LA DELATION:
L'IMPUNITÉ DÉNONCÉE
G.-H. BEAUTHIER*
La question
n'est pas de savoir si
la fin justifie
les moyens: tous les pouvoirs humains ont
opiné. L'enjeu, en
démocratie, est bien
plus la limite
à imposer aux moyens.
Et le Droit, habillage des
rapports de force, doit
marquer la mesure
au-delà de laquelle
le moyen n'est,
à un moment donné, pas acceptable. Il en va ainsi pour la délation,
comme pour l'infiltration ou la
provocation.
I. La délation,
un vieux moyen qui en vaut bien
un autre
L'homme
sans doute par paresse,
mais aussi par carence, résout peu
d'énigmes pénales.
Il
tâtonne, et, quand
il trouve, c'est
souvent aidé par le hasard.
Si le crime parfait
est encore à inventer, par contre les
criminels impunis peuplent villes
et campagnes depuis des siècles.
Et pourtant, toute organisation sociale ne peut
souffrir l'impunité. Il faut un coupable
et le punir.
A défaut d'aveu, ou, de
preuve, qu'il soit ou
non extorqué, qu'elle soit
ou non fabriquée,
depuis longtemps la société
a cherché des expédients
sous forme d'infiltration, de provocation, ou de délation. Elle piège alors
ses règles du jeu,
mais qu'importe puisqu'il s'agit de la
« bonne cause », celle de la sauvegarde de l'ordre, le plus souvent
public - ou - de la
propriété le plus
fréquemment privée.
D'ailleurs,
dans tous les
pays, les coutumes, les
lois, les codes pénaux, se
sont accommodés de ces
entorses à la loyauté, à la
droiture.
II. De l'infiltration à la provocation pour
quelle politique criminelle?
Quel
Etat dit de droit, n'a pas ses
usages en matière de provocations,
nées - paraît-il - avec le genre humain?
Aux
Etats-Unis, phare de l'internationalisme libéral
à la tombée
du siècle, les
opérations «undercover» sont
un outil comme un autre
pour débusquer les
truands, trafiquants de toute
sorte. Des traités, des cours, des colloques
dissertent depuis des lustres sur
les stratégies undercover ï.
Comme
pour les limonades, il existe des opérations «light cover» du genre decoy operation,
flash roll2, ou, des
stratégies «deep cover», nettement plus dures3.
Dans
nombre de pays européens, l'infiltration, la provocation
font pudiquement partie de ce
qui se fait, sans
trop en parler.
Les plus hautes instances judiciaires
viennent alors, à défaut de textes
légaux, poser les
limites de ce qui
est toléré. Ainsi,
la Cour d'appel de Bruxelles a décidé dans un
arrêt, le 7.9.1994, que Pour combattre
efficacement la grande criminalité, tel un
trafic de stupéfiants, les services de
police peuvent utiliser des
ruses consistant, notamment
à infiltrer le milieu
criminel que l'on veut
démanteler avec recours, le cas
échéant, à la
technique policière du
pseudo-achat de drogue
faite avec l'accord préalable et sous le
contrôle d'un magistrat du parquet
ou du juge d'instruction mais pour autant
que cette technique
soit mise en œuvre au
moment où l'infraction a déjà
été commise ou est objectivement
sur le point
de l'être4.
Personne d'ailleurs
ne s'étonne de ne
pas voir apparaître dans les
statistiques criminelles, le nombre
de voleurs, trafiquants qui, secondant
les policiers dans leur infiltration ou leur
fournissant des indications,
ou encore participant directement à des
provocations, ont été exonérés de poursuites ou de punitions. Pas plus que ne sont publics les
chiffres des policiers
happés par le
milieu ou devenus dépressifs
au point d'avoir dû être
écartés de toutes tâches
opérationnelles.
