L’ASTRONOMIE ARABE
« Le chaînon manquant »
JP. Maratrey - août 2009
Sommaire
Généralités
Le
moyen âge est une période de notre histoire occidentale qui ne laisse pas grande
trace de découvertes scientifiques. L’obscurantisme aidé par les débuts d’un
christianisme totalitaire et extrémiste a fait taire toutes les tentatives de
progrès.
C’est
au contraire la religion islamique qui a poussé les arabes à une meilleure
connaissance de l’astronomie.
L’histoire
de l’astronomie arabe renvoie aux travaux effectués par la civilisation
islamique entre le 9ème et le 16ème siècle, travaux
transcrits en langue arabe.
Les
arabes ne sont pas partis de zéro dans ce domaine, mais se sont inspirés, du
moins au début, des grands philosophes grecs, et en particulier du dernier
d’entre eux, Claude Ptolémée et de son ouvrage qui compilait, avec ses propres
solutions aux problèmes en suspens, les connaissances occidentales en ce
deuxième siècle après Jésus Christ : l’Almageste.
Le nom
original de cette
œuvre de Ptolémée
est « La composition
mathématique ». Les arabes,
très impressionnés par cet ouvrage, le qualifièrent de « megiste », du grec
signifiant « magistral, très grand », auquel ils ajoutèrent l’article définit
arabe al, pour donner al megiste qui devint almageste.
Au
début de cette histoire, l’astronomie stagnait donc depuis 7 siècles. Rien ne
s’est passé en occident entre Ptolémée
et le 9ème siècle,
mis à part
une légère différence
sur l’origine du
monde. Les anciens
grecs considéraient en effet
que l’univers n’avait
pas de commencement,
contrairement aux trois
religions monothéistes, dont l’islam, qui proposent une genèse de
l’univers.
L’état
des connaissances astronomiques de cette époque reposait sur les principes
suivants :
• La Terre est immobile au centre
du monde (et elle est ronde).
•
Tous les autres corps tournent autour de la Terre.
•
Le cercle étant la seule forme parfaite, ces autres corps tournent selon des
trajectoires circulaires.
Mais certaines
planètes ne suivent
pas ces règles
parfaites. Il fallait
rendre compte par
exemple de la rétrogradation apparente de Mars en introduisant
d’autres figures parfaites secondaires, encore des cercles.
Plus
la précision des mesures s’améliorait, plus il fallait utiliser ces « épicycles
» imbriqués. C’est vite devenu très compliqué et inextricable.
Ce
sont donc les arabes, reprenant au 9eme siècle ces théories, qui ont compris la
complexité du modèle, et ont cherché à revenir sur des bases plus saines et
plus simples, n’étant pas influencés par les religieux occidentaux de ce temps.
Les
arabes, et en particulier les musulmans, se sont intéressés à l’astronomie pour
des raisons très pratiques :
•
Se repérer dans le désert pour les populations nomades, ou en mer.
Mais
surtout pour motif religieux :
•
Déterminer les heures des cinq prières quotidiennes. Pas simple, avec des
durées du jour qui varient avec les saisons !
•
Prévoir le début du Ramadan, mois lunaire qui débute avec l’apparition du
premier fin croissant de Lune. Il fallu développer la géométrie sphérique pour
résoudre ce problème.
•
Déterminer la direction de La
Mecque , donc sa position géographique. Sans horloge fiable,
la longitude ne l’est pas…
Ces
raisons très quotidiennes, de la vie de tous les jours, n’ont pas empêché
certains savants arabes et/ou musulmans de spéculer plus théoriquement, et de
remettre en cause certains acquis datant de Ptolémée.
De plus, le Coran incite
les musulmans à étudier les astres. Il
énonce :
« C'est lui (Dieu) qui a placé pour vous les étoiles dans le
ciel afin que vous soyez dirigés dans les ténèbres sur la terre et sur les mers
»
Ils
développèrent des outils mathématiques nécessaires à leurs travaux, en
particulier les mathématiques héritées
des indiens. Ils
furent amenés, comme
certains de leurs
prédécesseurs grecs, à
confronter l’observation avec les théories, ancêtre de la méthode scientifique
moderne.
On
peut diviser cette période faste de l’astronomie arabe en deux grandes phases:
•
Du 9ème au 11ème siècle, phase préparatoire et critique
des modèles anciens.
•
Du 11ème au 16ème siècle, avec les avancées les plus
significatives, surtout en mathématiques, outil indispensable aux progrès
futurs.
Du 9ème
au 11ème siècle
Le travail
des astronomes arabes
s’effectue dans le
cadre des schémas
géométriques de Ptolémée.
