SALADIN
SALAH EDDINE
Richard
Cœur de Lion et Saladin.
Saladin2
ou Ṣalāḥ ad-Dīn Yūsuf (en arabe: صلاح الدين يوسف) né à Tikrit
en 1138 et mort à Damas le 4 mars 11 933 est le premier dirigeant de la dynastie
ayyoubide, qui a régné en Égypte de 1169 à 1250 et en Syrie de 1174 à 1260.
Lui-même
dirige l’Égypte de 1169 à 1193, Damas de 1174 à 1193 et Alep de 1183 à 1193.
Son nom, an-Nāsir, signifie « celui qui reçoit la victoire de Dieu » et Saladin
signifie la « rectitude de la Foi
». Il est connu pour avoir été le principal adversaire des Francs installés
durant le dernier tiers du XIIe siècle et l’artisan de la reconquête de
Jérusalem par les musulmans en 1187.
S O M M A I R E
BIOGRAPHIE
Yûsuf,
fils d'Ayyûb, est né à Tikrit sur le Tigre d'origine kurde originaire de Dvin,
l'Arménie antique 4. Peu après sa naissance, sa famille quitte Tikrit et se rend
à la cour de Zengi 5, atabeg de Mossoul. Ce dernier nomme Ayyub gouverneur de
Baalbek et Shirkuh (oncle de Saladin) officier dans son armée 6.
La conquête
de l’Égypte
En
1163, Nur ad-Din, le fils de Zengi, envoie Shirkuh rétablir Shawar au vizirat.
Nur ad-Din, sunnite, était peu enclin à intervenir dans les affaires du califat
fatimide chiite, mais il ne peut pas se permettre de laisser les Francs occuper
le pays. La première expédition se termine par un demi-succès, Shawar est
rétabli, mais n’a pas versé les indemnités à Shirkuh. En 1167, une seconde
expédition est envoyée en Égypte, au cours de laquelle Saladin accompagne son
oncle. Saladin assure notamment la défense d’Alexandrie, pendant que Shirkuh
combat en Haute Égypte. Finalement, une paix est conclue entre Égyptiens,
Francs et Zengides et les armées franques et zengides évacuent l’Égypte. En
1169, une troisième expédition permet à Shirkuh de s’emparer du vizirat, mais
il meurt peu après, le 23
mars 11 69. 7.
Les
conseillers du calife fatimide Al-Adid lui conseillent de nommer Saladin comme
vizir, espérant profiter de sa jeunesse et de son inexpérience. Mais Saladin ne
se laisse pas contrôler et remplace les fonctionnaires égyptiens dont le
loyalisme n'est pas jugé à toute épreuve par ses proches. L’homme de confiance
du calife, un eunuque du nom d’al-Mûtamen al-Khilâfa, tente de faire appel aux
Francs, mais son message est intercepté et Saladin le fait discrètement
décapiter le 20
août 11 69. La garde noire, dont les membres étaient très liés aux
fonctionnaires disgraciés, se révolte, mais Saladin envoie son frère Fakhr
al-Dîn Tûranshâh les combattre et les gardes sont massacrés après deux jours de
combats très rudes, le 23 août. Saladin fait venir auprès de lui la plupart des
membres de sa famille et les installe en Égypte sur des domaines confisqués à
de riches propriétaires qui avaient soutenu la révolte 8.
Le
16 octobre 11 69,
l’armée franque menée par le roi Amaury Ier de Jérusalem quitte Ascalon et
atteint l’Égypte le 25 octobre et, rejointe par une flotte byzantine, met le
siège devant Damiette. Saladin pressent que la situation au Caire n'est pas
sûre et craint une révolte s'il quitte la ville pour défendre Damiette. Il
envoie une armée commandée par son oncle Sihab al-Din Mahmoud et son neveu Taqi
al-Din Omar, qui réussit à ravitailler Damiette et à la doter d'une garnison.
Finalement, la mésentente s'installe entre Francs et Byzantins et le siège est
levé le 19 décembre9. Amaury tente ensuite de conclure une alliance avec
Saladin contre Nur ad-Din, sentant que Saladin commence à envisager son
indépendance vis-à-vis de Nur ad-Din 10.
Saladin
entoure la capitale d'un mur de calcaire qui s'étend d'al-Qahira jusqu'à Fustat
et le Nil. Au centre de ce système défensif se trouve la Citadelle , d'où le nouveau
souverain gouverne le pays. Ouverte désormais au peuple, al-Qahira, dont les
palais sont démolis, abrite les caravansérails, les souks et les demeures des
commerçants, des artisans et des bourgeois du nouveau régime 11.