Il
est permis, à ce stade, non pas de se
poser la question de l'utilité
de ces méthodes - il
parait qu'aucune force de l'ordre ne
voudrait les abandonner tant
elles font corps avec la fonction
de police - mais de s'interroger sur
le sens même d'une politique
criminelle qui s'acoquine avec ces
pratiques.
Comment en effet
justifier une exonération de peine
pour celui qui participe pleinement et consciemment à un délit
ou à un crime, alors que la sacro-sainte
logique pénale exigerait la
punition pour endiguer le « mal »,
et, la
resocialisation pour récupérer le
coupable ?
A
supposer même que le mal soit contenu après une provocation réussie,
comment justifier la
relaxe de celui qui
comme indicateur, infiltrant,
ou co-auteur-ami-des-flics, non seulement participe à un délit ou
à un crime, mais, en outre,
accomplit l'acte le
plus antisocial qui soit celui de trahir, de moucharder, ou d'enfoncer ses copains?
Comment
admettre que le délinquant le plus
veule, le criminel le plus
abject soit laissé libre de
toute peine, écarté
de toute tentative de resocialisation, avec
un satisfecit pour n'avoir pas réfréné ses instincts funestes?
III. De la délation informelle à la délation
codifiée
Collaborer, est un des mots
les plus positifs du vocabulaire. Aucune œuvre
n'est le produit pur
d'une individualité. Tout artiste
crée en symbiose avec
son temps, ses contemporains, son
espace. Il n'est pas de recherche, de découverte sans le fruit
d'une collaboration.
Depuis la
seconde guerre mondiale,
collaborer est surtout
synonyme de pactiser avec
l'ennemi, de trahir en donnant
ses camarades. A prendre ce verbe
dans son sens originaire, il n'y
a aucun reproche à élever à l’encontre d'un citoyen qui «
collabore » avec la
police. Il serait d'ailleurs anormal de ne pas aider un service public à
remplir sa mission. Répondre à un appel à témoin est un acte civique, obligé dans une société responsable.
Renseigner un agent de police
sur l'absence de
nouvelle d'un voisin est un
geste altruiste, de même que participer au
sauvetage d'accidentés de la route.
Ceux qui s'en
abstiennent pourraient d'ailleurs
être sanctionnés du
chef de non-assistance à personne en
danger. Il est pourtant des « collaborations »
entre un citoyen et
la police qui sont
contre-indiquées. Ce sont
les collaborations mues par l'intérêt strictement personnel, qu'il s'agisse
de l'appât du
gain ou du désir d'échapper à une sanction pourtant justifiée.
Il est
sans doute aussi
une collaboration à proscrire: c'est la
délation qui assouvit une vengeance. C'est un des dangers social
parmi les plus
aigus.
Dénoncer un proche,
un collègue pour
régler des comptes, pour
l'éliminer, ouvre grande la
porte à une violence en
cascade : les
vengeances ne peuvent alors
que se superposer
de manière trop souvent exponentielle. Cette
délation par vengeance instaure un
régime de terreur
où l'autre peut à
tout moment devenir l'ennemi, à abattre.
Devant
la difficulté de percevoir une délation
par vengeance, l'idéal
serait d'écarter des débats toute
dénonciation visant des
proches, des co-contractants, qu'il
s'agisse de ceux liés par
un contrat de travail ou d'entreprise. Toutefois,
réprimer une telle délation est
impossible. Cela reviendrait à
empêcher de fonder une
condamnation sur le
témoignage d'un proche, d'un
collègue, ceux qui
bien souvent sont les plus
utiles à une enquête ou
à une instruction. C'est après
tout, le travail
des enquêteurs, des
instructeurs de déceler si « leurs
» témoins les égarent,
le cas échéant, par ressentiment.
L'appât du gain est un des moteurs de la délation qu'il convient de ne pas alimenter.