Ils l’amélioreront et le critiqueront, par l’observation, en faisant
apparaître ses contradictions et sa complexité.
Le
début de l’astronomie arabe arrive avec le calife Al-Mamun qui régna sur Bagdad
entre 813 et 833. Sa cour était formée de gens lettrés et de scientifiques.
Al-Mamun fit
construire à Bagdad la «
Maison de la sagesse » qui regroupait les meilleurs esprits du royaume.
C’est
là que furent regroupés pour étude tous les manuscrits scientifiques connus de l’époque,
en, particulier les écrits grecs. C’était la plus grande bibliothèque depuis
celle d’Alexandrie.
Ces
ouvrages furent traduits en arabe, généralement par des érudits chrétiens ou
des juifs, car ils étaient les seuls à maîtriser à la fois l’arabe, le grec et
le latin.
Ne
se limitant pas aux anciens grecs ou romains, les arabes se tournèrent
également vers les sciences perses et surtout indiennes, héritières des
babyloniens.
Ils se
trouvèrent donc à
la tête d’une
bibliothèque énorme, d’une
incroyable richesse, mais
souvent contradictoire, ne représentant pas ou peu ce qu’ils pouvaient
eux-mêmes observer.
Néanmoins,
ils empruntèrent aux grecs, et l’améliorèrent, un instrument de mesure de
positions important : l’astrolabe.
Ils lui donnèrent
le nom de «joyau
mathématique ». Ils utilisèrent
également des sphères armillaires, des cadrans solaires …
L’astrolabe
permet de mesurer la position des étoiles, des planètes, de connaître l’heure…
Introduit plus tard en Europe par les arabes, l’astrolabe fut remplacé par des
instruments plus précis, comme le quadrant, le sextant ou l’octant.
Ils
mettront en œuvre la confrontation entre l’observation et les théories, comme
l’avait esquissé Ptolémée, et en contradiction avec les thèses de Platon ou
d’Aristote qui estimaient que la raison viendrait à bout de la compréhension de
la nature.
Pour
cela, ils construisent des observatoires avec des programmes complets
d’observation de la Lune
et du Soleil, ce qui leur fournit des données fraîches, récentes. Cette
confrontation a été le moteur des découvertes futures.
Ils
introduiront abondamment les mathématiques pour résoudre les problèmes, et en
particulier la trigonométrie et l’algèbre.
Al-Khwarizmi (783-850) dit Algorismus
Mathématicien,
géographe et astronome d’origine perse, il est membre de la « maison de la sagesse
». C’est
l’un des fondateurs
des mathématiques arabes,
s’inspirant des connaissances indiennes,
en particulier du
système décimal, des
fractions, des racines carrées…
On
lui doit le terme « algorithme ». Les algorithmes sont connus depuis
l’antiquité, et le nom latin d’Al-Khwarizmi (algorismus) sera donné à ces
suites d’opérations élémentaires répétées.
Il
est aussi l’auteur du terme « algèbre », qui est le titre de l’un de ses
ouvrages traitant du sujet. Il est aussi le premier à utiliser la lettre x pour
désigner une inconnue dans une équation. Il est surnommé « le père de l’algèbre
».
Statue
de Al-khwarizmi à Téhéran
Il
écrit le premier livre d’algèbre (al-jabr) dont la première page est
représentée ci-contre, dans lequel il décrit une méthode systématique de
résolution d’équations du second degré et propose un classement
de ces équations.
Elles sont énoncées
avec des mots,
pas en notation algébrique actuelle. La résolution
est géométrique, du type euclidien.
Les
indiens utilisent des nombres négatifs, mais il ne les accepte pas comme
solution des équations.
Il
introduit l’usage des chiffres que nous utilisons encore aujourd’hui. Ces
chiffres « arabes » sont en fait d’origine indienne, mais furent utilisés
mathématiquement par Al-Khwarzimi. Il adopte l’utilisation du zéro, inventé par
les indiens au 5ème siècle, et repris par les arabes par son
intermédiaire.
Il
établit des tables astronomiques (position des 5 planètes, du Soleil et de la Lune ) basées sur l’astronomie
hindoue et grecque. Il étudie la position et la visibilité de la Lune et ses éclipses, du
Soleil et des planètes. C’est le premier
ouvrage astronomique 100% arabe.
Un cratère de la Lune porte son nom.
Al-Farghani (805-880)
Né
à Ferghana dans l’actuel Ouzbékistan, il
écrit en 833 les « éléments d’astronomie », basés sur les connaissances
grecques de Ptolémée. Il est l’un des plus remarquables astronomes au service
de Al-Mamun, et membre de la «
maison de la sagesse ».
