INDIENS ET BARBARES
Le génocide Amérindiens et
la spoliation de leur continent.
BASILE Y. basile-y.com
Partie 03/ 05
I. 5/.
L'ÉGLISE, BOUCLIER DES INDIENS
a) Attitude initiale des
Dominicains et des Franciscains.
«De
quel droit et de quelle justice asservissez-vous si cruellement et de façon si
horrible ces Indiens? Qui vous a autorisés à faire la guerre à ces gens qui
vivaient doux et pacifiquement sur leurs terres.» (1)
«Ceux
qui ne voudraient pas recevoir de bon gré le saint Évangile de Jésus-Christ,
qu'on le leur impose par la force.» (2)
L'apostolat des religieux espagnols au Nouveau Monde
du temps de la Conquista
se présente sous deux aspects opposés comme on peut lire dans ces citations.
Deux tendances apostoliques; l'une préoccupée uniquement de la
conversion des Indien, alors que l'autre, s'intéressait à leur survie sur terre, avant même de parler de conversion. Il y eut une dizaine
d'Ordres qui se lancèrent à la suite des conquistadores pour prêcher le
christianisme. De tous ces Ordres, se furent les Dominicains et les
Franciscains qui se sont le plus distingués par leur activisme(3). Pourtant, ces
deux Ordres vécurent souvent en rivaux durant toute la Conquista et la «pacification».
La rivalité qui régnait alors dans leur activisme n'était pas d'ordre
théologique. Elle était plutôt de l'ordre de la méthode : la rivalité
entre réformistes et contestataires, entre partisans de l'ordre préexistant,
dans le cadre duquel des reformes améliorant le sort des déshérités sont
envisageables, et de partisans du changement complet de cet ordre jugé inhumain
et impossible à améliorer.
Ces deux tendances ont guidé les orientations de l'apostolat. Les Dominicains, en la personne de Fray Don Bartolomé de Las Casas, avaient mis en cause
Le roi catholique Ferdinand d'Aragon crut qu'en finançant le voyage au Nouveau Monde de quinze pères dominicains en 1509 et de vingt et un autres en 1511, pour évangéliser les Indiens, il mettrait avec leur complicité le Christ au service de sa Couronne. Il dût cependant déchanter et les menacer de rapatriement, s'ils continuaient à «perturber l'ordre de
«Parce
que les rois de Castille découvrirent les Indes (occidentales) à l'aide de
l'Amiral (Colomb), cela leur donnait le droit, pacifiquement ou par la guerre,
par le mal ou par le bien, de gré ou de force, de subjuguer des gens et leurs
autorités (préexistantes).» (5)
D'un
strict point de vue de la conversion, Las Casas s'opposait même à la méthode
des Franciscains inspirée par Cortés. Le conquérant du Mexique voulait qu'on
détruise leurs Temples et leurs idoles et qu'on les remplace partout par des
images saintes. Las Casas trouvait cela maladroit et s'y opposait par un
raisonnement qui se résumerait en quelques mots : si on détruit leurs
idoles pour les remplacer par des saints, cela correspondrait pour eux
simplement à d'autres idoles. Il vaudrait donc mieux leur démontrer d'abord par
une vie exemplaire que le christianisme est une religion d'Amour de son
prochain, pour en faire des chrétiens véritables de leur propre gré, et non
superficiels, obtenus par la violence. La destruction de leurs magnifiques
Temples et de leurs idoles fut un pur vandalisme, accompagné d'autodafés de
parchemins picturaux aztèques, de hiéroglyphes mayas, ainsi que des fameux
quipous incas. Que nos archéologues n'auraient-ils pas découvert aujourd'hui à
travers ces trésors culturels? Cortés inspira une rage destructrice aux pères
franciscains par sa bigoterie de faux dévot. Las Casas s'étant dressé contre tout
cela, on l'appela le «révélateur de mensonge». Le mensonge était devenu une
institution de la
Conquista. Cette méthode servit par la suite de modèle à TOUS
les autres colonialistes d'Europe : on traita les Noirs de cannibales pour
justifier leur Traite. Las Casas était sans compromis, et c'était en général la
position de l'ensemble des dominicains.
La
position des Franciscains était par contre celle de Motolinia. Ils rendaient
grâce à Dieu que les Espagnols aient conquis ces terres pour leur permettre de «sauver
des âmes de l'Enfer», et c'était là pour eux l'essentiel. C'était l'essentiel
mais ce n'était pas tout. Dans la mesure où les mauvais traitements contre les
Indiens gênait leur conversion, ils les combattaient. Le moine franciscain
régent du royaume cardinal Jimenez de Cisneros, par exemple, protégea et aida
Las Casas dans sa lutte pour les Indiens.
1/. Sermon du Père dominicain Anton de
Montesinos, cité par Las Casas dans HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura
Económica, Mexico 1951, tome II, page 441.
2/. Lettre à Charles Quint du père Franciscain Motolinia, dans
MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 411.
3/. L'activité des Jésuites fut aussi remarquable, mais n'apparut
outre-atlantique que vers le milieu du XVlme siècle.
4/. On appela le père dominicain Francisco de Vitoria le «Socrate
espagnol». Ce fut pourtant, principalement, avec des arguments théologiques
(Relaciones sobre los Indios y el derecho de guerra) qu'il attaqua la Bulle du Pape Borgia
Alexandre VI, INTER CAETERAE DIVINAE. Il démontra implicitement combien cette
Bulle qui partageait l'Amérique entre Espagnols et Portugais, était contraire à
l'Enseignement du Christ. Elle attira d'ailleurs, à titre posthume, les
sarcasmes de Français 1er, qui se demanda si le Pape avait fait ce
partage avec le testament d'Adam en main. Vitoria se dressa contre les
théologiens-humanistes tels Sepúlveda (voir : «Las Casas à la tête de la défense des Indiens ») qui
soutenaient le «droit divin» du Pape à distribuer aux rois catholiques des
royaumes d'Indiens, droit qui fut mis en pratique par le «Requirimiento» (voir
les bases «légales» du génocide). C'est le raisonnement élaboré par Francisco
de Vitoria lors de ce refus qui servit ultérieurement de base à l'élaboration
du DROIT INTERNATIONAL. Quand au «Saint Père Borgia», Justice immanente! Il
n'est pas mort comme l'hagiographie le prétend, de malaria, mais probablement,
historiquement, empoisonné par le vin qu'il destinait à de riches cardinaux
dont il était l'héritier. C'est ce qu'écrivent les historiens allemands Leopold
von Ranke (Fürsten und Völker, Wiesbaden 1957, pages 121 à 122) et J.Burckhardt
(Die Kultur des Renaissance in Italien, Leipzig 1928, pages 106 et suivantes).