En
effet, les acteurs
ne sont pas au marché où
le jeu de
l'offre et de la demande engendre
des profits, des pertes, des spéculations. Les policiers
et leurs «collaborateurs»
participent à un service au
public - en l'occurrence
la répression - qui exige
un désintérêt financier total,
sous peine de sombrer dans la
délinquance la plus impitoyable.
Que
les collaborateurs de police et
de justice soient défrayés
en proportion de
leurs dépens, il n'y a rien de
plus normal. Mais, ces collaborateurs
n'ont pas à jouir d'avantages matériels qui
les placeraient en
dehors des remboursements des
frais habituels. On ne
rémunère pas ceux qui, n'ayant pas un contrat ou un statut professionnel les
liant à l'Etat, donnent un
renseignement, font avancer
une enquête. Si
la saine collaboration
est un devoir, elle n'a
pas à être monnayée. Va-t-on
rémunérer ceux qui votent, ceux qui aident à dépouiller un scrutin, ceux qui respectent les règlements, qui s'acquittent de l'impôt?
Pourquoi
rémunérer celui qui
volontairement collabore avec
les policiers, les
magistrats, étant entendu
que la collaboration forcée née
du chantage, voire de
la torture, est, dans tout
régime démocratique, à proscrire?
En
outre, la récompense en nature ou en argent
de services rendus à l'Etat, dérègle tout projet qui veut faire
adhérer le citoyen au bien commun.
Comment, en outre, cet Etat pourrait-il justifier
sa propre participation
à une entreprise
de travail «au noir»,
alors que le défaut de solidarité
fiscale et sociale sape son fondement
même?
Vendre
sa collaboration à un service
public, c'est marier l'eau et le feu.
L'exonération d'une
peine est également une prime
aberrante à la
délation. Certes, exonérer
un coupable de sa peine
parce qu'il dénonce un ou plusieurs autres complices ne date pas d'hier. Ainsi,
en droit belge,
depuis plus de
cent ans, le
Code pénal exempte de toute peine
celui qui, avant tout attentat, aura
donné à l'autorité connaissance de complots ou d'infractions contre la Sûreté de l'Etat5
ou celui coupable d'infraction
en matière de fausse monnaie
qui, avant toute
émission, aura également révélé les
auteurs aux autorités6. Dans un même contexte, celui
qui donne connaissance
des complots contre
la vie sur
la personne d'un chef de
gouvernement étranger, qui dénonce les
complots ayant pour but de
détruire ou changer la forme
d'un gouvernement étranger, sera
exempt de toute peine7. De même celui
qui a dénoncé une association de malfaiteurs à laquelle il
participait et qui donne le nom de celui
ou de ceux qui la dirigent doit être exempté de
toute peine8. La plupart
du temps, il est exigé
que la délation soit faite avant que n'aient commencé
les poursuites.
A
chaque fois, les
travaux parlementaires font apparaître que l'intérêt
supérieur commanderait que soient
mises en veilleuse les
consciences enflammées par
cette révoltante amnistie. Ce sont les
mêmes arguments qui
ont été servis
lorsqu'à été votée
la loi du 9.7.1975
visant à réprimer la
détention ou l'usage en groupe,
ou encore, la vente de stupéfiants. Des
délateurs ont également
été exemptés de toute peine
correctionnelle à condition
qu'ils révèlent des éléments inconnus à
l'autorité (avant toutes poursuites), et,
que la révélation soit sincère
et complète.
Le délateur
ne bénéficiera cependant que d'une réduction de peine si la
dénonciation est faite après
le commencement des
poursuites, qui portent
sur l'identité d'auteurs
restés inconnus. (Une réduction
de peine sera également accordée
si le dénonciateur est
susceptible d'encourir une peine criminelle).
En
1985, 10 ans après l'entrée
en vigueur de cette loi, la
doctrine affichait des résultats
décevants:
cette loi avait raté
ses objectifs tant
les conditions d'exemption
étaient draconiennes. L'entorse
à la loyauté
n'en valait vraiment pas la chandelle.
