À Cordoue, l’évêché réécrit l’histoire de
la Mezquita
En
1984, l’Unesco inscrivait la
Mezquita de Cordoue au Patrimoine mondial de l’humanité.
Trente
ans plus tard, où est-elle passée ? Celle qui dans les guides touristiques
apparaît comme l’un des joyaux architecturaux de l’Andalousie, symbole de l’âge
d’or de la civilisation omeyyade et de « concorde » entre les
religions, a disparu des dépliants. L’exceptionnel monument demeure, mais le
diocèse, qui le gère, ne mentionne plus que la cathédrale.
A Cordoue, l’évêché réécrit
l’histoire de la Mezquita
Par Sandrine Morel, Le
Monde le 3
avril 2014
Une vive polémique secoue l’Andalousie depuis qu’une
plate-forme citoyenne, « Mosquée-cathédrale de Cordoue : patrimoine
de tous », a dénoncé en février « les tentatives continues
d’appropriation juridique, économique et symbolique de l’évêché de Cordoue ».
Forte de près de 185 000
signatures sur le site de pétition en ligne Change.org, elle demande que ne
soit plus employé seulement le terme de « cathédrale » pour qualifier
la mosquée-cathédrale et exige « la reconnaissance juridique de sa
propriété publique, une gestion transparente et la rédaction d’un code de
bonnes pratiques ». Le gouvernement régional andalou s’est saisi du
dossier et des personnalités publiques, comme l’écrivain Antonio Muñoz Molina
ou l’architecte Norman Foster, se sont jointes à la cause de la plate-forme.
L’opinion a ainsi découvert comment, ces dernières
années, le diocèse de Cordoue a procédé pour gommer le passé musulman de la
mosquée-cathédrale et asseoir son contrôle sur les lieux. En 2006, il a ainsi
inscrit, discrètement, la mosquée-cathédrale à son nom. « Si
l’administration ne s’y oppose pas, en 2016, elle deviendra dans les faits la
propriété de l’Eglise, explique Antonio Manuel Rodriguez, professeur de
droit à l’université de Cordoue et porte-parole de la plate-forme. Mais
notre principal souci est l’accentuation de la gestion confessionnelle des
lieux. »
Dans le dépliant, imprimé en 2009, la mosquée apparaît
ainsi sous le nom d’« intervention islamique », après la
destruction d’une église wisigothe du VIe siècle, la basilique Saint-Vincent,
par les « dominateurs musulmans ».La magnifique forêt de
colonnes, célèbre dans le monde entier, n’est mentionnée qu’à une reprise,
comme un « inconvénient » pour « célébrer la liturgie ».
En revanche, le dépliant insiste sur « la transformation chrétienne »,
la destruction du centre de la mosquée pour y construire le chœur d’une
cathédrale, dont l’intérêt artistique est mineur. « C’est inouï. La
mosquée est présentée comme une parenthèse dans un ensemble qui appartient aux
chrétiens quasiment depuis l’Antiquité. Comme si les musulmans avaient fait
quelques rafistolages à quelque chose qui existait avant », s’étonne
l’historien Bernard Vincent, directeur d’étude émérite au centre de recherches
historiques de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), après la
lecture du dépliant. « Ce texte ne contient pas d’erreurs mais des
interprétations qui témoignent d’une campagne pour revendiquer le contrôle
total sur la mosquée-cathédrale », continue l’historien français.
« Tentatives de prières de la part
de musulmans »
Pour l’Eglise, la mosquée-cathédrale lui appartient
depuis qu’en 1236, après la reconquête par Ferdinand III, elle a été consacrée
au culte catholique. « Jusqu’en 1998, l’Eglise ne pouvait pas inscrire
ses biens destinés au culte. Quand une nouvelle loi nous l’a permis, nous
avons, peu à peu, immatriculé nos lieux de culte. A Cordoue et ailleurs, se
justifie Pablo Garzon, porte-parole du diocèse. La différence est que ce temple
est très polémique. »
Polémique à cause des « tentatives de prière
de la part de musulmans »,éclaircit le jeune prêtre. Or, pour
l’Eglise, pas question de les laisser s’agenouiller devant le mihrab, la
magnifique niche de prières recouverte de mosaïques en or. Ses gardes de
sécurité relèvent rapidement ceux qui s’y essaient. Cette revendication n’est
pas nouvelle.