5/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico
1951, tome III, page 19.
b) Attitude de la Couronne d'Espagne.
Comment Las Casas put obtenir l'écoute tant de Charles Quint que de Philippe II et être pris au sérieux par eux plus que ne le fut Motolinia? Attribuer cela à sa grande personnalité n'est pas suffisant. Las Cases n'était pas seulement un homme saint. Il était un fin politique en même temps. Il s'était facilement rendu compte que
Isabel la Catholique , indignée de voir Colomb, son protégé,
amener dès le début des esclaves du Nouveau Monde avait demandé dans son
testament que l'on fasse des lois pour la protection des Indiens. «Je ne
veux pas que de mes vassaux on fasse des esclaves», avait-elle stipulé. Si
elle a toléré qu'on le fasse exceptionnellement avec les Indiens Caribes, c'est
parce qu'on l'avait persuadée qu'ils étaient cannibales et mettaient en danger
la vie des autres Indiens. Les «Lois Pour Les Indes» demandées par
Isabel furent promulguées seulement quatre décennies plus tard, en 1542. Las
Casas obtint après une longue bataille contre l'évêque sans-Dieu Fonseca des «Nouvelles
Lois Pour Les Indiens», les premières s'étant avérées inopérantes. Ces «Nouvelles
Lois» furent alors promulguées parce qu'elles répondaient aussi aux intérêts de
la Couronne.
Un autre facteur n'avait certainement pas manqué de
jouer un rôle quant au soutien dont avait joui Las Casas auprès de la Cour. Tant pour Charles
Quint que pour Philippe II, les intérêts de la Dynastie avaient priorité
sur tout le reste. Cependant ils étaient tous les deux croyants, et Philippe
même un tantinet bigot. Le confesseur de Charles Quint était le père Loayza,
général des Dominicains, donc frère en saint Dominique de Las Casas. On vivait
alors des temps où même les relativement croyants se laissaient quand même
influencer par la peur de l'Enfer. Les pères dominicains savaient bien alors en
ces cas faire bon usage de cette peur. Ce n'étaient pas les Indiens qui leur
auraient alors reproché d'avoir par l'intermédiaire de son confesseur rappeler
à Charles Quint l'existence d'un Enfer...
La deuxième raison pour laquelle Las Casas avait
l'écoute de la Couronne
provenait des tentations manifestes que les conquistadores et les encomenderos
avaient de se rendre indépendants de la Métropole. Avec
raison donc, la Couronne
voyait en Les Casas et les autres Dominicains des alliés contre les
démangeaisons indépendantistes des «pieds noirs» d'alors. Qu'un Charles Quint,
qui avait vendu une immense région du Nord de l'Amérique du Sud à la maison Welser
de Augsbourg pour la chasse à l'homme ait soutenu Las Casas contre colons et
conquistadores par charité chrétienne on peut en douter. La célébrité de Las
Casas et son grand prestige en Espagne comme à la Colonie étaient donc dus
aussi en grande partie à cette «alliance» bien circonstancielle entre Couronne
et défenseurs des Indiens.
c) L'esprit de nation
religieuse hérité de l'Islam.
Après la mise au point sur les deux tendances de l'Eglise dans la défense des Indiens, il faudrait reconnaître que du temps de
Ce XVIe siècle, siècle d'Or pour l'Eglise d'Espagne, ou, mieux dit, pour ses ordres religieux, n'est pas sans rapport avec la période qui avait précédé
«Dans
les pays orientaux, le plus souvent, les communautés sont assises sur une base
religieuse : les nations sont des groupes formés temporairement pour des
raisons politiques.» (1)
Par
la victoire de la «Reconquista», l'Espagne, de nation religieuse de CRISTIANOS,
s'était transformée en nation politique à l'occidentale, unificatrice de
nombreux royaumes catholiques des Espagnes, devenus désormais l'Espagne tout
court. Mais son Eglise resta encore sous l'influence orientale
dans le domaine de la voie vers Dieu comme base de la constitution de la
nation, voyant ainsi en tout nouveau converti un compatriote (2), sans se
préoccuper de la couleur de sa peau, habitude occidentale. Ce fut pour cette
raison qu'aux colonies espagnoles : «Le rapport de
l'Espagnol avec son corps n'était pas le même que celui de l'Anglais ou du Hollandais,
hérité d'une tradition occidentale non-modifiée par l'Orient» (3). En effet, les
Hollandais punissaient en Afrique du Sud comme un délit criminel tout lien
matrimonial entre blancs et hommes de couleur. Les Anglais ne se comportèrent
pas beaucoup mieux en Rhodésie.
«
Quelque chose frappe la plupart des lecteurs attentifs des chroniqueurs de
Le principe de race religieuse ne créa pas de guerre mais au contraire, engendra dans le monde arabe une civilisation de pluralisme religieux qui permettait la coexistence, dans le même royaume, de diverses communautés religieuses appelées nations. L'historien espagnol Americo Castro appèle cela «modèle prestigieux de tolérance islamique», alors que certains osent parler de «fanatisme islamique» pour cette époque. A cette tolérance succéda la «Reconquista», l'Intolérance occidentale, contre tous ceux qui ne voulaient pas renier leur religion pour embrasser celle des rois catholiques. Ce fut incontestablement cette tradition proche-orientale de nation par la voie vers Dieu qui inspira les apôtres des Indiens, et en fit leur BOUCLIER contre nos barbares Européens.
1/. De Lacy O'Leary, HOW GREEK SCIENCE
PASSED TO THE ARABS, éditions Routledge, Londres 1964, page 8.
2/. Le même phénomène régnait en Turquie sous l'Empire ottoman. Quand
un chrétien se convertissait à l'Islam, on ne disait pas «il est devenu
Musulman», mais «il est devenu Turc» De même sous l'Empire byzantin, avant
l'Islamisation des Turcs au Xme siècle, quand un mercenaire Turc recruté par
l'armée byzantine était baptisé, il devenait par là grec orthodoxe. Un
«descendant de Périclès» dirait-on aujourd'hui.