Il
introduit des idées nouvelles, comme le fait que la précession doit affecter la
position des planètes, pas que des étoiles. Son ouvrage sera traduit en latin
au 12ème siècle, et aura un grand retentissement dans les milieux très fermés
des astronomes d’Europe occidentale.
Il
détermine le diamètre de la
Terre qu’il estime à 10 500 km .
On
lui doit également un ouvrage sur les cadrans solaires et un autre sur
l’astrolabe.
1. L’inconnu est le mot « gezr »
(racine) ou « Shay » (chose) qui fut traduit en espagnol ancien par « xay »,
qui est devenu x.
2-2 égal sunya en indien. Traduit en
arabe par as-sifr, qui devient ziffer et zephiro. Ziffer donnera « chiffre »,
et zephiro,
« zéro ». C’est le dernier de tous les
chiffres arabes.
Al-Battani (850-929) dit Albatenius
Il
observe le ciel depuis la
Syrie. On le surnomme parfois « le Ptolémée des arabes ».
Ses
mesures sont remarquables de précision.
Il
détermine la durée de l’année solaire, la valeur de la précession des
équinoxes, l’inclinaison de l’écliptique.
Il
découvre que la direction de l’excentricité du Soleil est variable, sans aller
jusqu’à interpréter ce phénomène comme une trajectoire elliptique.
Il rédige
un catalogue de 489 étoiles.
On lui doit
la première utilisation
de la trigonométrie dans l’étude
du ciel. C’est une méthode beaucoup plus puissante que celle, géométrique, de
Ptolémée.
Son
œuvre principale est « Le livre des tables ». Il est composé de 57 chapitres.
Traduit en latin au 12ème siècle
par
Platon de Tivoli (en 1116), il influencera beaucoup les astronomes européens de
la renaissance.
Al-Soufi (903-986) ou Azophi
Astronome
perse, il traduit des ouvrages grecs dont l’almageste et améliore les
estimations des magnitudes d’étoiles.
En
964, il publie « Le livre des étoiles fixes », où il dessine des
constellations.
Il
semble avoir été le premier à rapporter une observation du grand nuage de
Magellan, visible au Yémen, mais pas à Ispahan.
De
même, on lui doit une première représentation de la galaxie d’Andromède,
probablement déjà observé avant lui. Il la décrit comme « un petit nuage » dans
la bouche de la constellation arabe du Grand Poisson.
Son
nom (Azophi) a été donné à un cratère de la Lune.
Al-Khujandi (≈940-≈1000)
Il
est astronome et mathématicien perse. Il construit un observatoire à Ray, près
de
Théhéran, comportant un énorme sextant, fabriqué en 994.
C’est
le premier instrument apte à mesurer des angles plus précis que la minute d’angle.
Il mesure avec cet instrument l’obliquité de l’écliptique, en observant les passages
au méridien du Soleil.
Il
trouve 23° 32’
19’’. Ptolémée trouvait 23° 51’ ,
et les indiens, bien plus tôt, 24°. Jamais l’idée de la variation naturelle de
cet angle ne vint aux arabes. Ils dissertèrent longtemps sur la précision des
mesures, ce qui fit avancer leur science.
Ibn Al-Haytam (965-1039) dit Alhazen
Mathématicien
et opticien né à Bassorah dans l’Iran actuel, il est sollicité par les
autorités égyptiennes pour résoudre le problème des crues du Nil. Sa solution
était la construction d’un barrage vers Assouan. Il renonça devant l’énormité
de la tâche (le barrage fut construit en 1970 !). Devant cet échec, il feignit
la folie jusqu’à la mort de son patron.
Il
fait un bilan critique des thèses de Ptolémée et de ses prédécesseurs, et écrit
«
Doutes sur Ptolémée ». Il dresse un catalogue des incohérences, sans toutefois
proposer de solution alternative.
Parmi
les incohérences qu’il relève, on peut citer la variation du diamètre apparent
de la Lune et du
Soleil, la non uniformité des mouvements prétendument circulaires, la variation
de la position des planètes en latitude, l’organisation des sphères grecques …
et, observant que la Voie
Lactée n’a pas de parallaxe, il place cette dernière très
éloignée de la Terre ,
en tous cas plus loin que la sphère sublunaire d’Aristote.
Malgré
ses doutes, il conserve la place centrale de la Terre dans l’univers.
