La Lance Sacrée, Sa Copie, et les Visions. (1)
Si Urbain II voyait sa Croisade comme un remède à un mal terrestre, il n'en était pas de même pour l'évêque du Puy Adhémar de Monteil, Légat du Pape, dont les chevaliers ne faisaient pas grand cas. Il est vrai qu'il était, lui, un chrétien sincère, ainsi que son ami Raymond de Toulouse, le Provençal détesté par les Francs. Il était cet homme cultivé à la provençale et sincère croyant de surcroît. Sa culture et sa moralité avaient fait l'admiration de l'empereur Alexis Comnène, lorsque celui-ci le comparait aux autres chevaliers, comme le rapporte Anna Comnèna, sa fille, dans son "Alexiade". Ni Adhémar, ni Raymond n'étaient aimés des Croisés. Ils étaient modérés en tout : ils ne voulaient pas que l'on prostitue le Christ avec des "excès" faits en son nom, aussi bien contre l'Infidèle que contre les chrétiens "schismatiques" de l'Orient.
Un
certain Pierre Bartholomé de l'"Armée" de Kio-Kio Pierre, dit Pierre
l'Hermite, en voulait particulièrement à Adhémar (l'hommage du vice à la
vertu). "On" le choisit donc pour une Vision dont on avait bien
besoin. C'était durant le Siège d'Antioche occupée par les Croisés. Cette cité
est sacrée pour la chrétienté : c'est là que, pour la première fois de
l'Histoire, fut prononcé le mot de "Chrétiens", pour nommer ceux
qu'on appelait jusqu'alors "Juifs de la secte des Nazaréens".
Il régnait la famine chez les assiégés, et les assiégeants
"Infidèles" devenaient de plus en plus dangereux. Que devait-on
faite? La stratégie sur les champs de bataille est essentielle dans une guerre,
mais le moral des combattants est d'une grande importance aussi. Comment donc
lutter contre la famine et maintenir le moral? Bartholomé et quelques bonnes
petites Visions de son cru feront l'affaire...
"Saint
André" se présente une nuit en Vision à Bartholomé (justement
Bartholomé!), pour se plaindre de la conduite d'Adhémar (justement d'Adhémar!).
Par la suite, en de nombreuses autres Visions, il donne même à Bartholomé un
"bon conseil" à valeur historique : il lui montre où se trouvent
exactement les restes métalliques de la pointe de la Lance sacrée. Cette Lance est celle avec laquelle un soldat romain (tiens,
je croyais que c'était les Juifs les "déicides") perça les Flancs du
Christ durant son Supplice. Cependant, comme par hasard, quelque temps
auparavant, ce Bartholomé avait participé à des travaux de terrassement en ce
lieu sacré de la
Cathédrale St. Pierre... Quand on rapporta l'affaire au Légat
du Pape qu'était Adhémar, le bon évêque du Puy n'y accorda aucun crédit, car il
savait que le dit fer de la
Lance était déjà pieusement gardé à Constantinople en tant que
relique. Tous les chevaliers, qui n'aimaient pas Adhémar, dirent alors qu'il
niait l'authenticité de la
Vision (et par conséquent du fer de la Lance), et qu'il haïssait
Bartholomé pour avoir été choisi par "Saint André" pour le sermonner.
Il faut dire ici que Bartholomé, de moeurs et de moralité pas très catholiques,
était l'homme fait sur mesure. On avait besoin de sa filouterie parce que la
famine régnait dans le camp des assiégés et qu'il était intéressant que
"Saint André" prescrive cinq jours de jeûne avant d'attaquer les
assiégeants (en fait, on avait besoin de cinq jours pour se préparer).
"Saint André" était un si bon "stratège"(!) qu'il
recommanda même aux Croisés de ne pas s'arrêter au cours de la bataille pour
piller le camp ennemi, comme il était de coutume de le faire. C'était là une
précaution stratégique : il fallait pouvoir poursuivre l'ennemi une fois
vaincu, sans que le pillage retarde les opérations d'anéantissement. Un drôle
d'expert en stratégie que ce "Saint André" apparaissant à Bartholomé!
Les
Visions étaient à la mode en ces temps-là. Il y en avait des sincères mais il y
en eut surtout, durant les Croisades, des comparables à celles de Bartholomé et
Kio-Kio Pierre!
"Une
nuit il crut entendre en songe Jésus Christ lui dire : "Debout
Pierre, et hâte-toi! je serai avec toi; car il est temps de purger les Lieux
Saints et de secourir mes serviteurs"."(2)
Ce
ne fut pas un Saint quelconque qui rendit visite à Pierre l'Hermite, ce fut le
"Christ" en personne. Nombreuses furent les Visions de cette sorte
destinées à relever le moral des Croisés. Par exemple, durant une bataille en
Cilicie, nombreux furent les visionnaires qui virent une "Armée de
Chevaliers Célestes" conduits par "Saint André", "Saint
Démètre" et "Saint Georges" en train de combattre aux côtés des
Croisés. Les "Infidèles" n'étaient d'ailleurs pas en reste en matière
d'aide céleste. Le Prophète d'Allah combattait aussi à la tête de ses Fidèles,
à cheval sur sa Jument blanche, ses concurrents Saints chrétiens!
Le
bon Dieu n'avait pas envoyé des renforts célestes aux Croisés seulement contre
les "Infidèles". Il avait fait des miracles pour les aider même contre
d'autres chrétiens, les "schismatiques" de Byzance. "Quarante
témoins oculaires" auraient vu l'Ange qui planta la bannière de Saint
Marc (des Marchands de Venise) sur la
Tour de Galata à Constantinople, durant la Quatrième Croisade
organisée en commun par l'innocent Saint Père Innocent III en collaboration
avec le Doge de Venise Dandolo. Une drôle de Vision cette fois-ci, où un Ange
se réjouit de voir une boucherie de chrétiens qui dura trois jours (hommes,
femmes, enfants et vieillards).
Il
n'est pas de mon intention ici de me moquer de toutes les Visions de l'histoire
de la chrétienté. Anatole France, qui n'était pas un croyant, a bien su
expliquer en deux grands volumes la sincérité des Visions de Sainte Jeanne
d'Arc. Cependant, celles des Bartholomé durant les Croisades...
BASILE Y.
Web :
basile-y.com
1/. Résumé tiré de A HISTORY OF THE CRUSADES, par Steven Runciman,
Volume I, pages 241 à 246 et 253.
2/. Henri Martin, HISTOIRE DE FRANCE, éd. Jouvet & Cie., Paris,
t.I, page 163.
Mohamed ZEMIRLINE
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