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, Espasa-Calpe
éditeurs, Madrid 1971, page 224.
5/. Valverde, un conquistador aumônier, sacré évêque de Cuzco par
Pizarro, au nom du REALPATRONATO accordé par le Pape Alexandre VI aux rois
catholiques, comme on lira au chapitre du «Dragon Godo».
6/. Pablo Neruda, CANTO GENERAL, 1ère partie, Chant III.
7/. Alonso de Ercilla, LA
ARAUCANA , Chant III (la mort de Valdivia).
9/. Idem, page 44.
10/. L'historien allemand Johannes Haller, (PAPSTTUM IDEE UND
WIRKLICHKEIT, Rowohlt 1965, tome II, pages 326 à 327) soutient avec raison, je
crois, qu'il n'y a pas eu christianisation des Germains, mais «germanisation
du christianisme». Par germanisation il ne faut naturellement pas entendre
«allemanisation», mais occidentalisation.
11/. Mariano Izquierdo Gallo, MITOLOGIA AMERICANA, Madrid 1957, page
192.
BASILE Y. basile-y.com
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