Un Salvador qui n'était pas LE Salvador
Les chrétiens de France appellent le Christ "Le Sauveur", mais de cette apposition à Son nom ils ne firent jamais un prénom de baptême. Les Espagnols, pour lesquels SAUVEUR se prononce SALVADOR, en ont fait un prénom très populaire, comme chacun sait. Cela amena parfois à des confusions impies, telles qu'on se demande comment l'Eglise de San Isidoro ne les avait pas prévues. Il est vrai que l'Eglise d'Orient a fait pire : non seulement elle a vulgarisé l'apposition Sauveur (Sotiris en grec) mais le nom du Christ lui-même a subi le même traitement. Ceci dit, la question n'est pas là pour notre historiette. Ce n'est qu'une entrée en matière pour faciliter la compréhension du fait historique qui va suivre, et qui montre combien les fils spirituels d'Alexandre VI prostituèrent l'image du Christ en Amérique.
Quand la Conquista se terminait à un endroit, on s'y installait pour "christianiser" les "pauvres sauvages sans religion". Les colons auxquels on confiait cette tâche (ou plutôt qui se confiaient cette tâche) étaient surtout des ex-conquistadores qui s'accaparaient les Indiens survivants de leur Conquista. Une fois "gagnés", on marquait leur visage au fer rouge avec les initiales de l'Encomendero. "Encomendero" voulait dire en ces temps un personnage auquel on "encommandait" (confiait à ses soins) des hommes administrativement mineurs, desquels ils devaient prendre soin... et ils les "soignaient"!
Il y eut une fois alors en "Nouvelle Espagne" (comme les conquistadores avaient appelé le Mexique après l'avoir conquis) un encomendero prénommé SALVADOR, qui "christianisait" les Indiens qu'on lui avait "encommandés" comme ils avaient tous coutume de le faire. Cette coutume consistait à les faire mourir au travail avec pas grand chose dans le ventre. Mais pour raconter cette historiette, passons plutôt la plume à un historien et saint homme à la fois, qui vécut cela sur place, s'en indigna et le rapporta par ces mots :
"...un
moine franciscain, prêchant aux Indiens de ce Salvador comment Dieu était le
Sauveur (Salvador) du Monde, et qu'il était bon et faisait du bien aux hommes,
ceux-ci commencèrent à cracher et blasphémer de Salvador, disant qu'il n'était
qu'un homme méchant et cruel qui les affligeait et les tuait, croyant que le
religieux était en train de louer ce pécheur de Salvador".
Cette historiette est courte mais en dit long sur la
méthode de "Christianisation". Las Casas a rapporté cette historiette
"amusante" dans le tome III, page 101, de son Œuvre (1). Au
tome II, pages 523-524, il en rapporte une autre qui fait rire aujourd'hui mais
n'en avait pas fait rire le héros :
Quand
les conquistadores eurent terminé la "pacification" de l'Ile "La Española", cette
grande île qui abrite aujourd'hui deux Républiques (Saint-Domingue et Haïti),
il y eut un Cacique (chef Indien) qui échappa à leur "pacification".
Il avait réussi à se réfugier à Cuba pas encore "pacifiée". On sait
ce que "Pacification" veut dire. En France même, un certain Gallieni
"pacifia" lui aussi des Soudanais, des Indochinois et des Malgaches.
Pacifiés, In Pace Requiem. Car il n'y a pas eu que les
"pacificateurs" d’Espagne au sein du "monde civilisé", et
les Espagnols n'ont pas été les pires. Qu'on aille demander aux survivants des
Noirs d'Afrique du Sud comment Sir Cecil Rhodes, le grand diamantaire, pacifia
leurs ancêtres. Du si beau travail de mission civilisatrice que, pour perpétuer
sa mémoire, les Anglais du Zimbabwe dont il fut le conquistador donnèrent son
nom à ce pays, l’appelant Rhodésie. On pourrait demander également aux
survivants namibiens "pacifiés" par le général allemand Goering,
digne père de son fils Hermann Goering, maréchal de Hitler, ou aux survivants
des Wagogos de l'Afrique de l'Est "pacifiés" par le général von
Tothra. Qu'on aille encore demander les bienfaits de la
"Pacification" aux survivants des Peaux-Rouges, pacifiés à 90% par
des "Pacificateurs" made in USA. Enfin, tout le monde sait
aujourd'hui ce que le mot "Pacification" a signifié, prononcé par
l'Homme Blanc à l'adresse des "Peuples primitifs".