En
décembre 1170, il tente une incursion dans le royaume de Jérusalem sur Daron,
mais Amaury Ier l'oblige à battre en retraite 12. En 1171, Nur ad-Din, sunnite,
lui ordonne d'abolir le califat chiite d'Égypte et de placer le pays sous
l'autorité morale du calife abbasside de Bagdad, Al-Mustadhî bi-'Amr Allah.
Saladin hésite, car il tient son poste du calife : abolir le califat risque de
compromettre la légitimité de son pouvoir. Finalement, un habitant de Mossoul
en visite au Caire monte en chaire et prononce la prière au nom du calife de Bagdad
le 10 septembre 11 71.
Al-Adid, mourant, n'est pas informé de l'événement et meurt peu après 13.
L'abolition
du califat fatimide donne une dimension internationale à Saladin, qui ne se
contente pas d'un simple rôle de gouverneur au nom de Nur ad-Din. Malgré les
déclarations de soumission et de vassalité, il cherche à se rendre indépendant,
trouve toujours un prétexte pour ne pas rejoindre les troupes de Nur ad-Din
lors d'actions contre les Francs. Il charge également Shams al-Dawla Tûrân
Shâh, un de ses frères, de faire la conquête du Yémen pour se ménager une terre
de repli et de refuge. Les Francs profitent de ces dissensions pour fomenter
une révolte chiite en Égypte, mais elle est découverte et écrasée par Saladin
le 6 avril 11 74 14.
À la même époque, Nur ad-Din prépare une expédition pour soumettre Saladin,
quand il meurt à Damas le 15 mai 11 74 15. Le 11 juillet, c'est au tour d'Amaury Ier
de décéder 16.
L’œuvre
de Saladin
En
1174, le contexte politique du Levant devient très favorable à Saladin : à
Jérusalem, le roi Amaury Ier meurt en laissant le royaume à un fils mineur,
Baudouin IV le Lépreux. Le régent, Miles de Plancy, ne prend pas toujours les
bonnes décisions vis-à-vis de l’Égypte et le royaume se place dans une position
défensive. À Alep, Nur ad-Din laisse également un enfant, As-Salih Ismail
al-Malik, mais les lieutenants de Nur ad-Din luttent pour la régence, et un
neveu écarté du pouvoir se révolte.
"Saladin
rex Aegypti", manuscrit du XVe siècle
Durant
les vingt années qui lui restent à vivre, Saladin se consacre à deux tâches:
- d’abord,
reprendre à son compte le programme de Zengi puis de son fils Nur ad-Din et
unifier les musulmans de Syrie et d’Égypte sous une seule autorité pour faire
bloc contre les Francs et pour éviter que les actions d’un émir ne
compromettent le Djihad, comme ce fut le cas par le passé ;
- ensuite
lutter contre les Francs, reprendre les territoires qu’ils occupent en
Palestine et les chasser du Levant.
L'unification du Proche-Orient musulman
Occupation de Damas (1174)
Nur
ad-Din laisse trois gouverneurs dans chacune des villes principales de son
royaume. Ibn al-Dâya gouverne Alep, Ibn al-Muqaddam Damas, où se trouve le
prince héritier, et Gümüchtekîn Mossoul. Gümüchtekîn se rend à Damas, emmène
avec lui le prince As-Salih Ismail, puis se rend à Alep, qui est la capitale du
royaume zengide, et s’installe au pouvoir en écartant Ibn al-Dâya. Pendant ce
temps, Saif ad-Din Ghazi, neveu de Nur ad-Din, profite de l’absence de
Gümüchtekîn pour s’emparer de Mossoul. À Damas, Ibn al-Muqaddam, apprenant la
prise de pouvoir de Gümüchtekîn, s’inquiète et offre Damas à Saif ad-Din Ghazi
; mais ce dernier, occupé à consolider sa prise de pouvoir à Mossoul, ne peut
pas intervenir. Ibn al-Muqaddam fait alors appel à Saladin, qui pénètre dans la
ville le 27
novembre 11 74, accueilli par une foule en liesse qui n’a pas oublié
les périodes où Ayyub et Shirkuh étaient gouverneurs de la ville. Il maintient
une fiction de régence en proclamant qu’il n’est que l’humble sujet d’Al-Salih
Malik et qu’il n’intervient en Syrie que pour protéger les intérêts du jeune
prince face aux Francs17.