Il reprend
les travaux des
savants grecs, d’Euclide
à Ptolémée, pour
lesquels la notion
de lumière est étroitement liée à la notion de vision :
la principale question étant de savoir si l’œil a un rôle passif dans ce processus
ou s’il envoie une sorte de fluide pour « interroger » l’objet.
Par
ses études du mécanisme de la vision, Ibn Al-Haytham montra que les deux yeux
étaient un instrument d’optique, et qu’ils voyaient effectivement deux images
séparées. Si l’œil envoyait ce fluide, on pourrait voir la nuit. Il comprit que
la lumière du soleil se reflétait sur les objets et ensuite entrait dans l’œil.
Mais pour lui, l’image se forme sur le cristallin…
Il
reprend les idées de Ptolémée sur la propagation rectiligne de la lumière,
accepte les lois de réflexion sur un miroir, et pressent que la lumière a une
vitesse finie, mais très grande.
Il étudie
la réfraction, déviation
d’un rayon lumineux
au passage d’un
milieu à un
autre, et prévoit
une modification de la vitesse de la lumière à ce passage. Mais il ne
put jamais calculer l’angle de réfraction (c’est Descartes qui le fit).
Il
trouve que le phénomène du crépuscule est lié à la réfraction de la lumière
solaire dans l’atmosphère, dont il tente de mesurer la hauteur, sans y
parvenir.
Déjà
connue dans l’antiquité, on lui doit une description très précise et
l’utilisation à des fins d’expériences, de la chambre noire (caméra obscura),
pièce noire qui projette une image sur un mur en passant par un petit trou
percé sur le mur d’en face.
Le résultat
de toutes ces
recherches optiques est
consigné dans son
«
traité d’optique » qu’il mit 6 ans à écrire et qui fut traduit en latin en
1270.
En
mécanique, il affirme qu’un objet en mouvement continue de bouger aussi
longtemps qu’aucune force ne l’arrête. C’est le principe d’inertie avant la
lettre.
Un
astéroïde porte son nom : 59239
Alhazen.
Al-Biruni (973-1048)
Certainement l’un
des plus grands
savants de l’islam
médiéval, originaire de
Perse, il s’intéresse à
l’astronomie, à la géographie, à l’histoire, à la médecine et aux mathématiques,
bref, à la philosophie en général. Il rédigea plus de 100 ouvrages.
Il
sera aussi percepteur des impôts, et un grand voyageur, en particulier en Inde,
où il étudia leur langue, leur religion et leur science.
A
l’âge de 17 ans, il calcule la latitude de sa ville natale de Kath (en Perse,
actuellement en Ouzbékistan).
A
22 ans, il a déjà écrit plusieurs ouvrages courts, dont un sur la projection
des cartes.
En
astronomie, il observe les éclipses de Lune et de Soleil. Il est l’un des
premiers à évaluer les erreurs sur ses mesures et celles de ses prédécesseurs.
Il constate une différence entre la vitesse moyenne et la vitesse apparente
d’un astre.
Il
mesure le rayon de la Terre
à 6 339,6 km
(le bon chiffre est 6 378
km ), résultat utilisé en Europe au 16ème siècle.
Lors
de ses voyages, il rencontre des astronomes indiens partisans de
l’héliocentrisme et de la rotation de la Terre sur son axe. Il sera toujours sceptique,
car cette théorie implique le mouvement de la Terre. Mais il se posera
la question : « voilà un problème difficile à résoudre et à réfuter ». Il
estime que cette théorie n’entraîne aucun problème sur le plan mathématique.
Il
réfute l’astrologie, arguant que cette discipline est plus conjecturale
qu’expérimentale.
En
mathématiques, il développe le calcul des proportions (règle de trois),
démontre que le rapport de la circonférence d’un cercle à son diamètre est
irrationnel (futur nombre pi), calcule des tables trigonométriques, et met au
point des méthodes de triangulations géodésiques.
Ali Ibn Ridwan (988-1061)
Astronome et
astrologue égyptien, il
écrit plusieurs ouvrages
astronomiques et astrologiques, dont
un commentaire d’un autre livre de Claude Ptolémée, la « Tetrabible ».
Il
observe et commente une supernova (SN 1006), sans doute la plus brillante de l’histoire.
On estime aujourd’hui sa magnitude, d’après les témoignages qui nous sont parvenus,
à -7,5 ! Elle est restée visible plus d’un an. Son rémanent n’est visible qu’en
rayons X, gamma ou radio, comme sur cette vue X de Chandra en fausses couleurs.
Il
explique que cette nouvelle étoile avait deux à trois fois le diamètre apparent
de Vénus, un quart de la luminosité de la Lune , et qu’elle se trouvait bas sur l’horizon
sud.