3/. Americo Castro, DE LA EDAD CONFLICTIVA , éditions Taurus, Madrid 1962,
page 262.
4/. Americo Castro, REALIDAD HISTORICA DE ESPAÑA, Mexico 1971, page 29.
d) Canoniser Las Casas ?
Le Prince des apôtres des Indiens fut Las Casas. L'historien mexicain Justo Sierra écrivit que les malheurs des Indiens
«ont
été beaucoup atténués, et ainsi leur race fut sauvegardée. Cela se doit en
premier lieu à Las Casas. Pourquoi ce chrétien sans reproche n'a pas d'autels
dans les Eglises d'Amérique? Qu'importe? Il a un autel dans le coeur de chaque
Américain.» (1)
Par
«Américain» il entend naturellement, Latino-Américain.
Hélas,
son Eglise ne l'a pas canonisé, mais les Indiens, aujourd'hui catholiques,
l'ont fait à sa place. J'ai vu au Mexique, dans des huttes indiennes, dans
l'État de Michoacán, fief même des pères franciscains, son image vénérée comme
celle d'un saint. Par contre, à Séville, sa ville natale, les deux plus belles
avenues (et elles sont superbes) sont dédiées à deux bandits de grands chemins,
aux tueurs d'Indiens Cortés et Pizarro qu'il avait maudits. Pour le
grand Andalous, pour l'homme qui honora l'Espagne et la chrétienté, on n'a
disposé que d'un callejón à Séville, une ruelle de trois maisons d'un côté et
quatre de l'autre. Aujourd'hui, avec le Boum touristique, on a enfin pensé à
lui consacrer une plaque commémorative à l'entrée d'une Eglise; une initiative
du ministère du tourisme sans doute. Par contre, au Mexique il n'y a pas de
place à consacrer au coupeur de mains d'Indiens (de mains et de tètes) Hernán
Cortés. Mais la statue du grand Las Casas honore le voisinage de la Cathédrale de Mexico,
et les pieux catholiques mexicains réclament sa canonisation.
A l'occasion du voyage du souverain pontife à Puebla, et durant sa visite à. Oaxaca, les peuples, ou plutôt les différentes nations indiennes, de cette région lui firent une réception chaleureuse. Ils étaient venus à plus de 400.000 Zapotèques pour lui souhaiter la bienvenue, recevoir sa bénédiction, et lui solliciter :
«Une
inclination en faveur des pauvres, et la canonisation de Fray Bartolomé de
Las Casas, qu'ils appèlent le premier défenseur des droits de l'homme en
Amérique Latine et des Indiens.»(2)
Il
n'est pas nécessaire d'être chrétien pour s'incliner devant sa mémoire. Un homme
qui avait fait de sa religion, au nom du Christ, un BOUCLIER au service des
opprimés, pendant que d'autres en firent un instrument d'asservissement aux
potentats.
Dans
son TRAITÉ SUR L'ESCLAVAGE, Las Casas s'adresse en ces termes au potentat d'un
Empire sur lequel le soleil ne devait plus se coucher pendant trois
siècles :
«Corollaire
Premier, -Sa Majesté EST OBLIGÉ, de commandement divin, de faire mettre en
liberté tous les Indiens que les Espagnols maintiennent en esclavage.
Ce corollaire se justifie par trois raisons : la première parce que Sa Majesté EST OBLIGÉ par ordre divin (3) de rendre justice au petit comme au grand; et c'est particulièrement la fonction des rois de libérer des mains des calomniateurs et oppresseurs les hommes pauvres et méprisés, et affligés et opprimés, qui ne peuvent se défendre et échapper d'eux-mêmes; et si ceux-ci ne sont pas libérés, Dieu ne manquera pas de répandre sa colère et punir, et même détruire à cause de cela tout un royaume : parce qu'un des péchés que des Nuits et des Jours clament, et leurs clameurs arrivent jusqu'aux oreilles de Dieu, est l'oppression des pauvres, des défavorisés et des misérables; et les Indiens maintenus en esclavage par les Espagnols sont injustement opprimés et victimes de la force et de la violence de plus forts qu'eux.» (4)
Ce corollaire se justifie par trois raisons : la première parce que Sa Majesté EST OBLIGÉ par ordre divin (3) de rendre justice au petit comme au grand; et c'est particulièrement la fonction des rois de libérer des mains des calomniateurs et oppresseurs les hommes pauvres et méprisés, et affligés et opprimés, qui ne peuvent se défendre et échapper d'eux-mêmes; et si ceux-ci ne sont pas libérés, Dieu ne manquera pas de répandre sa colère et punir, et même détruire à cause de cela tout un royaume : parce qu'un des péchés que des Nuits et des Jours clament, et leurs clameurs arrivent jusqu'aux oreilles de Dieu, est l'oppression des pauvres, des défavorisés et des misérables; et les Indiens maintenus en esclavage par les Espagnols sont injustement opprimés et victimes de la force et de la violence de plus forts qu'eux.» (4)
On
croit entendre tonner le prophète Jérémie exigeant des rois de Juda de «délivrer
l'opprimé des mains de l'oppresseur; ne pas user de violence ni répandre du
sang...» (5).
En fervent chrétien, Las Casas connaît aussi par coeur les paroles de son
Christ :
«Retirez-vous
de moi maudits..., car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à. manger; j ai
eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire...,j'étais malade et en prison et
vous ne m'avez pas rendu visite...Je vous le dis en vérité, toutes les fois que
vous n'avez pas fait ces choses à l'un des ces plus petits, c'est à moi que
vous ne les avez pas faites.» (6)
C'est
à tous «ces plus petits» que Las Casas consacra sa longue vie, et il l'a
fait sans compromis envers quiconque. Envers Colomb même, pour lequel il
éprouvait de l'admiration (et de la sympathie à cause des injustices qu'on lui
avait faites), il n'a jamais témoigné de compréhension pour ses méfaits envers
les Indiens. Colomb voulant justifier sa criminelle mise en esclavage des
Indiens par l'argument qu'il fallait vendre des esclaves pour couvrir les frais
de l'expédition avancés par la
Couronne , Las Casas se dresse de toute sa colère et
gronde :
«Mais
davantage devrait compter la loi de Jésus Christ que la disgrâce des rois;
davantage l'amour de son prochain que l'envoi d'argent aux rois.» (7)
Il
y a malheureusement encore des Espagnols qui ne savent pas être fiers de Las
Casas, l'homme que toute la chrétienté devrait leur envier.