Les contre-attaques zengides (1175 et 1176)
Saladin
fait ensuite route vers le nord, prend Homs le 10 décembre 11 74, Hama le 28 décembre
et se présente devant Alep le 30 décembre. Mais la ville refuse de se rendre ;
Al-Salih n’hésite pas à haranguer la foule malgré ses douze ans, rappelant les
bienfaits de son père et l’ingratitude de Saladin. En même temps, le régent
fait appel aux Ismaëliens, qui tentent d’assassiner Saladin mais échouent, et
aux Francs, qui, sous la conduite du nouveau régent Raymond III de Tripoli
assiègent Homs, obligeant ainsi Saladin à lever le siège d’Alep le 1er février
1175 pour secourir Homs18.
Le
chef de la famille zengide, l’atabeg de Mossoul Saif ad-Din Ghazi II (cousin de
As-Salih Ismail) envoie au printemps 1175, en Syrie,une armée commandée par son
frère Izz ad-Din Mas’ud, qui fait sa jonction avec les troupes d’Alep puis
marche vers le sud de la
Syrie. Saladin offre de rendre Homs et Hama contre le retour
de l’armée, mais les zengides exigent également Damas. Saladin engage alors le
combat le 23 avril
11 75 à Qurûn Hamâ et bat les Zengides. Après cette victoire, il
cesse définitivement de faire allégeance aux Zengides, de faire battre monnaie
et de faire dire la prière au nom d’As-Salih Ismail. Il se proclame prince
souverain. Il assiège même le prince à Alep et ne lève le siège qu’après que le
prince a accepté le protectorat ayyoubide19.
Au
printemps 1176, Saif ad-Din Ghazi II rassemble une coalition des émirs de la Jazira et du Diyarbékir,
tente une ultime attaque avec les troupes d’Alep commandées par Gümüchtekîn. La
bataille est engagée contre Saladin le 22 avril 11 76 à Tell al-Sultân et se solde de
nouveau par une victoire de Saladin. Profitant de son succès, ce dernier
s’empare des forteresses de Bizâ’a et de Menjib, coupant les communications
entre Alep et Mossoul, et assiège Alep le 26 juin, mais toujours sans succès,
tant les Alépins sont acharnés à défendre leur indépendance. Il s’attaque
ensuite aux Ismaëliens, après une seconde tentative d'assassinat contre lui le 22 mai 11 7620 et
assiège une de leurs villes citadelles, Masyaf, en mai-juin 1176, mais doit
également abandonner le siège21.
La poursuite de la lutte (1179 à 1181)
Des
guerres contre les Francs ne lui permettent pas de poursuivre l’unification
dans les deux années qui suivent, et ce n’est qu’en 1179 qu’il reprend
l’offensive, cette fois contre Kılıç Arslan II, sultan seldjoukide du Roum, qui
attaque Raban, appartenant à un vassal de Saladin dans le Commagène. Puis deux
princes zengides meurent, Saif ad-Din Ghazi à Mossoul le 29 juin 11 80 et Al-Sahil
Ismail à Alep le 4
décembre 11 81. À Saif ad-Din succède son frère Izz ad-Din Mas’ud
Ier, également désigné comme successeur par Al-Sahil Ismail. Saladin, qui se
trouvait alors en Égypte, ne peut pas profiter des périodes de troubles qui
accompagnent une succession. Izz ad-Din Massud est accueilli avec enthousiasme.
La ville de Hama se révolte également par loyalisme zengide et malgré la
présence d’un gouverneur ayyoubide ; Izz ad-Din Massud aurait peut-être pu reprendre
Damas s’il avait fait preuve d’audace, mais il laisse passer sa chance. Pire,
il cède aux récriminations de son frère Imad ad-Din Zengi et lui cède Alep en
échange de Sinjar, brisant ainsi l’unité de l’empire zengide22.
Occupation d'Alep (1183)
En
septembre 1182, Saladin reprend l’offensive contre Izz ad-Din Mas'ud, prend
Édesse et occupe la
Jazîra. Puis il met le siège devant Mossoul le 10 novembre 11 82.
Izz ad-Din fait alors appel à tous les émirs voisins qui interviennent et
montrent leur soutien à Mossoul de sorte que Saladin, qui ne veut pas voir sa
réputation de chef du djihad contre les Francs entaché par ses ambitions, fait
marche arrière et lève le siège. De plus, les Zengides avaient passé des
accords avec Baudouin IV, roi de Jérusalem, qui entreprend des opérations de
diversion23.