D’autres
observations occidentales corroborent cette description, et la place dans la
constellation du Loup.
Du 11ème
au 16ème siècle
Sur
les bases de la première phase, des observatoires plus importants sont
construits. Le premier d’entre eux, modèle des suivants, est celui de Marâgha,
dans l’Iran actuel. Leur but est d’établir des modèles planétaires, de comprendre
leur mouvement. Les architectes de ce premier observatoire sont Nasïr Al-Tûsî
(1201-1274) et AlUrdi ( ?-1266). L’école ainsi constituée aura son apogée avec
Ibn Al-Shâtir (1304-1375).
D’autres
observatoires suivront, comme Samarkand au 15eme siècle, Istanbul au début du
16ème siècle, et celui de Tycho Brahé en occident à la fin du 16ème siècle.
Les
nouveaux modèles ne sont plus d’inspiration Ptoléméenne, mais restent
géocentriques. La physique de l’époque refuse toujours de mettre la Terre en mouvement et de
l’enlever du centre du monde.
Ces
modèless’inspirent des épicycles grecs, en conservant les cercles, mais en les simplifiant.
Par
exemple, Al-Tûsî propose un système comprenant un cercle roulant à l’intérieur d’un autre
cercle de rayon
double. Ce système
transforme deux mouvements circulaires en un
mouvement rectiligne alternatif,
et explique les variations de la latitude
des planètes. En outre, il rend compte des variations des diamètres apparents des
astres.
Mais
pour aller plus loin, il faudra changer de philosophie, ce que les arabes se
sont refusés de faire. Ce changement interviendra avec la révolution
copernicienne, à la renaissance, dans laquelle la Terre perd son statut de
centre du monde.
Al-Zarqali (1029-1087) dit Arzachel
Mathématicien,
astronome et géographe né à Tolède en Espagne, il discute la possibilité du
mouvement de la Terre.
Comme d’autres, ses écrits seront connus des européens du 16
et 17eme siècle.
Il
conçoit des astrolabes, et établit les « Tables de Tolède », qui furent
utilisées par les grands navigateurs occidentaux comme Christophe Colomb, et
serviront de base aux « tables alphonsines ».
Il
établit que l’excentricité du Soleil varie, plus exactement que le centre du
cercle sur lequel tourne le Soleil s’éloigne ou se rapproche périodiquement de la Terre , en se mouvant sur un
cercle, bien sûr.
Un
cratère de la Lune
porte son nom, ainsi qu’un pont de Tolède sur le Tage.
Omar Khayyam (1048-1131)
Connu
pour sa poésie, il s’intéresse aussi à l’astronomie et aux mathématiques. Il
devient directeur de l’observatoire d’Ispahan en 1074.
Il
crée de nouvelles tables astronomiques encore plus précises, et détermine la
durée de l’année solaire avec une grande précision, au vu des instruments
utilisés. Elle est plus exacte que l’année grégorienne, créée 5 siècles plus
tard en Europe.
Il
réforme le calendrier persan en y introduisant une année bissextile (réforme
Djelaléenne).
En
mathématiques, il s’intéresse aux
équations du troisième degré en démontrant qu’elles peuvent avoir plusieurs
solutions (il en trouve certaines géométriquement).
Il
écrit plusieurs textes sur l’extraction des racines cubiques, et un traité
d’algèbre.
Al-Tûsî (1201-1274)
Astronome
et mathématicien, né à Tus dans l’Iran actuel, il fit construire et dirigea
l’observatoire de Maragha.
Il
étudie les travaux de Al-Khayyam sur les proportions, s’intéresse à la
géométrie.
Côté
astronomie, il commente l’almageste et le complète, comme plusieurs astronomes
(AlBattani…) avant lui. Il estime l’obliquité de l’écliptique à 23°30’.
Al-Kashi (1380-1439)
Mathématicien
et astronome perse, il assiste à une éclipse de Lune en 1406 et rédige plusieurs
ouvrages astronomiques par la suite.
C’est
à Samarkand qu’il passe le reste de sa vie, sous la protection du prince Ulugh
Beg (1394-1449) qui y
a fondé une
université. Il devient
le premier directeur
du nouvel observatoire de
Samarkand.
Ses
tables astronomiques proposent des valeurs à 4 (5 selon les sources) chiffres
en notation sexagésimale de la fonction sinus. Il donne la manière de passer
d’un système de coordonnées à un autre.
Son
catalogue contient 1018 étoiles.
Il
améliore les tables des éclipses et de visibilité de la Lune.