2/. Cité par le journal mexicain UNOmasUNO du 29 janvier 1979 .
3/. Le bon côté de la médaille du «Prince de Droit Divin»...
4/. Las Casas, DOCTRINA, éditions UNAM, Mexico 1951, page 127.
5/. Jérémie, XXII, 3-4 et 19.
6/. St.Matthieu, XXV, 41-46.
7/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome I, page 420.
e) Las Casas dénonce le génocide
amérindien.
Las Casas se répète trop dans ses écrits disent les esthètes, qui, indifférents au sujet ne se préoccupent que du style. On l'accusa d'avoir été à l'origine de
Las Casas, disent ses calomniateurs, avait ajouté des zéros, il «était possédé du Démon», «paranoïaque». Menéndez Pidal l'accuse de «caractère pathologique de l'exagération»; O'Gorman, le pandit homme blanc du Mexique, le traite de «parfait énergumène», et bien d'autres gentillesses. Mais, là où Las Casas est le plus fortement traité de faussaire, c'est lorsqu'il accuse les esclavagistes espagnols d'avoir abattu des Indiens, d'avoir tenu une boucherie humaine ambulante, pour nourrir leurs chiens féroces. Pourquoi refuser ce témoignage de Las Casas? Il a été confirmé, quoique de façon nuancée, par le conquistador et honnête chroniqueur espagnol Pedro Cieza de León. La nuance entre la relation faite par lui sur l'abattage d'Indiens pour nourrir des chiens et celle différente faite par Pedro Cieza, consiste en ce que ce dernier écrit «Indiens morts» (1), tandis que Don Bartolomé écrit : «Ils les tuent et tiennent comme une boucherie ambulante de viande humaine» (2). Lequel des deux est plus près de la vérité? Celui d'Indiens morts ou celui d'Indiens tués? On peut penser que Cieza de León, PAR PUDEUR, honteux de ses ex-frères d'armes les conquistadores n'a donné que la moitié de la vérité? De toute façon, Las Casas est plus convainquant, car il ajoute : «Toutes ces choses diaboliques viennent d'être prouvées maintenant par des procès que quelques tyrans se sont fait entre eux-mêmes.» (3)
Cette interprétation d'un fait historique est aujourd'hui sortie du domaine des nuances. C'est sans équivoque qu'une des plus hautes autorités culturelles de l'Amérique hispanique confirme (4) aujourd'hui Las Casas dans une de ses éditions. On rencontre dans ce livre un irréfutable document contemporain de
«Et
ils (les conquistadores) firent manger par les chiens le Tlacatécatl de
Cuautitlán et le Majordome de la Maison Noire. Les
chiens mangèrent également quelques-uns de Xochimilco, et trois savants de
Ahécatl, d'origine texcocane, qui ne faisaient autre chose que porter leurs
papiers avec leurs peintures (manuscrits picturaux). Ils étaient quatre. L'un
d'eux avait réussi à s'enfuir à Coyoacán.» (5)
«L'un
d'eux avait réussi à s'enfuir», il ne s'agissait donc pas d'Indiens
morts, mais bien vivants, à déchiqueter par des chiens sauvages pour être
dévorés VIVANTS. Ainsi, donner des Indiens vivants en pâture à des
chiens, n'était pas un cas exceptionnel, et datait déjà du début de la Conquista. C'est
parce que Las Casas a donné connaissance au Monde de cet acte horrible exercé
sur des «sauvages», qu'on le traita de «calomniateur». Quelle conception de la Moralité (avec M!)? On ne
s'en prend pas aux criminels, on leur érige des statues; on s'en prend à celui
qui dénonce le crime.
Pedro Cieza, un honnête chroniqueur, n'était ni ami ni ennemi de Las Casas. Il y avait cependant un de ses ennemis féroce, un qui le haïssait profondément : le chroniqueur officiel de
«On caractérisa le nombre d'habitants
(1.100.000) de l'Ile La
Española (Haïti/Saint-Domingue) au moment de sa découverte
par les Européens comme une invention de Las Casas, qui aurait exagéré
démesurément le nombre d'extermination de vies humaines pour prouver la
brutalité des conquistadores. Mais voilà que le même nombre d'habitants est
donné pour l'île en 1492 par le chroniqueur Fernandez de Oviedo, que Las Casas
considère comme un cruel ennemi des Indiens (6), qui se trompe
en beaucoup d'allégations de faits. Oviedo écrit : «Nombreux sont ceux qui
virent et en parlent, pour en avoir été témoins, que lorsque 1'Amiral (Colomb)
découvrit cette île, il s'y trouvait 1.000.000 d'Indiens et d'Indiennes, en
comptant vieux, petits et grands.» (7)
Le
chiffre de 1.100.000 donné par Konetzke se trouve ainsi
formulé par Las Casas dans «Historia de Las Indias» : «L'archevêque de
Séville, Don Diego de Deza, m'a dit qu'en ces temps l'Amiral lui avait affirmé
qu'il avait compté 1.100.000 âmes» (8).
Las Casas ajoute qu'il s'agit là d'une évaluation opérée au premier voyage de Colomb, et qui n'était basée que sur la province de Cibao, et en partie de Xaraguá, et n'englobait pas les quatre autres provinces de l'île, Higuey, Hanyguayaba, Guaycayarima, Guahaba qui n'étaient pas encore explorées. Las Casas était un scrupuleux historien. Un autre témoignage contemporain est donné par le chroniqueur vénitien Gaspar Contarini, qui déclarait devant les membres du Sénat de Venise (le
«Cette
île (La Española )
était tant peuplée que Pedro Martir de Angleria, du Conseil des Indes et chargé
d'écrire l'histoire de ces pays, m'affirma qu'entre La Española et La Jamaïque vivaient plus
d'un million d'âmes quand Colomb les découvrit. Maintenant, en conséquence des
mauvais traitements des Espagnols qui forcèrent ces pauvres hommes à. excaver
dans les mines d'or (un travail auquel ils n'étaient pas habitués) les faisant
désespérer au point que des mères tuaient leurs enfants (pour leur épargner ce
sort). Ils disparurent presque tous à tel point qu'il n'en reste plus que sept
mille de vivants.»