En 2006, l’ancien président de la communauté musulmane
de Cordoue, Mansur Escudero, avait envoyé une lettre au pape pour demander
l’autorisation pour les musulmans d’y prier. Pour montrer au monde qu’il lui
était impossible de le faire, il avait ensuite prié à l’extérieur de la Mezquita , en pleine rue.
En 2010, un groupe de musulmans autrichiens avait
essayé de prier dans la mosquée-cathédrale, provoquant des incidents avec les
gardes de sécurité. Peu après, le nouvel évêque, le très conservateur Demetrio
Fernandez, avait demandé aux autorités municipales de changer la signalisation
du monument et de remplacer le terme de mosquée-cathédrale par cathédrale.« On
ne fait pas la guerre au mot mosquée, sauf quand il est utilisé de manière
exclusive, se défend Pablo Garzon. Mais les travailleurs subissent une
pression continue, et nous y réagissons. »
Une forme d’« intégrisme »
La « pression » de la communauté
musulmane est devenue le prétexte pour une disparition symbolique de la mosquée
de Cordoue. Dans les années 1980 et 1990, le dépliant s’intitulait « La
mosquée-cathédrale ». En 1998, déjà, il était renommé « La
sainte église cathédrale », avec en sous-titre « ancienne
mosquée de Cordoue ». Aujourd’hui, le monument, qui reçoit 1,4 million
de visiteurs par an, n’est que cathédrale. « Nous respectons
l’utilisation liturgique catholique, précise M. Rodriguez. Mais il
est nécessaire qu’il y ait une gestion publique transparente et
aconfessionnelle en dehors des offices religieux. Et que la diffusion de
documents réponde à des critères scientifiques. »
Federico Mayor Zaragoza, directeur général de l’Unesco
entre 1987 et 1999, a
averti que « l’Unesco pourrait le déclarer monument ou espace culturel
en péril ». De fait, le secrétaire général du comité espagnol du
Conseil international des monuments et sites, chargé par l’Unesco du suivi des
sites inscrits, Victor Fernandez Salinas, a dénoncé une forme d’« intégrisme »cherchant
« à effacer les traces du passé ». Et de remarquer que ces
dernières années, « les lieux qui avaient un plus grand sens pour le
culte musulman ont été occupés avec des éléments qui renforcent le catholicisme ».
Fin 2012, une grande statue de San Juan de Avila a ainsi été placée non loin du
mihrab.
Le spectacle de son et lumière proposé lors de la
visite nocturne de la mosquée-cathédrale a également accru les tensions. Payé
par la mairie mais écrit par l’Eglise après que l’évêque a déclaré en 2008
qu’il « n’accepterait jamais que soit projetée sur les murs la vision
de chevaliers arabes », il offre une description orientée de la
mosquée, insistant sur l’influence byzantine et les prisonniers chrétiens
utilisés pour sa construction. « Après plus de cinq siècles se hisse de
nouveau la croix du Christ », conclut la première partie avec une
musique grandiloquente. Plus de la moitié de la visite est ensuite consacrée à
une description précise du chœur construit entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
Pourtant, Charles Quint, qui en avait autorisé les travaux après une polémique
entre les autorités de la ville, exprima ses remords : « Je ne
savais pas ce dont il s’agissait, sinon je n’aurais pas permis que soit touché
l’ancien ; pourquoi faites-vous ce qui peut être fait dans d’autres
endroits, et avez-vous défait ce qui était singulier dans le monde ? »
Sandrine Morel (Cordoue, correspondance)
Journaliste au Monde
Mardi 20 mai 2014
P.-S.
La pétition “Mosquée-cathédrale de
Cordoue : patrimoine de tous”, adressée au gouvernement de la province
d’Andalousie, a reçu jusqu’à présent – 19 mai 2014 – plus de 360 000 signatures.
SOURCES :
http://ldh-toulon.net/-histoire-et-colonies-.html
Le
Monde :
http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/04/03 /a-cordoue-l-eveche-reecrit-l-histoire-de-la-mezquita_4394631_3246.html
Mohamed ZEMIRLINE
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