Dans
son traité sur le cercle, il obtient une valeur approchée de Pi avec 9
positions exactes en notation sexagésimale, soit 16 décimales exactes ! Un
record, puisque la prochaine amélioration de l’estimation de Pi date du 16ème siècle
avec 20 décimales.
Il
laisse son nom à une généralisation du théorème de Pythagore aux triangles
quelconques. C’est le théorème d’Al-Kashi.
Il
introduit les fractions décimales, et acquiert une grande renommée qui fait
qu’il restera le dernier grand mathématicien astronome arabe, avant que
l’occident ne prenne le relais.
Ulugh Beg (1394-1449)
Petit
fils de Tamerlan, prince des Timourides (descendants de Tamerlan), il accède au
trône en 1447. C’est un remarquable savant et un piètre politicien, charge
qu’il délègue pour s’adonner à la science. Son professeur est Qadi-zadeh Roumi (1364-1436) qui développe chez
lui le goût pour les mathématiques et l’astronomie.
Il fait
bâtir plusieurs écoles
dont une à
Samarkand en 1420
où il enseigne,
et un observatoire en 1429.
Il
y travaille avec quelque 70 mathématiciens et astronomes (dont Al-Kashi) pour
rédiger les « tables sultaniennes » parues en 1437 et améliorées par Ulugh Beg
lui-même peu avant sa mort en 1449.
La
précision de ces tables restera inégalée pendant plus de 200 ans, et furent
utilisées en occident.
Elles
contiennent les positions de plus de 1 000 étoiles. Leur première traduction
date d’environ l’an 1500, et fut réalisée à Venise.
Taqi Al-Din(1526-1585)
Après
une période où il est théologien, il devient astronome officiel du sultan
à Istanbul. Il y construit un
observatoire dont le but est de concurrencer ceux des pays européens, dont
celui de Tycho Brahé. L’observatoire est ouvert en 1577.
Il
dresse les tables « Zij » (La perle intacte). Il est le premier à utiliser la
notation à virgule, plutôt que les traditionnelles fractions sexagésimales en
usage.
Il
observe et décrit une comète, et prévoit qu’elle est le signe de la victoire de
l’armée ottomane. Cette vision se révèle fausse, et l’observatoire est détruit
en 1580…
Il
se consacre ensuite à la mécanique, et décrit le fonctionnement d’un moteur à
vapeur rudimentaire, invente une pompe à eau, et se passionne pour les horloges
et l’optique.
La
destruction de l’observatoire d’Istanbul marque la fin de l’activité
astronomique arabe du moyen-âge. Il faudra attendre la révolution copernicienne
pour voir de nouveaux progrès, et quels progrès !
Copernic et ses successeurs se sont certainement fortement
inspirés des résultats des arabes par l’entremise de leurs ouvrages.
Les voyages
et les contacts
directs entre scientifiques
de l’époque étaient
rares. Les occidentaux
ne comprenant pas l’arabe, ce sont les traductions en latin qui ont
probablement influencés l’occident, avec, il faut le reconnaître, les ouvrages
de certains philosophes grecs qui avaient remis en cause la position centrale
de la Terre ,
comme Aristarque de Samos l’avait proposé vers -280.
Les observatoires
arabes
L’observatoire
moderne, dans sa conception, est un digne successeur des observatoires arabes
de la fin du moyen-âge.
A l’inverse
de l’observatoire privé
des philosophes grecs,
l’observatoire islamique est
une institution astronomique spécialisée,
avec ses propres
locaux, du personnel
scientifique, un travail
d’équipes avec observateurs et
théoriciens, un directeur et des programmes d’études. Ils ont recours, comme
aujourd’hui, à des instruments de plus en plus grands, afin d’améliorer
constamment la précision des mesures.
Le
premier de ces observatoires est construit sous le règne d’Al-Mamoun (la maison
de la sagesse) en Irak actuel au 9ème siècle.
Nous
avons déjà parlé de l’observatoire de Ray, proche de Théhéran, avec son
monumental sextant mural en 994. Il faut y ajouter ceux de Tolède et Cordoue en
Espagne, de Bagdad, d’Ispahan.
Les
plus réputés ne furent établis qu’à partir du 13ème siècle avec
Marâgha au nord de l’Iran actuel, construit en 1259 avec les fonds prélevés
pour entretenir les hôpitaux et les mosquées. Al-Tusi y travailla.
Vint
ensuite l’ère de Samarkand, construit en 1420 par Ulugh-Beg, dont les vestiges
ont été retrouvés en 1908 par une équipe russe.
