Comment de Teodomiro on devient Tadmir ben Godos
Avant que les Wisigoths (en espagnol "Godos") envahissent l'Espagne au VIme siècle, les habitants de la Péninsule Ibérique étaient des chrétiens catholiques. Envahis et envahisseurs se distinguaient les uns des autres par leurs qualités ethniques respectives de Romanos pour les premiers (ils ne s’appelèrent "Espagnols" qu'à partir du XIIIme siècle (1)...) et Godos pour les seconds. Cependant, il n'y avait pas que leurs ethnies pour les distinguer : la nuance romano du christianisme était en concurrence religieuse avec la nuance godo. Cette dernière, au lieu de se soumettre à l'Eglise Catholique Apostolique et Romaine se réclamait de l'Hérésiarque Arius. Ce n'étaient donc pas des catholiques mais des Ariens. Cependant, gens pratiques, les Godos n'ayant pas réussi à persuader les Romanos qu'avec Arius on s'approchait mieux du bon Dieu, ils finirent par devenir aussi catholiques. C’était très astucieux, car le pays conquis vivait ainsi sous "Un seul Roi, une seule Foi"...
En 711, moins de deux siècles après l'arrivée des Godos en Espagne, y arrivèrent également les Arabes musulmans. Ils amenèrent, eux, sur la Péninsule le pluralisme religieux qui reconnaissait à chacun le droit d'adorer Dieu à sa façon. Sous leur domination, il n'était plus obligatoire de pratiquer la religion de son roi. Cependant, ce furent les moeurs des Godos importées en Espagne qui furent à l'origine de la victoire foudroyante des Arabes. Le royaume instauré en Espagne par les Godos fut un vrai "Panier de Crabes". Le dernier des rois wisigoths fut Rodrigo. Il périt dans les eaux du Guadalete en se battent héroïquement (comme un vrai Godo) contre les Arabes. Ces Arabes avaient été appelés en Espagne par le comte wisigoth Julián et l'évêque également wisigoth, Opas. Ces derniers étaient parents du roi Witiza que Rodrigo avait renversé en lui crevant les yeux. Il imitait en cela sa victime qui était montée sur le trône en crevant les yeux du roi wisigoth Teodofredo (2), père de Rodrigo. Une vraie histoire de Wisigoths..."bons chrétiens".
Tout cela parce qu'ils ne connaissaient pas encore la monarchie héréditaire. Il y régnait la traditionnelle démocratie militaire germanique : quand le roi mourait, on élisait pour lui succéder le meilleur chef militaire. Ainsi celui qui avait hâte de ceindre la couronne avant la mort naturelle du roi, n'avait qu'à faire comme Rodrigo ci haut.
Ce fut dans ces circonstances que l'Armée du Caïd arabe Abd-el-Aziz ben Mouza, venant victorieuse de Séville et se dirigeant vers Murcie, s'arrêta à Orihuela où s'était retranché le chef des armées wisigoths d’Andalousie Teodomiro. Abd-el-Aziz se mit alors à l'assiéger. Mais laissons à un historien espagnol le soin de nous conter cette historiette des Mille Et Une Nuits :
"Grande
fut sa surprise (de Abd-el-Aziz) voyant les murailles de la ville couronnées
d'une masse de guerriers. Il se préparait, nonobstant, à donner l'assaut, quand
il vit sortir de la cité un jeune gaillard qui, se dirigeant vers lui,
sollicitait un entretien de la part du chef godo. L'Arabe le fit entrer sous sa
tente, écoutant avec la plus grande courtoisie les propositions de paix du
chevalier chrétien. À la suite de cette célèbre entrevue fut rédigé un document
des plus curieux de cette époque, dont voici le texte :
"Écrit d'Abd-el-Aziz, fils de Mouza, pour Tadmir ben Godos (Teodomiro, fils des Wisigoths) : que la paix lui soit accordée, qu'elle soit pour lui une stipulation et un pacte de la part de Dieu et de son Prophète. À savoir : qu'il ne se fera guerre ni à lui ni aux siens; qu'il ne sera dépossédé ni aliéné de son royaume; que les fidèles (c.-à-d. les Arabes) ne tueront ni mèneront en captivité, ni sépareront les chrétiens de leurs femmes et enfants; ni leur feront violence pour ce qui concerne leur religion; que leurs temples ne seront pas incendiés(...) sans autres obligations de sa part que celles stipulées ci-dessous..."" (3)
Ces
obligations étaient celles du vasselage, comme était la coutume en ces temps en
Europe même entre chrétiens. Après avoir conclu ce traité, poursuit l'historien
Lafuente se référant à des chroniques de l'époque, Abd-el-Aziz demanda à connaître
personnellement Teodomiro. Le chevalier chrétien se découvrit au jeune Arabe
être lui-même "Tedmir ben Godos". Surpris, les Arabes voulurent
célébrer l'astuce de leur adversaire par un banquet. À la suite des agapes, ils
demandèrent à voir ces nombreux guerriers qui couvraient la veille les
murailles de la ville. Alors Teodomiro leur fit une deuxième surprise, leur
disant qu'il s'agissait là d'un stratagème, que ces "guerriers"
étaient des femmes déguisées et munies de casques et de lances! "Les
Arabes rirent aux éclats de l'astuce de Teodomiro et cela établit une
confraternité entre le chevalier chrétien et le musulman Abd-el-Aziz",
conclut Lafuente. (3)
BASILE Y.
Web :
basile-y.com
1/. Americo Castro, REALIDAD HISTORICA DE ESPAÑA, Mexico 1971, page 29.
2/. Modesto Lafuente, HISTORIA GENERAL DE ESPAÑA, Barcelone 1887, tome
II, page 67.
3/. Modesto Lafuente, ouvrage cité, tome II, pages 91 et 132.
Mohamed ZEMIRLINE
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