On
lit cela dans une Revue historique espagnole REVISTA DE INDIAS (No. 31/32,
1948) page 21, publiée à Madrid sous l'égide du Consejo Superior de
Investigaciones Cientificas. En admettant donc le chiffre de un million donné
par Oviedo et de «plus d'un million» donné par Pedro Martir de Angleria,
disparus en 28 ans de présence espagnole sur la SEULE Española , et
en faisant une comparaison dans le temps et dans l'espace, le chiffre de douze
à quinze millions d'exterminés dans toute l'Amérique Latine d'alors donné
par Las Casas n'est pas exagéré. Car l'île La Española est très grande,
mais il y eut des hécatombes sur tout un continent, de nombreuses fois plus
grand que l'île qui abrite aujourd'hui les Républiques de Haïti et
Saint-Domingue.
Certains voudraient jouer sur le caractère «vague» de la phrase de Las Casas «...plus de douze millions d'âmes, et en vérité je crois ne pas me tromper que c'est plus de quinze millions.» (9) Quelle imprécision n'est-ce pas? mais pouvait-il les compter un à un?
Voici maintenant une autre «exagération» de Las Casas, confirmée par Don Vasco de Quiroga, son contemporain, évêque de Michoacán. Las Casas écrit : «ils fuyaient toujours les Espagnols comme les petits poussins et les oiseaux courent et fuient quand ils voient ou sentent approcher le milan.» (10). Don Vasco écrit de son côté sur le même sujet : «Les Indiens s'enfuient dans les montagnes pour se cacher dans des cavernes et entre les roches, afin d'éviter toute gent espagnole, comme
Il en fut ainsi de toutes les «exagérations» du «paranoïaque» Las Casas. Menéndez Pidal reproche à Las Casas son «caractère pathologique de l'exagération» (12). Il est cependant obligé d'avouer que la grande Oeuvre du défenseur des Indiens, HISTORIA DE LAS INDIAS, «est un livre objectif» (13). Et c'est justement dans ce livre objectif qu'on lit des choses atroces sur les prouesses des héros encensés par Menéndez Pidal. Cependant, il n'y a pas que des auteurs espagnoles pour calomnier ou se montrer «sceptiques» sur les accusations de Las Casas.
Il faut comprendre! On a honte d'appartenir à une civilisation qui abat des hommes pour nourrir des chiens comme firent les Espagnols, ou qui jètent des hommes en pâture aux requins comme firent d'autres Européens lors de
2/. Las Casas, BREVICIMA RELACIÓN, Buenos Aire 1953, page 100.
3/. Idem.
4/. UNIVERSIDAD NACIONAL AUTONOMA DE MÉXICO (UNAM).
5/. Miguel León-Portilla, VISION DE LOS VENCIDOS, édition UNAM, 1959,
page 188.
6/. Comment en aurait-il été autrement pour un homme pour lequel «la
poudre contre l'Infidèle est encens pour le Seigneur...»!
7/. Richard Konetzke, ENTDECKER UND EROBERER AMERIKAS, Fischer Bücherei
1963, page 37.
8/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome II, page 269.
10/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome II, page 243.
11/. HUMANISTAS DEL SIGLO XVI, édition UNAM, Mexico 1946, page 72.
12/. Ramon Menéndez Pidal, EL PADRE LAS CASAS Y VITORIA, édition Espasa-Calpe, Madrid 1966, page 57.
12/. Ramon Menéndez Pidal, EL PADRE LAS CASAS Y VITORIA, édition Espasa-Calpe, Madrid 1966, page 57.
13/. Idem, pages 52 à 61.
f) Las Casas d'abord
conquistador.
Las Casas aimait tant son Espagne que, sincère chrétien, il tremblait que Dieu ne la punisse un jour. Plus tard, les incursions criminelles aux colonies espagnoles des pirates de Sa Gracieuse Majesté Britannique, Hawkins et Drake, assassins de femmes et d'enfants, tortionnaires pour arracher des aveux sur les caches de trésors, incendiaires d'Eglises et pillards d'objets du Culte en or et en argent (1) firent penser à beaucoup d'Espagnols que c'était la punition du Ciel annoncée par Las Casas pour les crimes des conquistadores. Un chroniqueur de l'époque, un brave moine, écrivait à ce propos :
«Il
n'y a plus à philosopher sur ce qui arrive ou est en train d'arriver comme
punition du Ciel aux Espagnols, comme l'annonçait le saint évêque de Chiappas
(Las Casas) dans son testament.» (2)
Il
aimait son Espagne, mais pas en homme de la Nation par «la Voix du Sang». Qu'entre Espagnols et Indiens il
n'ait pas hésité à prendre parti contre les Espagnols, est tout en son honneur,
car rester sans parti pris en de telles circonstances c'est être complice. Nous
avons bien fait des Lois qui condamnent la «NON ASSISTANCE A PERSONNES EN
DANGER». Il avait porté, après tout, assistance à des Indiens mis «en danger»
par ses compatriotes.
L'homme Las Casas est né à Séville en 1474. Après des études à l'Université de Salamanque, il fut licencié en droit canon et civil en
L'initiateur de la lutte pour la défense des Indiens fut en fait le cardinal Cajetano (voir «attitude initiale des Dominicains et des Franciscains«). Cette lutte était cependant la continuation d'une tradition de l'Église d'Espagne qui remontait au début du XVe siècle, lors de
Las Casas a probablement médité à la suite du Sermon du Père dominicain Anton de Montesinos. Sa vie d'encomendero et les faveurs de Velazquez furent une idylle qui ne dura pas longtemps, sutout lorsqu'en 1512 il eut des difficultés à obtenir son absolution en confession (son confesseur, encore un Apôtre des Indiens, lui reprochait son état d'encomendero). Le prêtre-encomendero Las Casas commença à méditer sur son péché. En 1514 : crise de conscience, le conquistador Las Casas est conquis par les Indiens. Il trouvait cela trop injuste, trop contraire à son sacerdoce, qu'il prenait au sérieux. Il passe de l'autre côté, du côté du Christ opprimé. Le gouverneur Velazquez espérait que le prêtre Las Casas serait à son service. Il dut déchanter. Las Casas préféra le Christ aux encomenderos esclavagistes. Il aurait pu, comme les autres encomenderos, vivre à Cuba comme un roitelet. Mais il aurait fallu pour cela fermer les yeux sur tout ce qui se passait autour de lui. Il fut indigné par la cruauté des CRISTIANOS qui avaient brûlé vif le cacique indien Hatuey de
1/. Ce que firent également les pirates
(pardon, les «corsaires»...) de François 1er tels Jean Florin, et du
«roi soleil» tels L'Olonois.