Observatoire
de Samarkand (réconstitution)
Le
plus grand sextant du monde
Terminons ce
tour d’horizon des
grands observatoires arabes
par celui d’Istanbul,
édifié dans sa
partie européenne en 1577 par Al-Din pour concurrencer les observatoires
occidentaux.
Observatoire
d’Istanbul
Les instruments
Notre
connaissance des instruments d’astronomie arabes nous vient d’une part de
collections privées et des musées, d’autre part des descriptions faites dans
des manuscrits sauvegardés ou transmis jusqu’à aujourd’hui.
Les
musulmans ont perfectionné les instruments des grecs, chaldéens ou indiens déjà
existants, en ajoutant de nouvelles échelles nécessaires aux prédictions
religieuses comme la direction de la
Mecque ou les heures des prières.
Les astrolabes
L’astrolabe
est sans doute l’instrument le plus répandu dans le monde arabe de cette époque.
Il est construit en laiton. Le plus ancien spécimen arabe date de 927.
Au
10ème siècle, on recensait un millier d’utilisations de l’astrolabe,
en astronomie bien sûr, mais aussi en astrologie, en navigation, en
topographie, dans la mesure du temps ou l’établissement des multiples données
religieuses.
Un
astronome nommé Ibn Yunus releva plus de 10 000 positions du Soleil pendant des
années en se servant d’un astrolabe d’un diamètre de 1,40 m .
Les
premiers astrolabes avec engrenages sont apparus au tournant de l’an 1000.
AlBiruni en conçut un comportant 8 roues dentées. Ce sont les ancêtres des
horloges astronomiques mises au point ultérieurement par les ingénieurs arabes.
Les
premiers astrolabes donnaient les positions des levers et couchers du Soleil et
des étoiles fixes. Arzachel construisit au 11ème siècle le premier
astrolabe universel ne dépendant plus de la latitude du lieu d’observation, utilisable
partout sur Terre. Il se répandit rapidement en Europe sous le nom de « Scaphée».
Enfin,
Al-Sijzi proposa un astrolabe héliocentrique dans lequel la Terre est mobile. C’est le «
Zouraqi ».
Les « calculateurs »
Des
« calculateurs » analogiques firent leur apparition, comme celui d’Arzachel en
1015, ainsi que les premiers planisphères du ciel, proposés par Al-Biruni au 11ème
siècle.
C’est
ce même Al-Biruni qui inventera le calendrier luni-solaire perpétuel à
engrenages.
Gerber,
vers 1000-1150 , inventa le «
Torquetum » (ou turquet), instrument d’observation et calculateur analogique.
Il permettait de relever la position des astres, et de les convertir en coordonnées
horizontales, écliptiques et équatoriales.
Al-Kashi
inventa au 15ème siècle la « Plaque des conjonctions », calculateur
des dates des conjonctions planétaires.
Le
torquetum
Les cadrans solaires
Les
musulmans apportèrent une importante contribution à la théorie des cadrans
solaires venue de leurs prédécesseurs indiens et grecs. C’est Al-Kwarizmi qui
rédigea les premières tables permettant leur fabrication et leur lecture
simple.
Ils
donnaient les heures de prières lorsqu’ils étaient placés au fronton des
mosquées.
Leur
gros défaut était de marquer des heures inégales, variables selon la saison.
Sur le cadran, le jour était divisé en 12 segments égaux, ce qui impliquait des
jours plus courts en hiver, et plus longs en été.
Al-Shâtir
innova en 1371 en remarquant que si le style du cadran est parallèle à l’axe
des pôles, les heures sont égales tout au long de l’année.
Ce
concept sera exporté en occident en 1446.
Les horloges
Les
observatoires étaient équipés d’horloges astronomiques très performantes.
Al-Djazari
(1135-1206) construisit une horloge à eau monumentale, qui animait les effigies
des étoiles, de la Lune
et du Soleil.
Al-Din
inventa la première horloge à ressort et le premier carillon qui sonnait les
heures fixes.
Il
inventa aussi l’« horloge d’observation », qu'il décrit comme « une
horlogemécanique à trois cadransdonnant les heures, les minutes, et les
secondes. »
C'était la
première horloge à
mesurer le temps
en secondes, et
il l'utilisa spécifiquement pour
mesurer l’ascension droite des
étoiles. On considère que c'est l’une des plus importantes innovations
d'astronomie pratique du 16ème siècle, dans la mesure où les
horloges précédentes n'étaient pas assez précises pour l'astronomie. Il
améliora encore cette horloge en n'utilisant plus qu'un cadran pour indiquer
les heures, minutes et secondes. Il décrit cette horloge d’observation comme «
une horloge mécanique à cadran unique affichant les heures, minutes et secondes
où nous avons divisé chaque minute en cinq secondes ».