Certains ont même proposé
de supprimer pareilles dispositions9.
Vingt ans plus
tard, les praticiens sont aussi
convaincus de l'ineptie de pareille législation.
En Italie,
les repentis ont démontré
qu'ils étaient à ce point peu fiables - et
pour cause, la trahison n'a
pas de morale - que
le gouvernement italien, en 1997, a
fait voter une modification
à la législation. Il ne sera plus
accordé d'exonération de peine
au repenti qu'à la fin
du procès, à condition
que celui-ci maintienne ses déclarations et ne cède
pas à la tentation de se
repentir, en cours
d'instruction, à l'égard
de ses complices.
Les tentacules de la
pieuvre ayant à ce point pénétré la société italienne, il serait intéressant de faire le bilan de ces nouvelles dispositions,
vraisemblablement déjà déjouées par
l'ingénierie mafieuse?
Sans doute existe-t-il en Allemagne les mêmes constatations à propos
du Kronzeuge. Il y a fort à
parier que ces législations qui
veulent lutter -
par tout moyen -
contre les atteintes portées
à la Sûreté de
l'Etat ou contre le fléau
des drogues, surtout celles qui ont éclos depuis une vingtaine
d'années, ne pourraient
jamais démontrer leur
efficacité. Bien plus, ce type de
législation d'exception dont les dangers d'arbitraire et
d'interprétation - souvent dénoncés - entre
la police et les truands,
n'aboutit-il pas à une politique de tête
brûlée en quête de
terre à brûler: puisque plus
personne, pas même les forces de
l'ordre, ne respectent les règles du
jeu, pourquoi un
«méchant» obéirait-il encore
à un code
d'honneur10? En l'absence
de celui-ci, un bandit,
réduit à l'état sauvage, n'est pas
un danger, mais une calamité.
IV. La délation: un moyen policier à mettre sous
contrôle judiciaire?
Autant l'indicateur,
l'infiltrant est en
général absent de
la scène judiciaire,
autant le délateur, en
théorie à tout le moins, va être exonéré par un juge
au terme d'un procès
qui devrait être équitable.
D'emblée,
la notion de procès équitable perd
ici sa substance dans la mesure
où le délateur doit obligatoirement passer
aux aveux complets11.
Le délateur n'a
pas le droit
au silence. Mais il n'y a pas
non plus d'intérêt à assurer une défense qui expliquerait le pourquoi,
le comment de son geste. Le délateur trouvera d'ailleurs un
juge déguisé en appareil
automatique: ces législations
d'exception sont en effet d'ordre
public, le juge ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation. En
Belgique, par exemple, il est
enseigné que le juge est obligé
d'appliquer cette exonération
ou cette réduction dès que les
conditions légales se trouvent
réunies même s'il répugne à
accorder une faveur
qu'il considérerait imméritée ou immorale11.
Plus
préoccupante encore, est la
situation - après le procès - du délateur à qui il n'a
été demandé aucun regret,
qui n'a pas à présenter d'excuses, ni à s'engager
à ne plus prendre le chemin de la délinquance. Le délateur
récidiviste peut bénéficier
à l'infini d'une exonération. De toute façon aucune aide,
aucune probation ne lui sera proposée. Il sera relâché -
lâchement - ... dans la
jungle.
Aussi
l'argument qui voudrait
que la délation soit
entourée d'un plus
grand contrôle judiciaire, provoque un rictus -
nerveux - chez ceux qui ont
vécu un dossier de
ce genre.
La délation
est un pacte avec le diable qui se noue, par essence, sur
le terrain où le juge
est absent. La délation est un
tissu de connivences, qui le
plus souvent retient la légalité par
un fil si ténu qu'un
juge, en le manipulant, ne peut que le
casser: un véritable
contrôle judiciaire se solderait
immanquablement par un rejet quasi unanime de l'impunité. C'est donc un
leurre de croire que la délation pourra un
jour être réellement placée sous
le contrôle du pouvoir
judiciaire.