2/. Fray Augustin Dévila
Padilla, HISTORIA DE LA
FUNDACIÓN DE LA PROVINCIA DE SANTIAGO DE MÉXICO DE LA ORDEN DE LOS
PREDICATORES, editorial Academia Literaria, Mexico 1955, page 341.
3/. Cité par Agustin Yañez, dans son introduction à «DOCTRINA de Las
Casas», éditons UNAM, Mexico 1951, page XXXII.
4/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951, tome II, pages 441 à 451.
5/. Idem, page 83.
6/. Idem, page 413.
g) Las Casas à la tête de la
défense des Indiens.
En 1523 Las Casas prend l'habit de moine chez les pères dominicains, et commence à soutenir ses thèses devenues historiques :
1/.
Que toutes les guerres de conquête sont le fait de tyrans, et sont par
conséquent injustes.
2/.
Que les pays conquis en Amérique sont de l'usurpation.
3/.
Que les Repartimientos et Encomiendas sont iniques et tyranniques.
4/, Que tant ceux qui les octroient (1) que ceux qui les reçoivent commettent un péché mortel.
4/, Que tant ceux qui les octroient (1) que ceux qui les reçoivent commettent un péché mortel.
5/.
Que le roi d'Espagne ne peut justifier ni les repartimientos ni les guerres et
pillages commis envers les Indiens.
6/.
Que les richesses venues d'Amérique sont du vol.
7/.
Que les voleurs ne peuvent être absous.
8/.
Que les Indiens ont le droit de faire la guerre aux Espagnols et les extirper
de la face du Monde jusqu'au jour du Jugement Dernier.
Avec
un tel religieux on est tenté vraiment de croire en Dieu... (je suis athée).
C'était là le mémoire soumis par Las Casas au Conseil des Indes de Séville. On
s'imagine les ennemis qu'il lui valut, surtout aux colonies. Ses ennemis de la Colonie étaient les encomendores,
les conquistadores et des fonctionnaires
corrompus de la Couronne
qui les soutenaient. En Espagne son ennemi numéro Un était le célèbre humaniste
Juan Ginés de Sepúlveda. Celui-ci avait si bien poussé ses humanités, qu'il en
vint à diviser les hommes en deux catégories aristotéliennes : ceux que
Dieu aurait dotés de raison - comme lui par exemple - et ceux qu'il créa pour
les servir. Pour ce parangon de son temps :
«Non seulement il est juste, mais il est
aussi utile qu'ils (les Indiens) servent ceux que la nature fit seigneurs. Nous
voyons que cela est sanctionné par la
Loi divine.» (2)
Un
vrai parfum des Temps Nouveaux (?) de la Renaissance ! Pour lui, pourvu de raison, les Indiens
étaient des êtres «dépourvus de raison», «Seres iracionales» comme il
les appelait, que la Loi
divine avait aussi «dépourvu de vertus». Sa loi divine avait tant pourvu
de vertus Sepúlveda, Cortés et Pizarro, qu'il n'en était plus resté pour les
Indiens. Sepúlveda était le parfait modèle de cette Ere Nouvelle, pour
laquelle, à force d'enseigner les humanités certains n'entendaient plus par «homme»
que l'homme blanc, chargé par la
Providence de chasser comme gibier tous les autres hommes de
la terre!
Las Casas part dès 1516 en Espagne présenter ses thèses, énumérés plus haut, au Régent du royaume, le moine franciscain Cardinal Cisneros, qui le reçoit avec bienveillance et le nomme protecteur général des Indiens, afin de lui faciliter sa tâche. C'était là un geste dont les Espagnols devraient être fiers; une «anomalie» qui ne s'est jamais reproduite au-delà des Pyrénées, chez les autres nations colonialistes, un religieux soutenu par un Chef d'Etat dans sa lutte contre les colons. Quand au 19ème siècle un prêtre français défendait aux Antilles les Noirs contre leurs esclavagistes, les colons le chassaient de leurs repaires, et l'Eglise Fille Aînée, impuissante, se taisait. Las Casas ne fut pas seul dans sa lutte. L'opinion publique espagnole était venue également à l'aide du Bouclier des Indiens. Il serait erroné de croire qu'il n'existait pas alors d'opinion publique en Espagne concernant les affaires des «Indes». Les colons ne jouissaient pas de la sympathie de toutes les couches de la population, au contraire. A cause de l'arrogance avec laquelle ils étalaient les richesses de leurs pillages, ils s'étaient rendus antipathiques. On les appelait «loss Indios», parodiant ainsi leur propre mépris des Indiens. Un sujet supplémentaire d'animosité envers «los Indios» était celui de l'inflation des prix qu'avait provoquée
Revenons aux dominicains. Ils entrèrent dans l'histoire d'Espagne comme des «pourvoyeurs de Bûchers». Le fanatisme est une vilaine chose. En religion, comme ailleurs. Derrière les fanatismes se cachaient des raisons politiciennes sordides. Mais ce n'était pas le cas des pères dominicains. Ils ont cru malheureusement sincèrement à l'utilité des Bûchers, car en adoptant une vision intolérante de
Après
l'initiative de l'évêque de Tlaxcala, Las Casas, mécontent de
la lenteur de la Couronne
à agir dans le sens espéré par lui, s'adressa en 1565 au nouveau Pape Pie IV
pour demander son intervention. Malheureusement quand son messager arriva à
Rome Pie IV était mort. Son successeur Pie V était, écrit l'historien
nord-américain Lewis Ranke,
«Un
dominicain; ainsi que réformateur résolu à exercer une influence importante
dans les affaires ecclésiastiques de l'Amérique.» (3)
Las
Casas envoie alors un nouveau message :
«En des termes les plus énergiques, lui
demandant l'excommunion de quiconque déclarerait la guerre aux infidèles, soit
sous prétexte d'idolâtrie, soit comme moyen pour prêcher la Foi (...).»