Les globes
Il
ne subsiste pas d’exemple arabe de la sphère armillaire des grecs. Par contre,
ils ont fabriqué des astrolabes sphériques, comme celui représenté ci-contre.
Mais
les globes les plus spectaculaires sont les globes célestes d’une seule pièce,
sans soudure, par la méthode de la « cire perdue ». Ils sont l’œuvre au 16eme siècle,
des artisans Moghols, sous le règne d’Akbar-leGrand.
La
fabrication de tels instruments est une prouesse et un haut fait de cette
époque. Le plus ancien remonte à 1589 et est l’œuvre de l’orfèvre du Cachemire
Ibn Luqman. Il en subsiste une vingtaine dans le monde.
Les quadrants
Les
arabes mirent au point d’innombrables quadrants dont le spécialiste et
précurseur était AlKhwarizmi. Il imagina le quadrant à sinus qui servait aux
calculs astronomiques, le quadrant horaire qui donnait l’heure par
l’observation des astres à une latitude déterminée, le quadrant Vetus qui
servait à trouver les heures des prières à toutes les latitudes.
Quadrant
inventé par Al-Khwarizmi,
peint
par Tycho Brahé
Les instruments d’optique
Al-Biruni
utilisa un « tube d’observation », vide, sans optique, pour concentrer son
observation sur une région précise.
La
première description de l’usage d’une lentille, une loupe, est due à Alhazen en
1021 dans son traité d’optique.
Mais
c’est Al-Din qui imagina un « appareil à voir à longue distance ». Dans son «
livre de la lumière et de la pupille et de la vérité des images » de 1574, il
écrit que « cet instrument fait apparaître des objets éloignés plus près qu’ils
ne sont ». Il aurait écrit un autre livre, perdu aujourd’hui, dans lequel il
décrirait la fabrication de cette lunette primitive. Il n’est nulle part
précisé une quelconque utilisation vers le ciel.
Les autres instruments
La
boussole à aiguille aimantée aurait fait son apparition en 1282 dans un traité
d’astronomie
du sultan Al-Ashraf.
L’alidade
est un instrument servant à mesurer des angles.
Le
compendium était une fusion d’une alidade et d’un cadran solaire.
Une
alidade
Et
bien d’autres…
Des étoiles
Plusieurs
noms d’étoiles, utilisés encore de nos jours, nous viennent des arabes, comme
par exemple :
•
Algol : l’ogre
•
Aldébaran : le serviteur, la suivante
•
Algenib : l’aile (de Pegase), le flanc
•
Alioth : la queue grasse
•
Alnitak : la ceinture
•
Altaïr : le vautour ou l’aigle volant
•
Albireo : l’oiseau
•
Alcor : le golfe, le cheval noir, le taureau
•
Bételgeuse : l’épaule du géant
•
Dubhe : l’ours
•
Dénébola : la queue du lion
•
El Nath : le coup de corne
•
Enif : le naseau (de Pégase)
•
Caph : la main
•
Déneb : la queue
•
Formalhaut : la bouche du poisson
•
Megrez : la racine de la queue
•
Merak : le bas ventre
•
Mirfak : le coude
•
Mizar : la robe
•
Phecda : la cuisse
•
Rigel : le pied
•
Saïf : l’épée
•
Véga : le vol de l’aigle, le vautour qui s’abat
D’autres
mots du domaine de l’astronomie sont également d’origine arabe :
Algebre : du nom de l’ouvrage de Al-Khwarizmi.
Algorithme : déformation du nom de Al-Khwarizmi.
Azimut et zénith ont la même
racine arabe signifiant direction.
Nadir : vient de nazir, signifiant opposé.
Mais
la plupart des mots du langage astronomique est d’origine grecque ou latine.
En conclusion
Les
arabes sont le chaînon manquant (occidental) entre les grecs et la renaissance.
Ils ont appris beaucoup des anciens grecs, puis ont critiqué certains de leurs
acquis, les ont améliorés.
Mais,
pour des raisons religieuses, ils n’ont jamais vraiment admis que le centre du
monde pouvait ne pas être la
Terre , ce qui a limité leurs progrès.
Copernic,
Galilée et les autres, en occident, se sont à leur tour inspiré des arabes pour
conduire cette révolution de l’esprit qu’est l’adoption du mouvement de la Terre.
SOURCE :
JP. Maratrey - août 2009
Mohamed ZEMIRLINE
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