La délation,
comme la provocation, ne sont
efficaces qu'à l'ombre des ampoules
des tribunaux ou des lustres des Cours.
Comme déjà dit - tout
au plus - celles-ci, de temps
à autre, peuvent sonner l'arrêt
de trop d'excès. D'ailleurs,
si les
dés venaient à être trop pipés, il ne
se trouverait plus de
dupe...
V. La délation a
le vent en poupe: du
professionnalisme à l'amateurisme
Le milieu -
les forces du mal
- et les
forces de l'ordre ont pour
«métier» de s'affronter.
Les uns et les
autres alignent les
moyens qu'ils estiment les plus
efficaces pour des joutes
infinies. De temps
à autres, certains enjeux sont
exclus du ring. Il
en va ainsi de la vente
de l'alcool, et il en
ira de la vente
au détail ou
de la détention de drogues douces.
D'autres crimes
ou délits mettant
en cause les
structures de l'Etat
apparaissent avec les nouvelles technologies: la
criminalité en col blanc (celle
par exemple des délits d'initiés) voisine avec la
nouvelle criminalité politique.
De
temps à autre, les
acteurs changent: va-t-il falloir attendre longtemps encore avant de voir les lois
exempter les politiques de
toutes peines s'ils
dénoncent les magouilles de leurs dirigeants, tant -
paraît-il - le fléau de la corruption partisane empoisonne
les démocraties occidentales
? Il faut dire que des
parlementaires en Europe se sont
déjà auto-graciés en votant des lois réduisant la
prescription des délits entourant
le financement occulte de leur parti. L'exonération de
certains est dans l'air du
temps13 alors même que l'aggravation, voire le caractère
incompressible d'autres
peines, est requise,
toujours au nom du même bien
commun.
Si la
délation a le vent en
poupe, il ne faut pas s'étonner si cet
ersatz de preuves « s'amateurise»: la
délation prend place dans la grille
des jeux télévisés et tout
citoyen, calé dans son fauteuil, est
appelé à dénoncer, enquêter, participer en « direct
» aux poursuites. Le téléspectateur - comme Monsieur JOURDAIN, s'émerveillait de
faire de la
prose - réalise qu'en tenant d'une
main sa télécommande et de
l'autre son téléphone,
il joue «pour du vrai
» au justicier.
L'émoi
suscité en Belgique par la découverte
des crimes de pédophiles
tels M.
Marc DUTROUX, a d'ailleurs permis à la
gendarmerie d'ouvrir une ligne de
dénonciations, prise d'assaut, pour
trouver - à
la demande d'un juge d'instruction
- la piste de pédophiles et de leur
réseau. On sait les multiples
errements de ce
genre d'initiative dans
ce paisible Royaume qui a
mobilisé, au détriment d'autres
enquêtes, des centaines de gendarmes pour aboutir à des pistes farfelues, à des
délations vengeresses, et même à faire vaciller un vice- premier ministre,
sur base de ragots.
Certains se sont
délectés - toujours sans
preuve - dénonçant la vie sexuelle
des plus hautes personnalités
du régime.
Un palier
supplémentaire a été franchi en Belgique, quand quelques criminologues ont apporté leur
appui «scientifique» à une initiative
citoyenne qui voulait
susciter dans chaque quartier
des volontaires qui
afficheraient à leur
fenêtre un badge
ici la victime d'abus sexuels
peut sonner. Ces citoyens -
amateurs - sans autre
garantie que leur bonne
volonté (ou leur voyeurisme?), seraient
devenus les bonnes consciences, les refuges,
les gardiens de la vertu
vicinale. Ils auraient à leur tour constitué un tremplin pour « la
délation de quartier».
Enfin,
certains ont voulu élever les fonctionnaires au
rang de délateurs improvisés.