Pie
V fut probablement influencé par ce plaidoyer en faveur des Indiens, car il
commença à rédiger des Bulles et autres documents pour remédier à leur sort. Il
conseilla même en ce sens au dur Philippe II (qui n'appréciait pas l'immixtion
papale) que «le joug du Christ devrait être adouci pour les Indiens.» (4)
Cela
n'empêcha pas le Dragon Wisigoth de dévorer des Indiens. Mais il y eut malgré
tout un FREIN. Ce frein fut en grande partie l'Oeuvre du «paranoïaque», de l
'énergumène Las Casas. De son temps on ne pouvait faire plus et agir mieux. Son
action fut un FREIN qui n'a malheureusement pas protégé les Peaux-Rouges, car
le Dragon Angle des WASPs ne fut pas gêné par un personnage équivalent à Las
Casas.
2/. J.G. de Sepúlveda, DE LAS JUSTAS CAUSAS DE LA GUERRA CONTRA LOS
INDIOS, édiciones del Instituto Fr. de Vitoria, Madrid,1951, page 22.
3/. Lewis Hanke, ARISTOTLE AND THE AMERICAN INDIANS, Indiana University
Press, Ontario1971, pages 84-85.
4/. Idem.
h) Les Franciscains deviennent
à leur tour défenseurs des Indiens.
Las Casas n'était pas parti au Nouveau Monde en qualité d'Apôtre, mais en conquistador, marchant ainsi sur les pas de son père. Motolinia, par contre, parti en 1523 avec une expédition officielle de «Douze Apôtres» franciscains que Cortés avait sollicités de l'Empereur pour «endoctriner» ses vassaux, leur apprendre sans doute à être de bons serfs de Dieu, et à l'exemple de leur soumission au Maître des Cieux, se soumettre à lui Cortés, leur Seigneur sur Terre. Il ne faudrait cependant pas en déduire que ces apôtres au chiffre symbolique de douze se désintéressèrent totalement du sort terrestre des Indiens, comme l'avait escompté Cortés. Cependant, ils n'ont pas été conséquents jusqu'au bout de leur apostolat comme le furent les dominicains, mais de leurs rangs se détachèrent d'éminents protagonistes pour la défense des victimes de tous les Cortés. Motolinia, de son vrai nom Toribio de Benavente, s'est surtout fait remarquer par sa profonde humilité, son ascétisme, et sa fougue évangélisatrice. Beaucoup d'auteurs se demandent si son humilité, son geste spectaculaire, se défaisant de son vêtement pour l'offrir à un Indien, étaient de la charité ou de l'orgueil. La première expression mexicaine que père Toribio avait apprise fut celle de «motolinia», qu'il transforma en nom pour l'accoler au sien. Les Indiens, habitués à voir les Espagnols s'affubler de coutume avec ostentation, s'exclamèrent sur la pauvreté vestimentaire des franciscains en criant en leur langue : motolinia, ce qui voulait dire : «qu'ils sont pauvres». Le père Toribio s'étant fait traduire cela en castillan, dit à ses frères franciscains que désormais il s'appellerait Motolinia.
Ce fut donc sur la demande de Cortés que Charles Quint envoya au Mexique le
Cependant, tous les pères franciscains n'étaient pas aveuglés par Cortés. Fray Juan de Zumárraga, disciple de l'humaniste Thomas More (auteur de «L'Utopie», spéculation sur une société égalitaire idéale), premier évêque de Mexico en 1528 et archevêque du Mexique en 1547, se distingua par sa lutte très dure et courageuse contre la première «Audience» (2). En sa qualité de protecteur des Indiens, investi par
«La résistance de l'évêque (Zumárraga)
et des moines, juste en elle-même, ne transgressait-elle pas les limites du
devoir et de la prudence? Aujourd'hui, il pourrait nous paraître que les moines
dépassaient les bornes, sous couvert de l'immunité ecclésiastique, pour la
défense des droits naturels des Indiens (3)... L'évêque fut
en particulier injurié, bafoué, menacé de mort, privé de ses revenus, perturbé
dans sa juridiction, et menacé d'être expulsé de la Colonie.» (4)
Autre
moine, disciple de Thomas More : Don Vasco de Quiroga. Un grand seigneur,
membre de la plus haute noblesse d'Espagne, mais pas seulement noble par le
parchemin. Don Vasco troqua son blason resplendissant des vanités de la Cour de Madrid contre celui
de soldat du Christ au Mexique, où il arriva dix ans après la chute de la Grande Tenotchtitlán
(Mexico). Nommé par la
Couronne OIDOR (juge d'Audience) avec mission d'investigation
des accusations portées contre Cortés et Nuño de Guzmán, Don Vasco n'était pas
à l'aise dans les salles des tribunaux et des gouvernements. En arrivant, il se
pencha sur la misère des Indiens pour voir ce qu'il pouvait faire en pratique
pour adoucir le sort d'au moins quelques-uns. Il fut effaré de voir leurs
souffrances, il en soufra lui-même, impuissant à changer cet état de choses. Il
se mit à l'ouvrage pour en sauver quelques-uns. Une fois installé dans la Colonie , il opère en
disciple de Thomas More et réalise des idées que l'on ne retrouvera que plus
tard chez le socialiste français Fourrier, au 19ème siècle !
Il édifie de ses propres deniers le premier phalanstère d'Amérique, à
Dans l'organisation de son phalanstère «tata Vasco» n'avait pas oublié le moindre détail de la vie quotidienne, jusqu'aux loisirs auxquels il attachait autant d'importance qu'à l'enseignement de la religion. Don Vasco était évêque de Michoacán, et les paysans et artisans de tout ce pays tarasco quand ils parlent encore de lui aujourd'hui l'appèlent toujours affectueusement «tata Vasco» (père Vasco). Grand administrateur, il avait organisé sa «République» en encourageant tous les métiers et toutes les cultures rurales, le tout au bénéfice de ceux qui produisaient, et non pour un encomendero. Il est mort à l'âge de 95 ans, entouré de l'affection des Indiens, ce qui lui était le plus cher au Monde après le Christ.
1/. Bernal Díaz del Castillo, HISTORIA
VERDADERA DE LA CONQUISTA
DE LA
NUEVA ESPAÑA , Mexico 1955, page 516.
2/. AUDIENCE, Tribunal qui était en même temps une espèce de
gouvernement de la Colonie
avant l'installation des vice-rois.
3/. J.Garcia Icazbalceta, FRAY JUAN DE ZUMARRAGA, Buenos Aires 1952,
page 72.
4/. Idem, page 231.