Après
avoir tenté en vain de prendre Mossoul, Saladin se présente devant Alep au mois
de mai 1183. La population est dans les mêmes dispositions que lors des sièges
précédents et la cité paraît imprenable. Mais Imad ad-Din Zengi, avare de
nature, hésite à rémunérer les défenseurs et préfère s’entendre avec Saladin.
Il lui cède Alep moyennant la possession de plusieurs places fortes, Sinjar,
Raqqa, Saruj et Nisibin, où il se retire le 12 juin 11 83 avec ses richesses,
quittant Alep sous les huées de la population. L’unification de la Syrie était terminée et
Mossoul, dirigée par un prince de petite envergure, ne risquait pas d’inquiéter
Saladin qui en deviendra même le suzerain24.
La lutte contre les Francs
Même
si l’unification de la Syrie
musulmane est restée son objectif principal jusqu’en 1183, Saladin n’a pas
hésité à combattre les Francs, d’une part quand il pouvait tirer parti d’une
opportunité, d’autre part pour asseoir sa position et sa réputation de meneur du
djihad contre les Francs.
Saladin
à l'assaut de Jaffa.
Face à Baudouin le lépreux
Bataille
de Montgisard
La
première occasion survient en novembre 1177. Thierry d’Alsace, comte de Flandre
est arrivé avec son armée, et les Francs en profitent pour lancer des
opérations contre Hama (octobre 1177) puis Harim (novembre 1177). Par ses
espions, Saladin apprend que la plus grande partie des forces franques se
trouvent ainsi occupée dans le nord de la Syrie ; il décide de lancer une attaque dans le
sud du royaume de Jérusalem en partant de l’Égypte. La garnison templière de
Gaza résiste et Saladin laisse la ville pour assiéger Ascalon, défendue par
Baudouin IV qui, prévenu à temps, a pu réunir une petite armée pour résister.
Saladin commence à établir un siège, puis estimant qu’il n’a plus d’armée entre
lui et Jérusalem, lève le camp et prend la direction de Ramla et de Lydda. Mais
la discipline de ses troupes, trop confiantes, se relâche, et les émirs
commencent à piller le pays. Pendant ce temps, Baudouin a quitté Ascalon et
fait la jonction avec les Templiers de Gaza, et entreprend un mouvement
tournant qui attaque l’armée de Saladin, désorganisée, sur son flanc. La
surprise est totale et Saladin subit le 25 novembre 11 77 à Montgisard une sévère
défaite 25.
Saladin
prend sa revanche deux ans plus tard. Le 10 avril 11 79, au retour d’un raid autour de
Damas, Baudouin IV et le connétable Onfroy II de Toron sont attaqués dans la
forêt de Panéas par un neveu de Saladin. Baudouin parvient à s’échapper, mais
Onfroy est tué dans l’engagement. Le 10 juin 11 79, les chevaliers de Baudouin, qui
se précipitent sur Saladin sans attendre les fantassins et morcellent ainsi
leur armée, causent la défaite franque lors de la Bataille de Marj Ayoun.
Fort de son succès, Saladin assiège en août le château du Gué de Jacob.
Baudouin avait entamé la construction de cette forteresse quelques mois
auparavant pour contrôler le passage du Jourdain et protéger Jérusalem contre
les incursions musulmanes. Le 23 août 11 79 il lance ses troupes contre la place forte,
la prend et le fait détruire. Mais une sécheresse épuise les ressources de
Damas et Baudouin et Saladin concluent une trêve en mai 1180. Cette trêve ne
concerne que le royaume de Jérusalem et Saladin tente une incursion dans le comté
de Tripoli, avant de conclure une autre trêve avec le comte Raymond III 26.
Renaud
de Châtillon, ancien prince d’Antioche, avait été libéré en 1177, après une
captivité de seize ans à Alep. Il avait alors épousé Étiennette de Milly, dame
d’Outre-Jourdain. Ce seigneur brigand profite de la position de son fief sur la
route reliant Damas à l’Égypte pour attaquer et piller les caravanes
musulmanes, au mépris des trêves et malgré les rappels à l’ordre de Baudouin.
Au printemps 1182, Renaud viole une nouvelle fois la trêve et capture quinze
mille pèlerins qui se rendent à la
Mecque ; Baudouin veut les faire relâcher, sans succès.
Saladin concentre une armée à Damas et Baudouin réunit l’ost pour défendre le
krak de Moab, dans l’Outre-Jourdain, mais un neveu de Saladin, Farrûk-Shah, en
profite pour effectuer une importante razzia en Galilée. En juin, Saladin tente
d’envahir la Samarie ,
mais Baudouin le tient en échec. Au mois d’août, il attaque Beyrouth, mais
l’arrivée de l’armée de Baudouin l’oblige à lever le siège. Alors Saladin
délaisse les Francs et entreprend des campagnes contre les Zengides, qui se
terminent avec la prise d’Alep en 1183 27.