Revenons cependant à la deuxième historiette rapportée par le bon Las Casas, concernant le Cacique Indien Hatuey qui s'était réfugié à Cuba. En 1511 les conquistadores finirent par conquérir cette île aussi, et le pauvre Hatuey tomba prisonnier en leurs mains. Pour se venger de l'audace qu'il avait eue de défendre son peuple contre les envahisseurs de leurs terres, ils le condamnèrent au bûcher. Le tuer ne leur suffisait pas; ils voulaient le voir griller au feu de bois. Passons encore une fois la plume au Père dominicain las Casas :
"....
et il se produisit alors une lamentable circonstance : quand ils voulurent
le brûler, étant attaché au poteau du bûcher, un Père franciscain s'approcha de
lui et lui dit qu'il valait mieux qu'il meurt chrétien en se faisant baptiser
(avant le supplice). Il répondit alors : "Pourquoi faire comme font
les chrétiens qui sont des hommes méchants?". Alors le Père
répliqua : "Parce que ceux qui meurent chrétiens vont au Ciel, et là
ils voient toujours Dieu et sont heureux". Hatuey redemanda si les
chrétiens allaient au Ciel. Le Père répondit alors oui; ils y vont s'ils sont
bons. Sur ce Hatuey répondit qu'il ne voulait pas aller au Ciel, puisque les
chrétiens y vont aussi."
Ainsi
le chef Indien Hatuey préférait plutôt aller en Enfer que de se retrouver avec
des chrétiens au Paradis. Des chrétiens de l'espèce conquistadores
naturellement.
Une autre maintenant, rapportée par un moine historien
espagnol, Fray Agustin Dávila Padilla :
"Il
était très coutumier que les Indiens fuient dans les montagnes et se pendent,
maris, femmes et enfants, pour en finir avec la vie par une mort moins cruelle
que ce qu’ils vivaient entre les mains de ceux qui les affligeaient. Un
encomendero apprit un jour que de nombreux Indiens de sa propriété s'étaient
mis d’accord pour se pendre en groupe. Il attendit le moment de la mise en
exécution de leur décision, et s'en alla au lieu de leur réunion portant dans
ses mains une corde. Au moment où les Indiens étaient en train d'exécuter leur
propre service funèbre par anticipation, avant de se suicider, ils voient
arriver leur patron affublé de son blason et de sa corde. Ils lui demandèrent
étonnés ce qu'il venait faire. Il leur répondit qu'ayant appris qu'ils avaient
décidé de s'en aller à l'autre vie, et comme ils lui appartenaient, il voulait
aussi se suicider en même temps pour aller avec eux, afin qu'ils continuent de
le servir là-haut comme ici-bas. Les Indiens décidèrent alors de ne pas se
pendre, puisqu'ils ne voulaient le faire que pour se libérer de lui."(2)
Ils
continuèrent donc de travailler pour lui "ici-bas", en attendant de
faire bientôt le grand voyage libérateur, pour lequel l'encomendero ne les
accompagnerait pas tout de suite.
BASILE Y.
Web :
basile-y.com
1/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica,
Mexico 1951.
2/. Fray Agustin Dávila Padilla, HISTORIA DE LA FUNDATIÓN Y DISCURSO DE LA PROVINCIA DE SANTIAGO DE MEXICO DE LA ORDEN DE LOS PREDICATORES, éditions Academia Literaria, Mexico, 1955, page 313.
2/. Fray Agustin Dávila Padilla, HISTORIA DE LA FUNDATIÓN Y DISCURSO DE LA PROVINCIA DE SANTIAGO DE MEXICO DE LA ORDEN DE LOS PREDICATORES, éditions Academia Literaria, Mexico, 1955, page 313.
Mohamed ZEMIRLINE
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