Un ministre, social
démocrate belge, a
voulu faire une expérience: il a
demandé que dans la ville de
Leuven et ses alentours,
les facteurs dénoncent
ce qu'ils trouvaient suspect
dans leur tournée. De quoi en attraper le tournis !
Heureusement qu'il s'est
trouvé un directeur des postes
pour refuser ce rôle que d'autres administrations semblent ne pas écarter: il est question que des chauffeurs de bus,
que des chômeurs mis au travail se doublent d'un délateur. L'insécurité que ces
agents délateurs feront
vivre aux hommes et
femmes aux carrefours, dans
les usines et les bureaux,
va-t-elle sécuriser la société?
VI. L'abolition de toute récompense à la délation
La morale éructe
toutes ces méthodes qui aboutissent à piéger l'autre. L'éthique
doit se démarquer d'un jeu de
société où les règles flottent au
gré des vents d'impuissance, de
faiblesse, voire de panique.
Le Droit doit,
quant à lui, contenir ce «mal nécessaire» que serait la
délation, afin que force
reste à l'ordre... démocratique.
Il n'est pas d'autre solution dans un
Etat qui tend à la transparence et qui veut
assurer sa pérennité, que de saborder
toute récompense à la délation.
Le délateur doit savoir
qu'il ne
sera plus payé, ni récompensé pour sa dénonciation.
Point d'exonération ou de réduction
de peine, point
de passe-droit. Seule,
si elle s'avère indispensable,
une protection du dénonciateur pourra lui être accordée le
temps nécessaire, et que soient
proscrits ces jeux malsains de
dénonciations collectives.
C'est
le prix à payer
pour que nos enfants n'aient pas à
dénoncer la mort de notre Etat de droit.
Georges-Henri Beauthier
Barreau de Bruxelles
NOTES
*-Barreau de Bruxelles.
1-Voir
l'étude de MARX G.T. - Undercover Police surveillance
in America, University of
California Press, 1988.
2-Cela va du policier qui
joue le rôle d'appât, jusqu'à celui du
pseudo-acheteur.
3-Cela s'appelle antifencing operations, honey-pot operations ou
buy-bust operations. Les policiers qui
s'infiltrent jouent au voleur,
gérant de bar, tour
à tour vendeur
ou acheteur de
drogue, pour ferrer
ensuite le méchant... quand ils ne
trébuchent pas eux-mêmes.
4-Arrêt
de la Cour
d'appel de Bruxelles
reproduit dans la Jurisprudence de
Liège, Mons et Bruxelles,
1994, 1135s.
5-Article 136 du
Code pénal.
6-Article 192 du Code
pénal.
7-Article 5 de
la loi du
12.3.1958, Moniteur belge du 14.3.1958.
8-Article 326 du
Code pénal.
9-Voir Marc PREUMONT, in Mélanges
offerts à Robert LEGROS, Ed.,
Université Libre de Bruxelles, Faculté de Droit, 1985.
10-Combien de policiers
n'ont-ils pas fait miroiter,
pour obtenir une
dénonciation, des récompenses
sous forme d'exonération de
peine, qui ne
sont qu'exceptionnellement, comme
en Belgique par
exemple, concrétisées ?
11-La
loi belge prévoit que
la révélation doit être
sincère et complète, que le
délateur doit tout avouer, et notamment
ce qui le
concerne personnellement, pour permettre au juge
de décider s'il
lui faut accorder une exemption
totale de peine ou seulement
une réduction !
12-Voir RIGAUX et TROUSSE,
Les crimes et les délits du
Code pénal, Tome 1, p. 83.
13-En
Belgique, il est question
également d'exonérer les
fraudeurs qui rapatrieraient l'argent
placé dans des paradis fiscaux.
La délation : l'impunité dénoncée
Georges-Henri Beauthier
In: Déviance et société. 1998 - Vol. 22
- N°4. pp. 427-433.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ds_0378-7931_1998_num_22_4_1675
Mohamed ZEMIRLINE
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