La
situation devient très précaire pour les Francs, presque encerclés par les
possessions de Saladin. De plus, la lèpre dont souffre Baudouin s’aggrave, et
ce dernier doit confier la lieutenance générale du royaume à son beau-frère Guy
de Lusignan. En octobre 1183, Saladin envahit la Galilée et Guy de Lusignan
se porte à sa rencontre. Les deux armées se font face aux Fontaines de Tubanie,
mais les barons francs constatent qu’ils sont dans une posture défavorable et
refusent d’engager le combat qu’ils jugent perdu. Ils tiennent toutefois leur
position et Saladin est contraint de se replier 28.
Peu
avant, Renaud de Châtillon avait conçu une expédition particulièrement
audacieuse pour prendre La
Mecque. Sa flotte part au début de l’année 1183 et se dirige
vers les abords de Médine et de La Mecque. Mais Al-Adel, qui gouverne alors l’Égypte
pour son frère Saladin, envoie une escadre qui détruit la flotte franque. Les
membres de l’expédition sont capturés et décapités, et une haine inexpiable
oppose désormais Saladin à Renaud de Châtillon. En novembre, Saladin attaque de
nouveau le krak de Moab, mais Baudouin, gravement malade, fait convoquer son
armée pour obliger Saladin à lever le siège le 4 décembre 11 83. Saladin retente le
siège vers la mi-août 1184, mais une nouvelle intervention du roi de Jérusalem
l’oblige à battre retraite le 4 septembre 11 84 29.
Baudouin
IV meurt le 16 mars
11 85 et son neveu Baudouin V, ou Baudouinet, âgé de neuf ans, lui
succède sous la régence du comte Raymond III de Tripoli. Ce dernier entreprend
une politique de paix avec Saladin qui permet à ce dernier de s’attaquer de
nouveau à Mossoul, mais sans succès. Des dissensions apparaissent au sein de sa
famille et il commence à remplacer aux postes clés ses frères par ses fils. Sur
ce, Baudouin V meurt en septembre 1186 et Guy de Lusignan monte sur le trône 30.
Guy de Lusignan, Hattin et la prise de
Jérusalem
Saladin
et Guy de Lusignan après la bataille de Hattin,
peinte
par Jan Lievens en 1625.
Guy
de Lusignan n’a été accepté comme roi par les barons qu’avec réticences et
seulement grâce au soutien de barons comme Josselin III d'Édesse, Renaud de
Châtillon et Gérard de Ridefort, le maître du Temple. Ces derniers sont
favorables à une reprise de la guerre contre Saladin, alors que le parti de
Raymond III de Tripoli préfère temporiser et attendre la mort de Saladin, qui
ne manquera pas de susciter des querelles de succession 31.
La
bataille de Hattin
C’est
encore Renaud de Châtillon qui rompt les trêves en attaquant et en pillant au
début de l’année 1187 une caravane dans laquelle se serait trouvée la sœur de
Saladin32. Saladin demande réparation à Renaud qui refuse, puis à Guy de
Lusignan qui se révèle incapable de faire obéir son vassal 33.
Pour
châtier Renaud de Châtillon et en finir avec les Francs, Saladin lance un appel
au jihad au printemps 1187 et les troupes musulmanes commencent à se rassembler
à Damas. En mai, il part ravager la seigneurie d’Outre Jourdain. Puis il fait
une incursion sur Séphorie où il défait et massacre une armée templière. Au
mois de juin, il attaque et assiège Tibériade et Guy de Lusignan décide de se
porter à sa rencontre pour le combattre. La bataille est livrée le 4 juillet à
Hattin et l'armée croisée, encerclée après une marche épuisante, et assoiffée
est anéantie. Une grande partie de la noblesse franque, dont Guy de Lusignan,
Renaud de Châtillon, Gérard de Ridefort est capturée. Renaud de Châtillon est
exécuté peu après par Saladin d'un coup de sabre, ainsi que tous les Templiers
et les Hospitaliers 34.
Les
chrétiens quittant la ville sainte, défilant devant Saladin
Son
secrétaire Imad ed-Din indique que Saladin « ordonna qu’ils soient décapités35,
choisissant de les voir morts plutôt qu’emprisonnés. Un cortège d’érudits
islamiques et de soufis et un certain nombre d’hommes dévots et ascétiques
l’accompagnaient ; chacun d’entre eux sollicitait d’être autorisé à participer
à l’exécution, et tirait son sabre, et remontait ses manches. Saladin, le
visage gai, siégeait sur son estrade ; les infidèles affichaient un noir
désespoir »36.