5/. HUMANISTAS DEL SIGLO XVI, édition UNAM, Mexico 1946, page 63.
i) Les Jésuites suivent
l'exemple au Brésil.
Franciscains et Dominicains furent les deux Ordres qui déployèrent la plus grande activité aux colonies espagnoles d'Amérique. L'Ordre des jésuites n'y commença sa mission que beaucoup plus tard. Non seulement parce qu'il ne vit le jour que plus de quarante ans après
La mission des Jésuites en Amérique du Sud donna une
preuve supplémentaire de ce que l'homme blanc est en général chrétien dans la
mesure où le christianisme ne porte pas atteinte à ses intérêts. Lui porte-t-il
préjudice, alors sus à ses prêtres. Ce qui arriva aux pères jésuites en ce coin
d'Amérique. Partis du Pérou vers le Rio de la Plata , ils eurent un grand succès en construisant
leurs Reducciones chez les Indiens Guaraní. Cela ne faisait pas
l'affaire des esclavagistes, ou plutôt ils voulurent en faire une bonne
affaire. Les Indiens réunis dans les Reducciones, instruits à divers travaux
pour la communauté, étaient vendus sur les marchés d'esclaves brésiliens
beaucoup plus cher que les Indiens capturés dans la Jungle. Alors...
«Les razzias des Reducciones jésuites
étaient devenues particulièrement lucratives, parce que les
Bandeirados pouvaient attraper ici d'un seul coup de main une grande masse
d'esclaves dont la vente rapportait un prix bien plus élevé que pour les
esclaves de la Jungle ,
s'agissant d'Indiens déjà habitués à la civilisation et initiés au travail par
les Jésuites. De 1628 à 1631 quelque 60.000 Indiens des Reducciones, déjà
convertis au christianisme, furent traînés vers les marchés d'esclaves. Les
colonies jésuites furent pillées et mises en cendres. Seules leurs missions de
Loreto et saint Ignace, favorablement situées, ont pu résister et se
maintenir.» (1)
Alors,
les pères jésuites, désolés de la destruction de leur oeuvre, se tournèrent
vers le Christ pour Lui demander ce qu'il y avait de mieux à faire pour
défendre des hommes sans défense contre l'Antéchrist. Et le Christ leur
répondit :
«Que celui qui n'a point d'épée, vende
son vêtement et en achète une.» (2)
Et
les pères jésuites obéirent au Christ.
«Peu
soutenus par les autorités espagnoles et les colons, ils
organisèrent eux-mêmes leur défense, en armant les Indiens de leurs
Reducciones. Un frère de l'Ordre, le vétéran des guerres de Flandres Domingo
Torres, fit l'instruction militaire des Indiens Guaraní, et lorsqu'en 1641 un
détachement de paolinistes fort de 400 hommes attaquèrent leur territoire entre
Rio Uruguay et le haut Paraná, il subit une telle défaite près de Mbororé, dans
une lutte sanglante durant laquelle il n'y eut pas de pardon, que pour
longtemps les Bandeirados (de Sao Paolo) n'ont plus été vus dans la région.» (3)
Quel
mauvais exemple que donnaient là les pères jésuites aux candidats à la mise en
esclavage! Enseigner aux Indiens l'art et la meilleure façon de se défendre
contre des chasseurs d'hommes. Ce n'était pas le christianisme tel que le
concevaient les Bandeirados et les colons. Sus alors aux jésuites!
«On
entendait parmi les colons dire qu'on devrait non seulement
prendre leurs terres riches aux jésuites, mais les chasser du pays.» (4)
1/. Richard Konetzke, SÜD-UND MITTELAMERIKA
I. Fischer Weltgeschichte, Band 22, Hambourg 1971, page 270.
2/. Saint Luc, XXII, 36.
3/. Richard Konetzke, SÜD-UND MITTELAMERIKA I. Fischer Weltgeschichte,
Band 22, Hambourg 1971, page 271.
4/. Idem, 278.
j) Le génocide des îles
Canaries préambule à celui des Amérindiens.
La lutte des ecclésiastiques fut la suite de celle qu'ils avaient mené au siècle précédant aux îles Canaries contre les chasseurs d'hommes de l'Europe du nord des Pyrénées. Les malheureux habitants de ces îles, les Guanches, furent assaillis dès 1402 par l'aventurier normand, Jean de Bethencourt, seigneur de Saint-Martin le Gaillard, Grainville-la-Teinturière et autres lieux en Normandie, dont les teinturiers connaissaient et appréciaient le bois rouge qui valait le brésil (bois couleur braise) pour la teinturerie (1). Pas besoin de faire un dessin sur les prétendus élans prosélytiques chrétiens de Jean de Bethencourt. Les Normands semèrent la désolation et la dévastation dans les îles Canaries, moins à la recherche de bois rouge qu'à la chasse à l'homme pour les marchés d'esclaves d'Espagne. Le métier de chasseur d'hommes fut mené par la suite par Maciot de Bethencourt, neveu de Jean, avec encore plus de traîtrise pour attirer les victimes dans des pièges, qu'usa l'oncle et ses compagnons Gadifer de
Bethencourt s'était arrangé avec
Les Normands furent suivis par d'autres «christianisateurs», Portugais et Espagnols, ce qui provoqua des hécatombes parmi les Guanches, l'effacement de la face du monde de leurs langue et Culture ainsi que de presque tous leurs représentants. Ce fut une impitoyable extermination, qui préfigura celle des Indiens. On se «fit la main» sur les Guanches.
Lors de la deuxième moitié du XVme siècle, l'intérêt de l'Eglise espagnole pour
défendre les Guanches commença à coïncider avec celui de la Couronne d'Espagne, qui,
après l'annexion des îles Canaries ne voulait plus qu'on extermine ses nouveaux
sujets. Ainsi l'Eglise, forte désormais de l'appui de la Couronne , faisait
parcourir l'Espagne par ses évêques Juan de Prias et Juan de la Sema à la recherche
d'esclaves Guanches vendus «illégalement», c'est à dire pris à la chasse à
l'homme, dans le but de les ramener chez eux.
1/. Joaquin Blanco, HISTORIA DE LAS ISLAS
CANARIAS, Las Palmas de Gran Canaria, 1957, pages 40 et suivantes.
2/. Auprès de laquelle son oncle Rubin de Bracamonte était chez-lui.
Web : basile-y.com
© 2000 Copie autorisée si sans
modification et si auteur Basile Y. cité
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