N’ayant
que peu de résistance face à lui, Saladin entreprend la conquête du royaume de
Jérusalem. Pour éviter d’être pris à revers par des renforts chrétiens, il
commence par prendre les ports du royaume, au cours de l’été 1187. Seul la
ville de Tyr, défendue par Conrad de Montferrat résiste avec succès au siège de
Saladin. Ayant ainsi assuré ses arrières, il se rend avec son armée à Jérusalem
et met le siège devant la ville le 20 septembre 11 87, assurant qu’il fera subir aux
chrétiens le même sort que celui des musulmans lors de la prise de Jérusalem.
Mais la ville, défendue par Balian d'Ibelin, résiste et accepte de se rendre
contre la vie sauve de ses habitants, moyennant le paiement d’une rançon37.
Il
permet aux chrétiens de quitter les villes conquises et de regagner sains et
saufs la côte avec une partie de leurs biens, fait rare pour l'époque et qui
lui vaut l'estime de ses adversaires. À Jérusalem, il rend à l'islam l'église
du Temple (mosquée Al-Aqsa) mais laisse aux chrétiens le Saint-Sépulcre et rend
aux juifs leurs synagogues, supprimées par les Croisés. Cette mansuétude fait
beaucoup pour l'édification de l'image du « Chevalier de l'islam ».
Saladin
s’attaque ensuite à la conquête du comté de Tripoli et de la principauté
d'Antioche durant l’année 1188, mais ne parvient pas à prendre leur capitale,
malgré la complicité de Sibylle de Burzey, femme de Bohémond III, prince
d’Antioche, qui renseigne Saladin sur les mouvements de troupes et sur les
dispositions des Francs. De même Renaud de Grenier, comte de Sidon, résiste
avec succès dans le château de Beaufort38.
La Troisième
croisade
En
plus d’assurer avec succès la défense de Tyr, Conrad de Montferrat envoie des
messagers pour avertir l’Europe de la situation critique des états latins
d’Orient. À ces nouvelles, le pape lance un nouvel appel à une nouvelle croisade
auquel répondent les principaux souverains, Frédéric Ier Barberousse, empereur
germanique, Philippe II Auguste, roi de France et Richard Cœur de Lion, roi
d’Angleterre39. Au printemps 1190, Saladin s’inquiète de la prochaine arrivée
de l’armée de Frédéric Barberousse, qui a vaincu les Seldjoukides du Roum à
Qonya, mais l’empereur se noie en Cilice et son armée se disperse40.
Pendant
ce temps, pour contrer l’efficacité de Conrad de Montferrat, Saladin libère Guy
de Lusignan en août 1189, espérant que la médiocrité de ce dernier paralyse
Conrad, mais ce dernier refuse à Guy l’accès de Tyr. Guy de Lusignan décide
alors d’assiéger la ville d’Acre avec une poignée de chevaliers. Peu à peu
l’armée assiégeante s’accroît de nouveaux arrivants, d’abord des rescapés de la
croisade germanique, puis d’un détachement franco anglais conduit par le comte
Henri II de Champagne et enfin des rois de France et d’Angleterre et de leur
armée. Saladin tente de multiples attaques pour dégager la ville, appelle tous
les princes musulmans au jihad, mais ne peut empêcher sa prise le 12 juillet 11 9141.
Puis,
alors que Philippe Auguste rentre en France, le roi Richard et son allié le
grand-maitre de l'Ordre du Temple, Robert de Sablé entreprennent la conquête du
littoral et déjouent la tactique de harcèlement que Saladin inflige aux
croisés. Les deux armées s’affrontent à Arsouf le 5 septembre. Cependant,
Richard n’exploite pas ses succès et ne saisit pas l’occasion qui aurait pu lui
permettre de reprendre Jérusalem, et finit par conclure un traité de paix avec
Saladin, reconnaissant la possession du littoral aux Francs et celle de
l’hinterland palestinien aux Ayyoubides42.
Malgré
une grande maladresse diplomatique de la part de Richard peu après la prise de
Saint-Jean-d'Acre, la relation entre les deux hommes était mêlée de respect et
de rivalité militaire. Quand Richard fut blessé, Saladin offrit le service de
son médecin personnel, Moïse Maïmonide ; à Arsuf, quand Richard perdit son
cheval, Saladin lui en envoya deux en remplacement. Lors des négociations, il y
eut même le projet de marier la sœur de Richard, Jeanne d'Angleterre, avec
Al-Adel, frère de Saladin43. Richard et Saladin arrivèrent à un accord pour
Jérusalem en 1192 aux termes duquel la cité resterait musulmane mais serait
ouverte aux pèlerins chrétiens44.
Peu
après le départ de Richard, Saladin meurt dans la nuit du 3 au 4 mars 11 93 à
Damas45. On peut lire sur sa tombe: « Seigneur, accorde-lui sa dernière
conquête, le paradis ».
Le personnage
Statue
de Saladin à Jérusalem, devant la citadelle de David.
Saladin
n'a jamais porté officiellement le titre de sultan, qui lui est pourtant donné
par de nombreux contemporains. Il estimait que ce titre, correspondant au «
bras séculier » du califat, revenait de droit aux Seldjoukides d'Iran. C'est
seulement après l'élimination des Seldjoukides par les Mongols que les Ayyubides
s'attribueront ce titre.
Éloge
de Saladin par Usama ibn Munqidh qui fut l'un de ses compagnons d'armes :
«
Plaise à Dieu d'embellir l'islam et ses fidèles en donnant longue vie à Salâh
ad-Dîn, en les aidant par le tranchant de son épée et ses décisions, en les
abritant dans l'ampleur de son ombre ! Et comme il a, pour eux, lavé de toute
impureté les sources de ses mérites, puisse-t-il de même soumettre la terre à
son très haut pouvoir de commander ou de défendre, et les têtes de ses ennemis
à la sentence de son sabre46. »
Le
même ne se prive pas par ailleurs de trouver Saladin d'une brutalité excessive.
Au cours d'une bataille près de Homs la pluie a rendu le sol impraticable pour
les chevaux. Les fantassins se battent en corps à corps, l'un d'entre eux
s'éloigne pour se réfugier dans Homs :
«
Salâh ad-Dîn était posté avec moi, et nous regardions devant nous ces
fantassins. L'un d'eux courut rejoindre ceux de Homs, auxquels il se mêla.
Salâh ad-Dîn, qui l'avait vu dit à l'un de ses compagnons :
–
Amenez ici l'homme qui était à côté du fuyard !
Quand
ce fut fait, il demanda :
–
Quel était celui qui se trouvait à côté de toi et s'est enfui pour aller à Homs
?
–
Par Dieu, Seigneur, répondit le fantassin, je ne le connais pas.
–
Tranchez-le par le milieu ! Ordonna Salâh ad-Dîn [... Usâma essaie vainement
d'adoucir la peine ...]
Salah
ad-Din dit :
–
Quand quelqu'un déserte, on prend celui qui était à ses côtés et on lui coupe
le cou, ou bien on le tranche par le milieu.
On
l'entrava comme le voulait l'usage, et on le coupa en deux 47. »
Malgré
sa farouche opposition à la puissance chrétienne, Saladin gagna en Europe une
immense réputation de souverain chevaleresque, à tel point qu'il exista au XIVe
siècle un poème épique sur ses exploits et que Dante l'inclut parmi les âmes
païennes des limbes.
L'empereur
d'Allemagne Guillaume II lors de sa visite à Damas en 1898, a offert à l'Empire
ottoman la restauration du mausolée de Saladin construit en 1193, et un
sarcophage de marbre. Actuellement dans le mausolée qui se trouve près de la
mosquée des omeyyades, il y a deux sarcophages : celui en marbre resté vide et
celui en bois qui contient le corps de Saladin. Pour Guillaume II, il
s'agissait d'honorer celui qui a vaincu à la fois l'Angleterre et la France.
La
province de l'Irak actuelle qui contient la ville de Tikrit s'appelle en son
honneur Salah ad-Din.
POSTÉRITÉ
Plaque
du Mausolée de Saladin à Damas en Syrie
En
1176, Saladin a épousé 'Ismat al-Dîn, fille de l'ancien émir de Damas Unur et
veuve de Nûr al-Dîn, dans un mariage politique. Elle devait alors avoir plus de
quarante ans, puisqu'elle avait épousé Nûr al-Dîn en 1147, et ne donna pas
d'enfant à Saladin. Néanmoins, celui-ci semble avoir été très épris, comme
l'indiquent les lettres qu'il lui envoyait alors qu'il était malade à Harrân,
et la précaution prise par les médecins pour lui annoncer la mort de son épouse
('Ismat était déjà morte lors de la maladie de Saladin, mais on ne lui apprit
la nouvelle que deux mois plus tard).
Saladin
n'a pas eu d'autre épouse qu' 'Ismat al-Dîn, mais de nombreuses concubines, qui
lui ont assuré une nombreuse descendance.
On
en sait peu de choses, sinon que la naissance d'un fils entraînait
automatiquement l'affranchissement de la concubine, que Saladin veilla à leur
éducation religieuse et qu'elles le veillèrent dans ses derniers instants selon
Ibn Shaddâd. Elles furent sans doute une dizaine et mirent au monde
vingt-quatre enfants, dont six morts en bas âge48. Saladin, à sa mort était
(selon le chroniqueur 'Abul Feda) père de dix-sept fils et d'une fille, parmi
lesquels on compte :
Al-Afdhal
Nur ad-Din Ali (1169 - 1225), sultan de Damas
Al-`Aziz
`Imad ad-Dîn `Uthmân (1171 - 1198), sultan d’Égypte
El-Malik
ed-Zahir Ghazi (1171 - 1216), émir d’Alep
El-Malik
ed-Dafer Kader
El-Malik
es-Zahir Dawud (Mort 1234), émir d'El-Bira
El-Moaddem
Turan Shah (Mort après 1250)
Nosrat
ed-Din (Mort après 1250)
Une
fille mariée à son cousin germain Al-Kamil, sultan d’Égypte
NOTES ET
REFERENCES
↑
Son nom entier durant son règne fut Al-Malik an-Nâsir Salâh ad-Dîn Yûsuf
↑
arabe : abū al-muẓẓafar ṣalāḥ ad-dīn al-malik an-nāṣir yūsuf ben najm ad-dīn
al-ʾayyūbī ben šāḏī,
أبو
المظفر صلاح الدين "الملك الناصر" يوسف بن نجم الدين أيوب بن شاذي. On
le nomme aussi Salâh Ad-Dîn Al-Ayyûbî ou Salaheddine
↑
Robert 2 (2001), Saladin, p. 1852
↑
Selon l'historien kurde Ibn Khallikan, cité par Vladimir Minorsky, The
Prehistory of Saladin, Studies in Caucasian History, Cambridge University
Press, 1957, pp. 124-132
↑
Les raisons de ce départ ne sont pas connues. Selon certains, Shirkuh aurait
tué un chrétien avec lequel il s'est querellé, et les deux frères auraient
alors été exilés. On prétend même que Saladin est né pendant la nuit où ils se
seraient enfuis. Mais on comprend mal pourquoi le meurtre d'un chrétien, alors
que l'on se trouve en pleine période des croisades justifie l'exil de
personnage aussi important que le gouverneur et son frère. Il semble plus
raisonnable de penser que les deux frères ayant manifesté clairement leur
soutien à Zengi, le gouvernement de Bagdad s'en soit pris à eux, faute de
pouvoir attaquer Zengi.
↑
Foundation for Medieval Genealogy [archive].
↑
Maalouf 1983, p. 185-198.
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Grousset 1935, p. 512-4 et Maalouf 1983, p. 198.
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Editions L'Harmattan, 2010
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↑
Grousset 1935, p. 703-4, 723-8.
↑
selon le Livre des Deux Jardins, une chronique musulmane d’Abû Shâma, mais il
semble en fait que la princesse se trouvait dans une des caravanes suivantes ce
qui causa une grande inquiétude pour Saladin
↑
Grousset 1935, p. 703-4, 733-5.
↑
Grousset 1935, p. 736-755.
↑
conformément au verset coranique 47:4, « Lorsque vous rencontrez les
incrédules, frappez-les à la nuque (…) »
↑
Thomas F. Madden, The New Concise History of the Crusades, Rowman &
Littlefield, 2005, p. 76
↑
Grousset 1935, p. 755-775
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Grousset 1935, p. 777-788.
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↑
Theatrum Belli [archive]
↑
Grousset 1936, p. 121-4.
↑
Grousset 1936, p. 174.
↑
Usâma ibn Munquidh (trad. André Miquel), Des enseignements de la vie [« كتاب العتبار
»], Imprimerie Nationale, coll. « Collection orientale », 1983, 446 p. (ISBN
2-11-080785-7), p. 353
↑
Usâma ibn Munquidh, op. cit., p. 335.
↑
Eddé, Anne-Marie. Saladin. Paris : Flammarion, 2008. p. 406-409
↑
Commedia, Inf. IV, 129 (texte original) - Trad. Lamennais
http://fr.wikipedia.org/wiki/Saladin
Mohamed ZEMIRLINE
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